vendredi 17 septembre 2010

Lamentation de Hadja Hassan Mohammed [Sabra&Chatila]

Lamentation de Hadja Hassan Mohammed
Franklin P. Lamb 14/09/2010 - 16:38

" Comme je vous envie vous qui étiez là quand ceux que j’aime sont morts. Est-ce qu’ils avaient soif ? Avez-vous eu la bonté de leur donner à boire ?"

Merci beaucoup de m’avoir fait suivre ce texte. C’est très pénible, mais je me souviens de tout ce qui s’est passé la nuit du 17 septembre 1982 quand Mounir a été amené par ses amis à la salle d’urgence de l’hôpital de Gaza. Tout ce qu’il arrivait à dire était Israéliens, Haddad, Kataeb et il s’est évanoui. Il a été le dernier patient que j’ai opéré avant que les miliciens ne nous obligent à quitter notre salle d’opération en sous-sol. Il avait reçu trois balles et perdait beaucoup de sang- son hémoglobine était tombée à 4gms (le niveau normal est de 12-13 gms).

Comme les autres, Mounir a vécu pendant des mois à Chatila dans la maison où sa famille avait été assassinée ; il revivait constamment ses cauchemars et finalement on a réussi à l’envoyer avec son frère aux USA pour qu’il puisse commencer une nouvelle vie. Je l’ai rencontré à de nombreuses reprises et même maintenant il me demande de regarder ses cicatrices.

Par respect, j’ai changé son nom dans mon livre, mais l’année dernière il m’a dit qu’il se sentait plus solide ; je peux maintenant raconter son histoire - celle d’un jeune garçon de 11 ans. J’ai également inclus les photos de sa grand-mère et de son grand-père dans mon livre ainsi que les lamentations de sa grand-mère.

Le moment est peut-être venu de faire entendre au Liban et dans le monde les lamentations de feu sa grand-mère, qui a marché 20 km du Sud Liban jusqu’à Chatila... Elle est arrivée à Chatila ce jour de septembre pour constater que 27 membres de sa famille avaient été tués – seuls Mounir et Nabil avaient survécu. Elle dit :

" Nos colombes sont toujours là. Nos oeillets exhalent leur parfum. 
Les moineaux chantent leurs chants de toujours.
Mais Abou Zuhair est introuvable.
Beyrouth tu as pris tout ce que j’avais.
Tu as pris ma dernière étincelle de vie et mon coeur gît dans tes rues.
Abou Zuhair, le grand, le jeune arbre a été cruellement coupé de ses racines sur ton sol.
Puisse le sang de celui qui t’a tué se mélanger au tien.
Puisse sa mère souffrir la même agonie.
Qui a creusé ta tombe Abou Zuhair ?
Qui nous a apporté ce désastre ?
Qu’est-ce que je peux dire en ta mémoire ?
Mon coeur est lourd de reproches pour ce monde insensible.
Cent navires, deux cents étalons ne suffiront pas pour porter le poids de la douleur dans mon coeur.
Qu’est-ce que je peux dire ? « Mère » tu me dis « va à nos tombes et prie pour ceux qu’elles ont engloutis »
Je vais aux tombes et j’étreins tendrement leur pierre.
Je dis « faites que vos pierres entourent chaleureusement les corps de ceux que j’aime, prenez soin d’eux, je vous les confie.
Je pleure votre jeunesse et je pleure toutes les jeunes filles qui n’ont jamais connu un moment de bonheur ou de contentement.
Elles sont allées à la rencontre de la vie, pleines d’espoir et d’impatience pour se faire piétiner et déchirer par sa férocité.
Mon Dieu, je n’ai plus de force.
Il était l’homme le plus beau et le jeune homme le plus fort des garçons.
Il préparait la voie pour les autres afin de faciliter leur marche.
Ton jeune corps s’est mélangé au sable trop tôt et le sable remplit tes yeux.
Qu’est-ce que je peux encore donner à mon pays ?
Mon coeur est pénétré de souffrance et de reproches à la vie.
Comme je vous envie vous qui étiez là quand ceux que j’aime sont morts.
Est-ce qu’ils avaient soif ?
Avez-vous eu la bonté de leur donner à boire ?
J’implore chaque oiseau qui passe de vous porter mon angoisse et mon amour et de me ramener des nouvelles de ceux que j’aime.
Mon enfant, ton corps est criblé de balles.
Qui t’a envoyé à moi, oiseau de malheur ?
Pourquoi m’infliger tous ces désastres à la fois ?
Épargne-moi un peu, oh mon Dieu.
Mon Dieu- attends au moins un an, et puis que ta volonté soit faite.
Je vous en supplie, vous les croque-morts, avancez lentement.
Ne vous hâtez pas.
Laissez-moi voir encore une fois ceux que j’aime.
Je vais vers les tombes et je reste là égarée.
J’appelle Abou Zuhair, puis Oum Walid (sa soeur).
Pas de réponse.
Ils ne sont pas là.
Ils ne sont pas là.
Ils ont suivi Oum Zuhair (la femme d’Abou Zuhair) et les enfants.
Ils sont tous partis une nuit sous la lune - tous ceux que j’aime.
Mon enfant, tu n’es plus près de moi.
Des montagnes de distance nous séparent...
Nabil (neveu d’ Abou Zuhair) appelle sa mère. « Mère » dit-il « à qui m’as- tu confié ? » Zahra répond « je t’ai laissé à tes oncles.
Ils devraient te donner de mes nouvelles et t’emmener jusqu’à ma tombe pour que mes yeux puissent te regarder et que mon coeur puisse t’atteindre ».
Mais Abou Zuhair est parti et il ne peut pas accomplir le souhait de Zahra.
Zuhair (fils d’Abou Zuhair) demande à son père « à qui m’as tu confié ? » « Ton grand-père viendra te chercher. C’est toi qui continues sa vie ».
Mais la vie, qu’est-ce qui nous reste de vie ?
Nos coeurs sont morts.
Nous n’avons plus de larmes pour tous les jeunes, hommes et femmes qui sont morts.
Où puis-je me tourner ?
Où sont mes enfants ?
Mon enfant, que Dieu te montre la voie sacrée et que mon amour et mon affection soient une lanterne qui t’accompagne sur le chemin. Dieu tout-puissant, donne-moi la patience.
Jeunes gens, restez loin de moi : vous rouvrez mes plaies et je suis si lasse.
Qu’est ce que je peux dire ? »


Veuillez diffuser ce texte - une grand-mère palestinienne à sa famille, massacrée à Sabra et Chatila –

J’ai conservé ses paroles et je les lis à tous ceux qui veulent les entendre depuis 28 ans.
9 septembre 2010 - Ce texte peut être consulté ici :


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