jeudi 9 septembre 2010

Les écueils de la réconciliation nationale

Les écueils de la réconciliation nationale sans souveraineté : Isabelle Avran
14/02/2008
Les écueils sont multiples. Ils relèvent pour une grande part du durcissement des conditions d’occupation qui accompagne le refus israélien de mettre en œuvre ne fût-ce que les promesses a minima d’Annapolis. La colonisation a repris de plus belle, en particulier à Jérusalem et dans sa périphérie immédiate, totalement revendiqué par le gouvernement israélien. La division de la Cisjordanie en cantons se poursuit, avec l’enfermement des populations dans de multiples enclaves encerclées par les colonies, les routes de contournement réservées aux colons et les barrages militaires, au prix d’une asphyxie économique sans précèdent. Et le réseau de murs  contribue à la fois à cette colonisation et à cette segmentation, lesquelles préfigurent la géographie de l’hypothétique futur Etat palestinien selon sa version israélienne, discréditant toute perspective de paix et minant toute stratégie de négociation. Le blocus et les bombardements meurtriers de la bande de Gaza, eux, s’inscrivent dans une véritable stratégie de guerre menée non seulement contre le Hamas mais contre la population toute entière, sur un territoire décrété récemment « entité hostile » ; population déshumanisée au point que le vice-ministre de la Défense, Matan Vilnai, la menace de « Shoah » tout en récusant les mots choisis comme si l’avertissement n’était qu’un lapsus de l’histoire. Une stratégie de guerre à l’œuvre, en fait, depuis Camp David. Car cette Intifada est née de la lassitude et de la colère populaire face au démenti quotidien des annonces d’Oslo par la dépossession territoriale inscrite dans l’intensification de la colonisation ; mais pour que le feu fût mis au poudres, encore fallait-il que la mèche fût allumée. Or la provocation d’Ariel Sharon encadrée par les forces du gouvernement d’Ehud Barak sur l’esplanade des mosquées à Jérusalem fin septembre 2000 s’est des les premiers jours accompagnée d’une violence massive contre toute forme de protestation et de résistance. La brutalité de la guerre israélienne a entraîné de fait une militarisation de l’Intifada, troublant l’aura de la résistance palestinienne acquise sur la scène internationale, singulièrement durant la première Intifada. 

Les divergences inter-palestiniennes s’inscrivent donc aussi dans un débat majeur sur les stratégies à adopter face à la brutalité d’une occupation militaire dans le contexte de laquelle les prétendues négociations sont quotidiennement sapées par les promoteurs israéliens de l’annexion des grands blocs de colonies et d’un pseudo « Etat » palestinien, sans continuité territoriale, sans viabilité et sans souveraineté.

En jeu, donc, de multiples questions stratégiques. Celle de la poursuite de la négociation en dépit de son refus dans les faits par Israël (ou précisément pour tenter de l’imposer du fait même de ce refus). Celle du rôle de la résistance comme point d’appui ou bien comme alternative. Celles des formes de la résistance, armée ou non, soulevant des débats sur son efficacité, circonscrite ou non au territoire occupé tandis que certaines forces vont jusqu'à la diriger contre des civils israéliens, en dépit des dénonciations, notamment, des associations palestiniennes de défense des droits humains, soulevant cette fois des questions de droit, de légitimité et d’éthique politique. L’accord de La Mecque avait apporté certaines réponses, même conjoncturelles, à ces interrogations, circonscrivant la résistance au territoire occupé et déléguant à l’OLP la responsabilité de la négociation.
  
(Al-Haq, organisation de défense des droit humains basée à Ramallah, écrit dans un rapport publié le 1er mars : « L’usage sans restriction de la force contre la population civile en réponse aux attaques de roquettes illégales par des groupes armés palestiniens est une violation des lois de la guerre. »
La violence bestiale de la guerre d’occupation a réactivé l’ensemble de ces questions, cependant que le débat stratégique majeur sur l’articulation entre négociation et résistance est masqué par un autre, plus immédiat et plus animé, sur le partage du pouvoir entre les deux principales formations politiques palestiniennes, qui renvoie aussi aux rôles respectifs du parlement et de l’exécutif, de même qu’à ceux de l’Autorité nationales et de l’OLP.

On comprend que les dirigeants israéliens aient tout intérêt dans leur logique à faire échouer le processus de réconciliation inter-palestinien, pour pérenniser tant la division géographique et politique des territoires occupés que l’affaiblissement de la partie palestinienne, et pour plaider le cas échéant « l’absence de partenaire ».  

Washington a d’entrée de jeu fait le même choix, écartant toute perspective de dialogue avec le Hamas toujours inscrit sur sa liste noire des organisations terroristes et multipliant les pressions explicites sur la présidence de l’Autorité palestinienne pour qu’elle renonce au dialogue et la réconciliation. L’Administration américaine va plus loin encore. En visite en Israël et en Palestine occupée à l’occasion du week-end pascal au nom de la nécessitée de relancer un « processus de paix » au point mort, Dick Cheney n’a pas hésité à assurer, peu après les bombardements homicides de la bande de Gaza, que les Etats-Unis « n’exerceront jamais de pressions sur Israël pour qu’il prenne des décisions menaçant sa sécurité. » Et d’ajouter : « nous voulons voir une solution au conflit, mais il ne revient pas aux Etats-Unis de dicter le résultat » des pourparlers.
« S’il y a une chose que nous avons apprise ces derniers mois, c’est que la stratégie à Gaza ne marche pas »,  a pourtant déclaré Tony Blair devant les euro-députés du groupe de travail sur le Moyen-Orient au Parlement Européen à Bruxelles. Une stratégie qui visait à marginaliser le Hamas après sa victoire électorale. Or ni les sanctions, ni le blocus, ni les bombardements n’ont sérieusement entamé sa popularité. Si la rue n’en peut plus, mais si le contrôle politique qui s’exerce dans la bande de Gaza comme en Cisjordanie et le contrôle social  l’éloignent du pouvoir en place, le consensus se soude prioritairement et naturellement  contre les assiégeurs, responsables du désastre. Tony Blair n’a pas renoncé à l’Objectif proclamé : « nous avons besoin d’une stratégie qui isole les extrémistes et encourage la population », avance-t-il. Mais il déplore la stratégie : « Si on ne fait pas attention, on pourrait arriver à la situation inverse : un isolement de la population et un encouragement aux extrémismes. »
L’Europe pourtant poursuit son alignement soumis sur Washington. Elle n’a pas renoncé aux sanctions contre la population palestinienne, n’a engagé aucune diplomatie sérieuse pour mettre un terme au blocus, n’a protesté qu’avec une mollesse coupable contre les bombardements de la bande de Gaza, ne manifeste aucune impatience active contre la colonisation de la Cisjordanie, le renforcement des barrages, l’emprisonnement de plus de 11 000 palestiniens, et continue de refuser le résultat des élections démocratiques de janvier 2006.
Dans un tel contexte, la réconciliation entamée à Sanaa entre les deux principales forces palestiniennes  ̶  et elles seules  ̶,  semble bien fragile. Tandis que se poursuivait l’offensive israélienne dans la bande de Gaza, le FPLP, le FDLP et le PPP appelaient à nouveau  le  2 mars à l’unité nationale. 

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