mercredi 1 décembre 2010

Boycott d’Israël : qu’est-ce qui est vraiment « indigne » et « illégal » ?

[ 04/11/2010 - 11:42 ]
Michel Collon

Réponse à Pascal Bruckner, Bertrand Delanoë, Alain Finkielkraut, Bernard-Henri Lévy, Yvan Attal, Pierre Arditi, Michel Boujenah, Patrick Bruel et Cie…
Par Michel Collon

« Le boycott d'Israël est une arme indigne », écrivez-vous ce lundi 1er novembre dans Le Monde (article ci-dessous). Vous affirmez avec une certitude étonnante que « la Justice française ne tardera pas à confirmer » l’illégalité du boycott. Selon vous, tous ceux qui veulent ainsi aider les Palestiniens à obtenir leurs droits seraient des hors-la-loi. Votre argument ? On ne saurait appliquer ce « type de traitement à la démocratie israélienne ». Mais comment pouvez-vous appeler « démocratie » un Etat qui s’est construit par la violence, en chassant les Palestiniens de leurs maisons et de leurs terres en 1948 ?

Dessin Carlos Latuff

Un Etat qui, à toutes les époques, n’a cessé de planifier le nettoyage ethnique :

« Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place. » (David Ben Gourion, 1937).

« Les Palestiniens seront écrasés comme des sauterelles, leurs têtes éclatées contre les rochers et les murs. » (Yitzhak Shamir, 1988).

« Entre nous soit dit, il doit être clair qu'il n'y a pas de place pour deux peuples dans ce pays. Il n'y a pas d'autre possibilité que de transférer les Arabes d'ici vers les pays voisins - tous. Pas un seul village, pas une seule tribu ne doit rester. » (Joseph Weitz, 1940).

« Les Palestiniens n'ont jamais existé. » (Golda Meir, 1969) « Chacun doit bouger, courir et s'emparer d'autant de collines qu'il est possible pour agrandir les colonies, parce que tout ce que l'on prendra maintenant restera à nous… Tout ce que nous ne prendrons pas leur restera. » (Ariel Sharon, 1998)*

Comment pouvez-vous appeler « démocratie » un Etat qui, aujourd’hui encore, refuse le retour des gens qu’il a chassés et continue à voler systématiquement les terres pour s’agrandir tout en prétendant négocier ?

Soyons clair : un Etat colonial, basé sur le vol de la terre et l’expulsion d’un peuple, ne sera jamais une démocratie. Même s’il possède un parlement, même si les voleurs discutent démocratiquement entre eux sur la meilleure façon de voler, ça reste un Etat de voleurs qui règnent par la force.

Le boycott est-il illégal ?

Absolument pas, puisqu’il vise à assurer le respect du droit. Voici ce qui est réellement illégal…

Avoir chassé les Palestiniens de leur pays en 1948 et refuser leur retour est illégal, affirme l’ONU. Conquérir de nouveaux territoires par la force est illégal. Empêcher les Palestiniens de vivre sur leurs terres, de travailler, d’étudier ou de circuler librement est illégal. Détruire leurs maisons et leurs oliviers est illégal. Emprisonner des enfants de douze ans est illégal. Construire un mur de séparation, voler l’eau et les terres des territoires occupés est illégal. Utiliser des armes au phosphore et au laser est illégal. Bombarder des maisons, des écoles, des hôpitaux, des ambulances, des missions de l’ONU est illégal. Torturer est illégal. Assassiner les dirigeants palestiniens est illégal. Massacrer des défenseurs de la paix dans les eaux internationales est illégal.

Face à ces illégalités, que fait la ministre française de la Justice ? Appelle-t-elle à sanctionner l’Etat qui les commet ? Empêche-t-elle l’importation en France des produits issus de ce vol des terres ? Non, elle attaque ceux qui dénoncent cette illégalité ! Et vous soutenez cette ministre qui bafoue le droit international. Ahurissant !

Vous écrivez : « Nous sommes résolument contre le boycott parce que nous sommes pour la paix. ». Mais le boycott existe déjà ! Depuis soixante ans, les Palestiniens sont boycottés par Israël, et vous ne faites rien contre ça. Puisque les dirigeants israéliens n’agissent qu’en fonction du rapport de forces, le boycott est une arme parfaitement digne pour leur imposer la paix. Comme il le fut contre l’apartheid en Afrique du Sud.

Vous écrivez : « La critique n'a rien à voir avec le rejet, le déni, et, finalement, la délégitimation. » Mais depuis soixante ans, Israël rejette, nie et délégitimise les Palestiniens et ça ne vous indigne pas ?

Vous écrivez : « Céder à l'appel du boycott, (c’est) signifier que la négociation n'est plus dans le champ du possible. » Pas du tout. La solution existe, elle est toute simple, comme vient de le rappeler le musicien juif Gilad Atzmon : « Les Israéliens peuvent mettre fin au conflit en un clin d’oeil : demain matin à son lever, Nétanyahou rend aux Palestiniens les terres qui leur appartiennent. »

C’est trop demander ? Dès 1968, les grandes organisations palestiniennes ont elles-mêmes fait de grandes concessions en proposant de former un seul « Etat démocratique, progressiste, non confessionnel dans lequel juifs, chrétiens et musulmans vivront ensemble en paix et en jouissant des mêmes droits. » C’est Israël qui a refusé et refuse toujours, c’est Israël qui s’accroche à son obsession d’un Etat ethniquement pur, réservé aux juifs, et vous ne lancez pas de grands appels contre cela ?

C’est encore trop demander ? Les Palestiniens ont même accepté de se contenter de 22% de leurs terres initiales, et ça encore Israël le refuse, continuant à voler les terres, petit-à-petit, et vous ne faites rien contre cela.

En définitive, ce qui est « indigne », ce n’est pas le boycott.

C’est votre attitude. Car tout ce que je viens d’écrire, vous le savez et, en le cachant à l’opinion, vous la désinformez. Dans quel intérêt ?

Je crains que la chose véritablement indigne dans votre texte, ce soient vos motivations. Dans mon livre Israël, parlons-en !, j’ai indiqué que les trois plus puissants groupes médiatiques français - Lagardère, Dassault, Bouygues – sont tous trois aux mains de familles richissimes qui font de gros profits avec Israël et lui fournissent ses armes ou ses instruments de colonisation. Alors, si un artiste ou un intellectuel français ose s’opposer à ces groupes et dire la vérité, adieu carrière, adieu fortune ! Comme disait Bertolt Brecht : « Déplaire aux possédants, c'est renoncer à posséder soi-même. »

Ceux qui vous lisent, ceux qui vous écoutent, auront toujours intérêt à se poser la question fondamentale : 

« Quels sont les intérêts derrière ce discours ? »
* Sources des citations : Michel Collon, Israël, parlons-en ! , Couleur Livres, Investig’Action, Bruxelles, 2009, pages 297-299.


Le boycott d'Israël est une arme indigne
Le Monde, 1.11.2010, mise à jour 2.11.2010

Pascal Bruckner, Bertrand Delanoë, Frédéric Encel, Alain Finkielkraut, Patrick Klugman, François Hollande, Bernard-Henri Lévy…

Une entreprise commence à faire parler d'elle en France, consistant à promouvoir un embargo d'Israël tant dans l'ordre économique que dans celui des échanges universitaires ou culturels. Ses initiateurs, regroupés dans un collectif intitulé Boycott, désinvestissement, sanctions, ne s'embarrassent pas de détails. Au vu de leur charte, tout ce qui est israélien serait coupable, ce qui donne l'impression que c'est le mot même d'Israël que l'on souhaite, en fait, rayer des esprits et des cartes.

L'illégalité de la démarche ne fait pas de doute et la justice française ne tardera pas à la confirmer. Mais la justice sera bien en peine de sanctionner ce qui est essentiel dans cette affaire. C'est pourquoi, nous, associations, citoyens de tous bords, acteurs de la vie de notre pays, tous également attachés à la paix au Moyen-Orient et, donc, à l'avènement d'un Etat palestinien viable et démocratique aux côtés d'Israël, nous sommes convaincus que les boycotteurs se trompent de combat en prenant le parti de la censure plutôt que celui de la paix, celui de la séparation plutôt que celui de la possible et nécessaire coexistence - celui, en un mot, de la haine et non de la parole et de la vie partagées.

La possibilité de critiquer, même de manière vive, le gouvernement israélien concernant sa politique vis-à-vis des Palestiniens n'est pas ici en cause. Peu de gouvernements sont autant sévèrement jugés, y compris par certains d'entre nous. Mais la critique n'a rien à voir avec le rejet, le déni, et, finalement, la délégitimation. Et rien ne saurait autoriser que l'on applique à la démocratie israélienne un type de traitement qui n'est réservé aujourd'hui à aucune autre nation au monde, fût-elle une abominable dictature.

D'autant que, de plus, la globalité du rejet et sa bêtise font que l'on emporte dans le même mouvement les forces qui, en Israël, oeuvrent jour après jour au rapprochement avec les Palestiniens en sorte que les partisans du boycott sont, aussi, des saboteurs et des naufrageurs d'espérance.

La paix ne se fera pas sans les Palestiniens. Mais elle ne se fera pas non plus sans les Israéliens. Et moins encore sans les intellectuels et les hommes et femmes de culture qui, quels que soient leur pays d'origine ou leur parti pris politique, travaillent à rapprocher les peuples. Céder à l'appel du boycott, rendre impossibles les échanges, infliger aux chercheurs israéliens, par exemple, ou aux écrivains on ne sait quelle punition collective, c'est abandonner toute perspective de solution politique au conflit et signifier que la négociation n'est plus dans le champ du possible.
Nous n'acceptons pas cet aveu d'échec. Nous pensons que notre rôle est de proposer un chemin de dialogue. C'est pourquoi, nous, signataires, sommes résolument contre le boycott d'Israël et pour la paix - et, précisément, contre le boycott parce que nous sommes pour la paix.

Yvan Attal, comédien ;
Pierre Arditi, comédien ;
Georges Bensoussan, historien ;
Michel Boujenah, comédien ;
Patrick Bruel, comédien et chanteur ;
Pascal Bruckner, essayiste ;
David Chemla, secrétaire général de JCALL, ;
Bertrand Delanoë, maire de Paris ;
Frédéric Encel, géopolitologue ;
Alain Finkielkraut, philosophe ;
Patrick Klugman, avocat ;
François Hollande, député (PS) de Corrèze ;
Georges Kiejman, avocat ;
Anne Hidalgo, première adjointe au maire de Paris ;
Bernard-Henri Lévy, philosophe ;
Mohamed Sifaoui, essayiste ;
Yann Moix, écrivain ;
Bernard Murat, directeur de théâtre ;
Jean-Marie Le Guen, député ;
Pierre Lescure, directeur de théâtre ;
Serge Moati, journaliste ;
Daniel Racheline, vice-président de JCALL ;
Arielle Schwab, présidente de l'UEJF ;
Dominique Sopo, président de SOS-Racisme ;
Gérard Unger, président de JCALL ;
Manuel Valls, député-maire d'Evry ;
Michel Zaoui, avocat.
Source : Investig’action

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