jeudi 13 octobre 2011

Sabra et Chatila -L'Histoire en marche...


        
Les massacres de Sabra et Chatila
[ 12/10/2011 - 18:55 ]
Layla Shahid Barrada

Les six témoignages qui suivent sont extraits d’une large enquête menée auprès des survivants du massacre des camps palestiniens de Sabra et de Chatila par Layla Shahi Barada.
Ils sont accompagnés d’une chronologie détaillée des événements survenus à l’intérieur des camps entre les 15 et 19 septembre [1982], établie à partir de témoignages recueillis sur place.

Place des Martyrs - Beyrouth - Septembre 1982

TÉMOIGNAGES :

La famille F. vivait auparavant à Tall el Zaatar. Après la destruction de ce camp en 1976 et la mort du père et de l’un des fils, la femme et les autres enfants sont venus s’installer à Chatila. Aujourd’hui Sobhia F. vit à Chatila avec ce qui reste de ses enfants : sa fille aînée Wasfia qui a 3 enfants, ses 3 autres filles, Khadija 22 ans, Sawsan 12 ans, Zeinab 11 ans, et le seul garçon qui n’ait pas été tué, Adel 1 ans. Sa belle-mère était présente pendant l’entretien. Trois générations de femmes témoignent.

Q. - Raconte-moi ce qui s’est passé.

R. - « Jeudi soir, nous étions assis à la maison lorsqu’il y a eu les fusées éclairantes au-dessus du camp. Un homme est entré brusquement et nous a dit : « Les Phalangistes sont en train de massacrer les gens". Nous ne l’avons pas cru et nous nous sommes couchés. Le lendemain, quelqu’un d’autre est arrivé en criant : « Les Phalangistes massacrent les habitants du camp !" Mon beau-frère Sobhi F., qui habite à côté de chez nous, s’habille à toute vitesse et sort voir ce qui se passe, Il trouve des dizaines de cadavres dans les ruelles voisines et plusieurs blessés, H. décide de les transporter à l’hôpital Akka qui n’est pas loin. En allant chercher ma voiture, il voit pour la première fois les hommes armés près de l’Ambassade du Koweït. Il revient en courant et nous dit : 4’Levez-vous, levez-vous, il ne faut pas rester ici, il faut partir". Au même moment, nous entendons les haut-parleurs appeler les gens à se regrouper à la Cité Sportive. Ils disaient ’. ’4Rendez-vous et vous serez saufs". A peine sortis de la maison, trois hommes armés nous surprennent et nous arrêtent en disant : "N’ayez pas peur, nous sommes des Phalangistes. Vous êtes Palestiniens ?" Nous leur avons dit que nous étions libanais et ils nous ont dit qu’ils ne "touchaient" pas aux libanais. Puis l’un d’eux, qui était adossé au mur et portait un pantalon kaki s’est approché et a demandé son identité à l’un d’entre nous. Il lui a répondu : "Par la vie de Cheikh Bachir, je suis palestinien".
Alors l’autre a dit : "Vous êtes donc tous Palestiniens. Suivez-moi". Après avoir rassemblé tous les hommes, c’est-à-dire mes deux fils Khaled et Amr, mon beau- frère Sobhi et nos deux voisins Abou Farid et Abou Chihab, ils nous ont ordonné de marcher. Nous étions cinq familles dans ce quartier, celui de Horch Tabet, face à l’hôpital Akka. Et nous avons marché, les hommes d’un côté, les femmes et les enfants de l’autre. Ils avaient ouvert un chemin à travers le camp en ouvrant de grandes brèches dans les murs et nous passions ainsi de maison en maison. Nous avons marché avec eux comme ça pendant assez longtemps. Soudain, ils ont dit aux hommes de s’arrêter et nous ont ordonné à nous de continuer. Nous nous sommes mises à crier et à pleurer. Ils ont dit : "Si vous continuez à crier, nous vous tuerons vous aussi". A peine les avions-nous dépassés de quelques mètres que nous avons entendu les coups de feu, et nous avons compris que nous étions perdus. Alors on a crié de plus belle. L’un d’eux disait : "Alors, qu’est-ce que vous croyez ? Que c’est le désordre ? Nous ne tuons pas les gens. Nous les interrogeons puis nous les jugeons." On les suppliait, on leur disait : "Pour l’amour d’Allah, pour l’amour du Prophète Mohammad, ne les tuez pas". Et eux disaient : "Vous avez tué Cheikh Bachir". On leur jurait que nous n’avions rien à faire avec cet assassinat. On leur disait même : "Que Dieu tue celui qui l’a tué... Nous sommes pacifiques, nous n’avons pas d’armes, nous nous rendons sans résistance... Pourquoi faites vous cela." L’un d’entre eux a dit : "Il n’y a pas d’Allah, il n’y a pas de Mohammad, c’est nous Allah et Mohammad, allez avancez, filles de..." et ils nous insultaient. Nous avons continué à marcher jusqu’à une maison où il y avait un grand trou. J’ai vu là-bas un char avec des Israéliens. Ils étaient à l’intérieur du camp, en face de l’ambassade du Koweït. Ils ont dit : "Emmenez-les à la Cité Sportive. Mais j’ai eu le temps de voir, et tous ceux qui étaient avec moi aussi, une fosse profonde et pleine de cadavres. Ils tuaient les gens et jetaient les cadavres dans la fosse. Cette fosse est près de l’ambassade du Koweït, le long de la route. Avant qu’ils ne nous permettent de repartir, ils nous ont alignées et l’un des hommes armés a dit à un autre en lui clignant de l’œil : "Choisis-en une, laquelle mérite d’être égorgée ?" L’autre a répondu : "Non, nous ne voulons pas les tuer maintenant". Et ils nous ont fait marcher jusqu’à la Cité Sportive. Là, 3 éléments armés dans une jeep nous ont sommés de rebrousser chemin. Alors nous nous sommes plaintes en leur disant qu’ils nous donnaient des ordres contradictoires. Nous avons dû faire ainsi la navette par deux fois entre l’Ambassade du Koweït et la Cité Sportive. A un moment donné, une mine ou une bombe à fragmentation a sauté sur notre chemin. Des blessés sont tombés et ils nous ont tiré dessus. Tout le monde courait dans tous les sens. Nous, on a couru vers l’Université Arabe. Nous avons rencontré sur la route une voiture et nous l’avons arrêtée. C’était des journalistes étrangers mais il y en avait un qui parlait l’arabe. Ils nous ont photographiés et nous ont demandé ce qui se passait. Nous leur avons dit qu’il y avait un massacre mais ils ne voulaient pas nous croire. Nous leur avons expliqué que nous étions les premiers survivants à sortir du camp. C’était vendredi matin. Il devait être 6 heures du matin. »
Q. - Comment savez-vous que vos enfants ont été tués ? Seulement par les coups de feu ?
R. - « Mon cousin a été le lendemain chercher les enfants et leur oncle. Il ne les a pas trouvés. Il était plutôt rassuré de ne pas trouver leurs cadavres. Mais comme il a entendu des sifflets, il a eu peur et il est parti en courant. Plus tard, je lui ai décrit l’endroit exact où on avait été séparés. Il y est allé le lendemain dimanche et il a retrouvé tous leurs cadavres. Ils étaient un peu plus loin de l’endroit où nous les avions quittés, près d’une maison rose. Ils les avaient alignés tous les six contre le mur. Six hommes... et ils les avaient abattus. Mon fils Amr, ils lui ont tiré une balle dans la figure et ils lui ont donné un coup de hache. Son oncle Soubhi a eu le même sort. Mon autre fils Khaled est resté appuyé au mur les bras ouverts comme s’il avait essayé de résister. Leur cousin ne les a pas reconnus tellement ils étaient défigurés. C’est par leurs vêtements qu’il les a identifiés. »
Q. - Combien d’enfants avait ton beau-frère ?
R. - « Six filles et trois garçons. L’aîné avait 17 ans. Lui en avait 43 et travaillait comme maçon. »
Q. - Et tes enfants ?
R. - « Khaled avait 19 ans et Amr 15. Ils étaient soudeurs tous les deux. »
Q. - Quel âge avait ton premier fils quand il est mort à Tall el Zaatar ?
R. - « Il avait 16 ans à l’époque. Il en aurait 22 aujourd’hui. Après Tall el Zaatar nous avons habité Damour quelque temps puis nous sommes venus ici, à Chatila. Nous y habitons depuis 4 ans maintenant. » Interrogé, Adel, le petit garçon de 7 ans, qui est présent à l’entretien, refuse de répondre. Collé à sa mère, il reste muet. Il était avec sa famille le jour où les miliciens sont venus les chercher. Il y a également la belle-mère de Sobhia, la grand- mère des enfants. Elle a 70 ans et c’est elle qui les a recueillis. Je m’adresse à elle :Q. - Quand êtes-vous venus à Chatila ?
R. - « En 1948, nous venions de Yaffa. Il y avait des mûriers ici. Nous nous sommes installés chez un cousin à moi. Puis le directeur du camp a refusé de nous accorder l’autorisation de rester à Chatila. Quelqu’un a dit alors à mon mari : "Ne restez pas ici, ils sont en train d’installer un nouveau camp à Tall el Zaatar". Il nous y a emmenés et nous l’a montré. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Il n’y avait que des ronces et des serpents à Tall el Zaatar. J’ai pleuré en voyant l’état des lieux. J’ai dit à mon pauvre mari : "Tu me fais quitter ma maison pour m’installer ici, avec les serpents !" A Chatila, il y avait au moins des tentes, à Tall el Zaatar il n’y avait rien. Le directeur du camp s’appelait Abou Youssef. Nous nous sommes installés là bas avec nos enfants : Salim, le mari de Sobhia qui a été tué là bas, mon fils Sobhi, qui a été tué ici, mon fils Arafeh, mon fils Abed et mon fils Awad, le benjamin, qui avait trois mois à l’époque. J’avais aussi une fille, Mala­bée, que j’ai mariée depuis. J’avais donc cinq garçons el une fille en arrivant à Tall el Zaatar. Puis l’UNRWA a construit des maisons, que veux-tu que je te dise ? Des maisons, sauf ton respect, qui ressemblent plus à des écuries qu’à de véritables maisons. Mais comme on n’avait pas le choix, on était obligé d’y vivre. C’était comme dans un four en été, et en hiver, l’inondation. On s’y est installé. On nous a donné une seule pièce au début. Nous étions huit. Et nous avons passé trois ans comme ça, les huit dans une seule pièce. Puis ils ont commencé à agrandir les maisons, et on nous a donné deux pièces. Mon mari construisit une petite enceinte et nous avons vécu là-bas 25 ans, jusqu’au massacre de 1976. J’ai marié mes enfants dans ce deux-pièces. Sélim, Arafeh et Sobhi. Puis ils se sont installés avec leurs familles. Mes fils ont fait de bons choix, je m’entends bien avec leurs femmes. Mon mari est mort d’une mort naturelle. Il avait un café pour routiers à Mkallès, près du camp. Après sa mort, on a fermé le café. »
Q. - Qu’est-ce qu’il faisait en Palestine avant l’exode de 1948 ?
R. - « Il était pêcheur. Nous habitions Yaffa, quartier Ajami, dans la vieille ville. Il avait une barque et c’est d’ailleurs dans sa barque que nous avons fui Yaffa au moment de la guerre. Ils bombardaient la ville à partir du village d’Al-Bireh. Nous avons eu peur et nous avons quitté Yaffa juste avant l’entrée des sionistes. »
Q. - Sobhia, comment sont morts ton mari et ton fils aîné à Tall et Zaatar ?
R. - « Après les 54 jours de siège du camp par les phalangistes, la population s’est rendue. Ils nous disaient : "Rendez-vous et votre vie sera sauve". Comme ici. Mon mari et mon fils ont été tués devant la Croix Rouge Internationale qui se chargeait de notre évacuation. Mon fils Mohammad avait 16 ans. Il était blessé à la cuisse et je l’emportais au cinéma Studio Fawzi qui est à Dekouaneh, à quelques kilomètres du camp. En cours de route, ils ont pris son père et ils l’ont fusillé devant moi. Il est tombé face contre terre. J’ai lâché mon fils et j’ai couru vers lui, je l’ai trouvé mort. Je suis retournée pour porter mon fils blessé et je ne l’ai plus retrouvé. J’avais dix enfants avec moi. Mohammad, le blessé, était l’aîné. Je l’ai perdu là, au moment où ils abattaient son père. Je me suis mise à rassembler les autres. Il y en avait un à chaque coin de rue. Adel avait 7 mois à l’époque. Je l’ai posé sur le trottoir et j’ai couru après les autres. Sa sœur l’a ramassé et moi j’ai trouvé un jeune homme blessé. Je l’ai porté. Allah m’a aidé à le porter. Ils ont pris son père, ils l’ont fusillé et ils l’ont jeté dans la rivière. J’ai réussi à retrouver mes enfants et nous nous sommes installés à Damour avec les autres survivants de Tall et Zaatar. Mais nous n’y sommes restés qu’un an et nous sommes venus nous installer à Chatila. Mes fils qui viennent d’être assassinés étaient mon seul soutien. Maintenant je n’ai plus qu’un fils de 7 ans et 4 filles. L’aînée est mariée et doit s’occuper de ses trois enfants, la seconde est épileptique. Les deux autres ont 12 et 11 ans. »
Q. - Quand les Israéliens ont envahi Beyrouth, vous n’avez pas eu peur ?
R. - « Le jour où Bachir Gemayel a été tué, on a eu le sentiment que quelque chose de terrible allait se passer. On a été Hamra passer la nuit chez des parents Mes fils étaient encore vivants à ce moment-là, ils étaient avec nous. Le lendemain matin, l’armée israélienne a envahi la ville. Ils ont recherché les combattants mai ils n’ont rien dit aux civils. Alors on s’est dit qu’on pouvait rentrer chez nous. On est rentré à Chatila jeudi et vendredi matin les hommes armés sont venus non.« chercher, à 6 heures du matin. »
Khalil Ahmad est Libanais. Le jour du massacre, il passait la nuit chez sa mère, qui habite à Sabra. Il a été emmené, comme la plupart des hommes, à la Cité Sportive et libéré ultérieurement. Les stades de la Cité Sportive servaient de lieux d’interrogatoire et de détention.
Q. - : Où étais-tu quand les éléments armés ont envahi le camp ?
R. - : « J’étais chez ma mère, à Sabra, en face de l’hôpital Gazza. Moi, ma maison est près du cimetière des Martyrs, à Ghobeyreh ; quand les bombardements sont devenus plus violents, j’ai fait fuir ma femme et mon beau-père vers un quartier plus calme, et moi, je suis venu chez ma mère, à Sabra, et j’allais voir de temps en temps si ma maison était touchée ou pas. Quelques jours plus tôt, l’armée libanaise avait établi un poste pas loin de la maison. J’ai pris l’initiative d’aller, avec des voisins, leur demander protection. On leur a dit : " Pourquoi n’entrez-vous pas dans le camp pour empêcher les éléments armés étrangers d’y entrer ? " Ils nous ont dit qu’ils avaient reçu l’ordre de se retirer. Et effectivement le lendemain ils n’étaient plus là. C’était le mercredi 15 septembre. Le jeudi 16, je passais la nuit chez ma mère : Des rumeurs épouvantables circulaient, disant qu’on massacrait les gens dans le camp. Mais nous ne les avons pas crues. Le quartier était plein de gens qui venaient avec les mêmes nouvelles. »
Q. - : Qui étaient ces gens ?
R. - : « Des Palestiniens du camp de Chatila. Ils fuyaient leurs quartiers. On en a abrité autant que l’on pouvait dans le sous-sol de l’immeuble. La plupart sont repartis à l’aube. C’était des femmes, des enfants, des civils. Cette nuit-là, on a vu des centaines de fusées éclairantes au-dessus du camp. Nous nous sommes couchés quand même, ne sachant pas très bien ce qui se passait. Samedi matin, vers 6 h 30, mon neveu me dit : "Mon oncle, les Israéliens sont arrivés, ils sont là dehors !" Je me suis levé en toute hâte pour aller leur parler, leur expliquer qu’il n’y avait que des civils, que nous n’étions pas armés. Je voulais leur parler gentiment, poliment, pensant qu’après tout c’était une armée régulière, qui ne voulait donc pas de mal aux civils. A l’entrée de l’immeuble, un des soldats nous crie : "Sortez, sortez tous dehors, sortez de l’immeuble." J’ai alors dit à nos voisins : "Venez, venez, ce sont les Israéliens. Ils ne vont rien nous faire." En approchant d’eux, nous avons vu sur leurs uniformes le cèdre libanais et l’inscription en arabe : « Les Forces Libanaises". Dès lors, on n’a plus discuté. Ils nous ont dit d’avancer vers la place. Croyant qu’il s’agissait de la place de Sabra, on y est resté. Mais ils criaient : « Pas ici, l’autre place, plus bas." Ils étaient très grossiers, très violents. Ils nous insultaient en nous faisant avancer. Comme on protestait qu’on était Libanais, ils disaient : « Que faites-vous parmi les Palestiniens ?" On leur a expliqué que nous habitions le quartier, que c’était nos maisons. Ils nous ont dit : « C’est votre faute, vous n’aviez qu’à chasser les Palestiniens." On leur a répondu : « Et comment voulez- vous qu’on les chasse ? Ils habitent ici. Et où voulez-vous qu’on les chasse ?" Ils nous ont rassemblés sur la place avant de nous ordonner de nous mettre de nouveau en marche. Il y avait des vieux, des femmes, des enfants. Certains vieux ne pouvaient pas marcher, il a fallu les porter. Ceux qui ne marchaient pas assez vite recevaient des coups de crosses. Certaines femmes portaient deux gosses à la fois. Des Palestiniennes ont essayé de refiler leur bébé à des Libanais. Mais des soldats les ont aperçus et ont arraché le bébé.
En traversant le camp nous avons vu les cadavres éparpillés, des morts partout... Alors seulement on a compris que les rumeurs de la veille étaient vraies. On les a crues enfin, parce qu’on a vu de nos propres yeux les cadavres, les cadavres de vieux surtout, des hommes de plus de cinquante ans. On a vu des bulldozers au travail. Il y avait encore des membres humains qui pendaient accrochés aux dents du bulldozer, des jambes, des entrailles, et les bulldozers déblayaient des monceaux de cadavres. On a continué à marcher jusqu’à la sortie du camp. Là, les soldats ont dit : « Les femmes d’un côté et les hommes de l’autre." Alors on s’est mis à crier : « Que voulez-vous faire de nous ? Nous sommes Libanais !" Que voulez-vous faire de nous ?" Ils répondaient avec des injures : « Allez, fils de ..., vous en avez assez fait contre nous !" Je leur disais : « Mais nous sommes Libanais !" Ils répliquaient : « Alors comment se fait-il que vous habitiez parmi eux ? Tu es devenu Libanais, maintenant ? Fils de ..." Ils nous ont mis en rangs et ils nous ont fait marcher vers l’ambassade du Koweït. En cours de route, ils attrapaient l’un ou l’autre d’entre nous et le jetaient par terre. Ils l’obligeaient à mettre son visage dans le sable et les mains sur la tête. Puis un gros type très costaud courait et venait sauter sur le dos du type étendu. Le type hurlait de douleur. Puis ils recommençaient avec un autre. »
Q. - : Est-ce que quelqu’un désignait la personne qu’on sortait du rang ?
R. - : « Non, pas du tout, ils choisissaient dans le tas. Un jeune homme que je connaissais avait eu le malheur de dire qu’il ne connaissait pas de combattants parmi nous. Ils lui sont tombés dessus de plus belle : « Alors, fils de ... tu ne connais personne maintenant ?" Le malheureux avait une chaîne en or et un porte-clefs. Ils les lui ont arrachés. Devant moi, un vieux avait du mal à avancer. Un des soldats m’a donné un coup de poing en me disant : « Bouge !" Je n’ai pas réagi. Je ne l’ai même pas regardé, de peur qu’il ne me jette par terre et ne me piétine comme les autres. J’en ai vu une quarantaine comme ça. Ils leur sautaient sur le dos en répétant qu’ils leur briseraient la colonne vertébrale... Tout le long de la route il y avait des soldats des ’Forces Libanaises’ dans des jeeps. Ils nous injuriaient et nous criaient après comme à un troupeau de moutons ou de vaches. Nous, on était morts de peur, on avait peur qu’ils nous tirent dessus à la moindre protestation. Alors on n’ouvrait pas la bouche. Arrivés à l’ambassade du Koweït, ils nous ont livrés aux Israéliens. »
Q. - : Les soldats Israéliens voyaient ce qui se passait ?
R. - : « Bien sûr puisque l’armée israélienne occupait l’ambassade du Koweït qui surplombe le camp et d’où l’on voit parfaitement toute l’entrée du camp et en particulier la route qu’on nous a fait prendre pour y arriver. A partir de l’ambassade du Koweït ce sont les Israéliens qui nous ont pris en charge. Ils nous ont fait marcher en rang. On leur a demandé où ils nous emmenaient, ils ont dit : « Vous allez voir« et ils nous insultaient eux aussi. Sur la route qui mène à la Cité Sportive, une bombe a explosé. Une mine ou une bombe, je ne sais pas. Une dizaine d’entre nous sont tombés. Trois ne se sont pas relevés, les autres étaient blessés. Les soldats libanais nous ont crié de nous mettre à plat ventre. Les blessés qui saignaient couraient dans tous les sens. Les soldats tiraient et ils continuaient à courir. Nous, on était à plat ventre. Puis on nous a dit de nous lever et de continuer. On leur a dit : « Mais il y a de mines, on ne veut pas sauter sur les mines.« Et les soldats ont crié : « Alors, fils d ... vous savez qu’il y a des mines ici." "Non, on ne sait pas, mais on vient d’en voir une sauter." Des soldats israéliens qui étaient stationnés pas loin nous ont vus et ont voulu secourir les blessés. Les soldats des ’Forces Libanaises’ ont essayé de les empêcher et leur ont crié de partir. Mais ils ont quand même emmené les plus mal en point, les mourants. Les autres ont dû marcher avec nous. »
Q. - : Combien étiez-vous ?
R. - : « A peu près deux mille au départ. Mais arrivés au stade on n’était plus que mille trois cents à peu près. Les autres ont été ou bien tués ou bien emmenés je ne sais où dans des camions. Et puis il y a ceux qui ont sauté sur la mine. A la hauteur du Club d’équitation, avant la Cité Sportive, il y en a qui ont essayé de s’échapper derrière les dunes de sable. Alors les Israéliens leur ont crié dans un mégaphone "Ne fuyez pas maintenant, les hommes de Saad Haddad vont vous attraper et vous tuer. Restez ici, on va tamponner vos papiers." On avait soif, on avait faim, on était debout depuis des heures. Il était 10 h 30. Ils nous ont promis à boire et à manger une fois arrivés à la Cité Sportive et ils nous disaient qu’il valait mieux rester avec eux, sinon ils ne répondaient pas de nos vies à cause des éléments armés libanais. On a finalement accepté de les suivre. Et à l’intérieur du stade, ils nous on apporté de l’eau dans une citerne. Les soldats israéliens regardaient le résultat des bombardements, de leurs bombardements. Ils admiraient leur travail. Puis ils nous ont donné du pain sucré. Il n’y en avait pas assez. Un pain pour vingt personnes à peu près. Ils ont ensuite demandé aux vieux d’aller ramener les jeunes qui restaient au camp. Une centaine ont été ainsi ramenés. Ils venaient dans l’espoir qu’une fois leur carte tamponnée, on ne les arrêterait plus.
Ils se sont mis alors à prendre les hommes un à un à l’interrogatoire. Moi, l’officier qui m’a interrogé était barbu et portait des lunettes. Il m’a demandé mon nom, ma nationalité, ma profession. C’était un officier israélien, mais il parlait l’arabe avec l’accent palestinien. Comme j’étais Libanais, il m’a laissé tranquille. Les Palestiniens, eux, étaient davantage questionnés, et s’ils étaient jeunes et costauds, on les emmenait je ne sais pas où. Puis ils en ont ramené un qui s’est mis à dénoncer ceux qui étaient en rapport avec les fédayins ou qui avaient porté des armes. Ceux qu’il dénonçait, vingt-cinq ou trente à peu près, ont été emmenés et je ne sais pas ce qu’ils en ont fait. Vers 14 h 10, ils ont dit qu’ils allaient nous relâcher et qu’ils nous abandonneraient même si on était des « terroristes". Et ils nous ont relâchés sans tamponner nos papiers. Moi j’ai retrouvé ma femme qui m’attendait dehors en pleurant. On est rentré à la maison par Fakhani pour ne pas passer devant l’ambassade du Koweït. »
Q. - : Et les autres ?

R. - : « Ça dépend. Mon voisin l’épicier, qui était sorti du camp avec moi, m’a raconté qu’ils avaient été jetés par terre et battus, lui et son fils. Je lui ai demandé comment il s’en était sorti. Il m’a dit qu’on avait voulu les emmener dans un camion. Ils étaient en train de remplir deux camions, mais il n’y avait pas de place pur tout le monde. Alors, ceux qui restaient de trop, on leur a dit de rejoindre les autres à la Cité Sportive (*). Un autre m’a dit qu’ils l’avaient emmené dans une des pièces, sous les gradins du stade, et qu’ils l’avaient battu avec une cravache.
Q. - : Et ta femme ?

R. - : « Elle était venue avec une soixantaine de femmes nous chercher à la Cité Sportive. Elles ont attendu longtemps à l’entrée. Les soldats leur interdisaient l’accès du stade. Elles pleuraient parce qu’elles ne savaient pas si on était vivants ou pas, A un moment, un officier israélien est arrivé en jeep et leur a dit : "Celles j’entre vous qui nous amènent la reddition d’un combattant de votre quartier, nous libérons leur mari." Elles ont bien sûr dit qu’il n’y avait plus de combattants dans le camp. Alors l’officier leur a dit d’attendre.

Oum Ahmed Farhat est la mère de dix enfants. Quatre d’entre eux, âgés de 1, 2, 6 et 13 ans ont été tués, ainsi que son mari. Sa fille aînée de 18 ans est paralysée à vie. Elle-même a reçu deux balles dans le dos, mais elle a repris son travail à la maison dès le lendemain du massacre. Elle fait un grand effort pour parler et n’arrive pas à retenir ses larmes.

Q. - Qu’est-ce qui s’est passé, Oum Ahmed ?

R. - « On dormait dans la chambre, mon mari, huit de mes enfants et moi. Il y avait aussi notre voisin qui était venu dormir chez nous à cause des bombardements de la veille. Vers cinq heures du matin, un groupe d’hommes armés est arrivé et ils nous ont donné l’ordre de sortir. Nous sommes sortis en pyjamas, cha­cun portant l’enfant qu’il trouvait près de lui. J’ai des enfants en bas âge, de 1 et 2 ans. Une fois dehors, ils ont demandé à mon mari sa nationalité. Il a dit qu’il était Palestinien de 48 et qu’il était réparateur de téléphone. Il a dit aussi qu’il était infirme d’un bras. Le type a levé la mitraillette pour le frapper en l’insultant et en disant qu’il était un "terroriste". Puis il nous a donné l’ordre de nous mettre face au mur sans regarder ni à droite ni à gauche. Puis ils ont tiré sur nous plusieurs rafales. Moi je portais mon fils de deux ans. Je l’ai entendu crier "Yaba" ("Père !") juste avant que son crâne n’éclate. Moi j’ai reçu deux balles dans l’épaule. Les traces de son cerveau sont encore sur le mur. Et de sa petite sœur aussi, qui était sur l’épaule de sa grande sœur et qui a aussi reçu une balle dans la tête. »

Q. - Quel âge avaient les enfants ?

R. - « Leyla était la plus petite. Elle avait un an. Puis Sami deux ans, et puis Farid six ans, et puis Bassem 13 ans. Mon mari aussi a été tué, il avait 47 ans. Les autres étaient blessés, comme moi. J’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillée, les hommes armés étaient partis. Ma blessure saignait beaucoup. Ma fille aînée était gravement blessée et ne pouvait pas marcher. L’autre, Salwa, était blessée à l’épaule mais elle pouvait marcher. Tous les autres étaient morts. Alors on s’est mises debout, Salwa et moi, et on a réussi à grand peine à marcher en direction de l’hôpital. En chemin, le bon Dieu a fait que nous rencontrions une jeune fille. Elle nous a aidées à rejoindre l’hôpital, en prenant les petites ruelles pour éviter de tomber sur les hommes armés. A l’hôpital Gazza on nous a donné les premiers soins, puis il y a eu des rumeurs sur l’arrivée des hommes de Saad Haddad ou des Phalangistes au café qui n’est pas loin de l’hôpital. J’ai décidé alors de quitter l’hôpital coûte que coûte. Je me suis souvenue de ma nièce à Saïda qui s’était réfugiée dans un hôpital que les Israéliens ont détruit sur ses occupants. Alors j’ai pris la fuite avec ma fille. Je la portais sur mon dos et je saignais mais j’étais décidée à ne pas rester là à les attendre. Nous nous sommes réfugiées dans l’entrée d’un immeuble. Et pendant que j’attendais que l’hémorragie se calme, un jeune homme qui connaissait mon fils m’a reconnue et il nous a secourues. »

Q. - Et les autres ?

R. - « Souad, ma fille aînée, qui était gravement blessée, est restée par terre devant la maison jusqu’à ce que les secouristes viennent samedi matin et l’emmènent en civière. Elle est restée toute la journée de vendredi et toute une nuit à saigner par terre. Personne ne pouvait aller la secourir, parce qu’ils étaient encore en train de massacrer, Elle est toujours à l’hôpital. La plupart des balles ont atteint la colonne vertébrale et les médecins disent qu’elle va rester... paralysée... »

La voix d’Oum Ahmed se brise et ses larmes coulent lentement.

« Souad est très active, elle faisait tout à la maison. Je n’ose pas aller la voir, je n’ose pas la regarder en face et lui mentir. »

Q. - As-tu d’autres enfants ?

R. - « Oui, deux jeunes gens de 19 et 20 ans, et deux garçons plus jeunes de 8 et 12 ans. »

Q. - Où étaient-ils au moment du massacre ?

R. - « Les deux grands étaient à la maison jeudi après-midi et ils ont aperçu à partir de la terrasse des groupes d’hommes armés qui descendaient la colline surplombant le camp. Ils sont venus nous apprendre la nouvelle en courant. Leur père leur a dit alors d’aller dormir chez quelqu’un en ville, parce que les Israéliens accusent toujours les jeunes gens d’être des combattants. Quant à nous, nous pensions qu’étant des civils, des femmes et des enfants, les Israéliens ne s’attaqueraient pas à nous. Les deux petits, eux, étaient restés avec nous, mais ils ont réussi à se cacher dans les toilettes. Quand ils sont sortis, ils ont trouvé leur père et leurs frères morts. Puis les hommes armés les ont attrapés. »
Q. - (M’adressant au garçon de huit ans.) Où vous a-t-on emmenés ?R. - « Ils nous ont emmenés à l’Ambassade du Koweït puis à la Cité Sportive. Là, ils ont séparé les Libanais et les Palestiniens. Ils ont pris les jeunes gens et ils les ont tués. Ils ont tué des Libanais aussi. Et ils nous ont dit que si on ouvrait la bouche, ils nous tueraient un à un. »

Q. - Qui était-ce ? Des soldats libanais ou israéliens ?

R. - « Les deux ».

Q. - Et après ?

R. - « Après, ils nous ont laissé partir et j’ai été chez des parents, près du camp, où j’ai retrouvé ma mère. »

Oum Ahmed. - « Il se réveille encore toutes les nuits et il demande son père. »

Q. - Comment allez-vous faire pour vivre ?

R. - « Nous avions des économies. Sept mille livres (à peu près 10 000 FF). On les avait cachées parmi les langes du bébé jeudi soir en pensant que s’il fallait fuir, on les emporterait. »

Q. - Vous n’aviez rien entendu la veille ?

R. - « Oui, des gémissements la nuit. Les enfants regardaient la télévision chez les voisins. Je leur ai dit de rentrer à la maison. Il y avait beaucoup de fusées éclairantes dans le ciel. On avait peur d’aller voir ce qui se passait. On a eu tort de faire confiance à l’armée israélienne. Ils ont réussi à cacher les atrocités qu’ils ont commises dans les camps du Sud, à Rachidieh, à Aïn-el-Heloué et à Borj Chémali. Là-bas aussi ils ont massacré les gens. Nous on ne le savait pas encore. Depuis, nos parents sont venus de là-bas, et ils nous ont raconté. J’ai de la famille à Borj Ché­mali. Ils ont enterré les gens vivants dans les abris, ils ont employé des gaz mortels aussi. Mais tout ça ils ont réussi à le cacher à l’opinion mondiale. »

Ibrahim Moussa a 30 ans. Il vivait à Chatila avec sa jeune femme et ses trois enfants. Sa famille a péri dans le massacre et lui-même n’est encore vivant que par miracle. Il a reçu une dizaine de balles dans le corps, dont certaines n’ont toujours pas pu être retirées. L’entretien a eu lieu à l’hôpital où il est actuellement soigné.

Q. - De quoi te souviens-tu exactement ?

R. - « Je me suis réveillé mercredi matin au bruit des avions qui déchiraient le ciel. J’ai pensé qu’ils se dirigeaient vers la Békaa. J’ai été à mon travail qui n’est pas loin du camp. Là, les nouvelles commençaient à affluer : "Les Israéliens sont au rond-point Cola" - "Ils sont arrivés à l’Université Arabe". Je suis alors immédiatement rentré à la maison. J’y suis resté toute la journée avec ma femme et mes enfants. Le soir, les Israéliens avaient assiégé le camp. Jeudi matin, l’aviation a de nouveau survolé la ville à basse altitude, terrorisant la population. J’ai décidé de ne pas aller au travail. Il y avait des tirs sporadiques sur le camp à partir des positions israéliennes. A quatre heures de l’après-midi, le bombardement a commencé. J’ai pris ma femme et mes enfants et je les ai emmenés à l’abri qui est à quelques mètres de la maison. Tu sais, à Chatila les maisons ne sont pas solides alors je me suis dit qu’on serait plus en sécurité dans l’abri qu’à la maison. Plusieurs familles du quartier avaient eu la même idée. On a mis les femmes et les enfants en bas, les hommes et les vieux sont restés en haut. Il y avait un mouvement de "marée" dans l’abri, un va-et-vient continu. Les gens venaient et, voyant le surnombre, repartaient vers un autre abri. Il y avait à peu près 150 personnes dans cet abri de 3 mètres sur 4.
 En majorité des femmes et des enfants.

Vers 5 heures de l’après-midi, un obus est tombé tout près et notre voisine, qui était enceinte, a été touchée. Ils l’ont transportée à l’hôpital Gazza. Nous avons alors commencé à entendre parler de l’avance israélienne. Nous nous disions que nous nous rendrions et que nous serions des prisonniers civils. Il y avait les rumeurs sur un massacre dans le camp. Nous on écoutait la radio et on n’y disait rien. Vers 7 heures et quart, on a entendu des cris, mais on est resté prudemment dans l’abri. Mes enfants dormaient. Vers 7 heures et demie le propriétaire de ma maison appelle les hommes et leur dit de sortir de l’abri. Sur le seuil, je vois un homme en uniforme israélien et un autre qui m’interpelle : "Qui es-tu ?" je réponds : "Je suis plombier". Il me dit : "Je te demande quelle est la nationalité ?" Je lui réponds : "Je suis palestinien." Alors l’un d’eux me dit : "Sors, sors dehors". J’ai obéi et j’ai trouvé dans la rue des dizaines de jeunes et de vieux couchés à plat ventre et les mains sur la tête. A peu près une cinquantaine. II m’ordonne d’en faire autant. Je me couche par terre, la face contre le sol. Puis j’entends une dispute entre les femmes et les hommes armés, suivie de rafales en l’air et de menaces de mort. Puis j’entends un des hommes armés dire : « Prends les femmes au siège de la Croix Rouge". Je savais qu’il n’y avait pas de Croix Rouge dans le camp mais j’avais espoir qu’ils les épargneraient, je voulais croire qu’ils les épargneraient.
Une fois les femmes et les enfants partis, ils nous ont ordonné de nous mettre debout et ils ont vidé nos poches. Moi ils m’ont pris mon portefeuille et ma carte d’identité qu’ils ont ensuite jetés par terre. Puis ils nous ont alignés contre le mur et se sont mis à tirer. A ce moment, à 25 mètres de là, des hommes armés de notre camp ont surgi et il y a eu un accrochage. Profitant de la minute de panique, j’ai regardé autour de moi et j’ai vu que j’étais le dernier de la file alignée au mur et que les autres étaient par terre, morts ou blessés. Pendant un instant j’ai été pris de panique, je ne savais s’il fallait fuir ou rester. J’ai senti une grande chaleur qui montait de ma jambe et de mon bras. A ce moment une grenade a explosé et je me suis jeté par terre. Je pensais que j’étais mort ou plutôt en train de mourir. J’ai regardé tout autour, il n’y avait plus d’hommes armés. Par contre, il y avait beaucoup de blessés et de morts. J’entendais des gémissements. Un garçon de 13 ans, le dos au mur, saignait de la poitrine. Il étouffait à cause du sang qui lui montait à la gorge. Il toussait. Un autre blessé m’appela. Il me dit : "Aide-moi... Ils sont partis ?" J’ai fait un grand effort pour déplacer ma jambe blessée qui le coinçait et il est parti en me laissant là avec les autres. Un autre blessé qui me connaissait m’appelle par mon nom et me demande de l’aider. Je lui réponds que je suis blessé et que je n’arrive pas à me mettre debout. Je lui demande où est sa blessure et il me dit : "Au dos". Alors je lui dis : "Parlons au moins ensemble et on verra, ou bien je meurs avant toi ou bien toi avant moi." On a parlé un peu. Il a essayé de se redresser et de s’adosser au mur. Il a crié de douleur puis il a vomi beaucoup de sang et son corps s’est affaissé. Il devait être mort.

Moi je me retenais pour ne pas crier. La nuit commençait à tomber et j’étais entouré de cadavres. Près du mur où ils nous ont abattus il y avait une porte ouverte. Je me suis traîné et je suis entré dans la maison. J’ai trouvé un matelas sur lequel je me suis couché et j’ai couvert mon corps de couvertures. J’étais persuadé que j’allais mourir et je ne voulais pas que les rats dévorent mon cadavre. Je me rappelle qu’il y avait beaucoup de fusées éclairantes mais je ne voyais pas bien d’où elles venaient. J’essayais de ne pas trop bouger pour ne pas saigner davantage. J’ai entendu des voix dehors. Ils disaient qu’il y avait plein de morts à terre puis une femme a dit : "Partons avant qu’ils ne nous tuent". J’ai crié à l’aide mais personne ne m’a répondu. J’ai vu une cruche dans un coin de la pièce. J’ai rampé jusqu’à la cruche et j’ai bu. C’était presque un suicide car je savais que les blessés graves ne doivent pas boire. Mais je me suis dit "on verra bien si je survis". Je suis resté là toute la nuit. J’ai enlevé ma chemise et j’en ai fait un garrot au-dessus de ma blessure pour arrêter le sang, et je trempais un tissu et je le posais sur mon front et sur mes lèvres. A l’aube, j’étais exténué. J’avais perdu beaucoup de sang. Soudain, j’entends des pas très proches. Je pense alors que les miliciens ont occupé tout le camp et qu’ils achèvent les blessés. J’ai peur qu’on ne me torture, qu’on ne s’amuse avec mon corps. Je rampe jusqu’au coin le plus sombre et je me couvre avec tout ce que je trouve. Puis quelqu’un dit : "Entrons dans cette maison voir s’il y a quelqu’un, je vois du sang par terre". Je me suis mis à trembler, j’étais persuadé qu’ils allaient m’achever. Les pas se sont rapprochés et j’ai senti une main soulever les couvertures. J’ai ouvert les yeux et j’ai vu un visage familier. Un vieux que je connaissais de vue. J’ai respiré et je l’ai supplié de m’aider en lui expliquant que je ne pouvais pas bouger. Il m’a dit de patienter et de l’attendre parce que les hommes armés étaient encore dans les parages. Il est revenu un peu plus tard avec trois autres. Ils m’ont demandé s’il y avait d’autres blessés. J’ai répondu que je ne savais pas. Ils m’ont mis dans une couverture et m’ont transporté par les ruelles du camp. 11 y avait des francs-tireurs et on faisait très attention. Et j’ai été transporté de mains en mains jusqu’à l’hôpital Gazza. Là, j’ai raconté ce qui s’était passé. Après m’avoir donné les premiers soins, on m’a dit qu’on allait m’envoyer en ville parce que les hommes armés pouvaient attaquer l’hôpital. »

Q. - Et ta femme et tes enfants ?

R. - « Ma mère est venue me voir à l’hôpital. Je lui ai demandé des nouvelles de ma femme et de mes enfants. Je lui ai dit que je les avais entendus parler de Croix Rouge. Elle m’a répondu qu’il n’y avait pas de Croix Rouge dans le camp et qu’elle ne savait pas où ils étaient. Quand ma belle-mère est venue, elle m’a dit "Ta femme et tes enfants vont bien. Ils sont à la montagne et ils se reposent", le ne l’ai pas crue et je lui ai dit que s’ils étaient vivants ils seraient venus me voir à l’hôpital et que si sa fille ne venait pas d’ici 48 heures, je saurais qu’elle avait menti. Le lendemain j’ai vu sur une des photos du journal ma mère et ma belle mère en train de chercher parmi les cadavres . Quand elle est revenue me voir, |e l’ai insultée en lui disant qu’elle mentait, que j’avais vu sa photo dans le journal. Elle éclata en sanglots et m’avoua qu’il n’y avait pas de traces de ma femme et de mes enfants. Ma mère me demanda quels vêtements ils portaient le jour du massacre. Ma femme portait un jean et ma fille une robe rouge. Elle me dit alors qu’on a retrouvé un corps de femme difficile à identifier à cause des coups mais dont les vêtements pouvaient correspondre à ceux de ma femme. On a pourtant retrouvé les corps de plusieurs de nos voisins qui étaient avec ma femme et mes enfant« , mais pas les corps des miens. Il y a beaucoup de corps qu’on n’a pas encore trouvés. Ils doivent être dans les fosses communes qu’on n’a pas encore ouvertes. »

Q. - Quel âge avaient tes enfants ?

R. - « Rana l’aînée avait 5 ans, Moustapha 4 ans et le bébé Marwan 10 mois. Ma femme avait 23 ans. Les deux grands allaient à l’école et j’ai avec moi leurs carnets de notes. Ils étaient très appliqués et moi je les aidais à la maison le soir, je taquinais Moustapha en lui disant qu’il ne savait pas lire sans les illustrations. Alors il redoublait d’efforts pour m’impressionner. Marwan le dernier était très tendre, tous les matins il me réveillait en me caressant les cheveux. J’ai du mal à croire que je ne les reverrai pas. J’étais heureux avec ma femme. »

Q. - Que vas-tu faire maintenant ?

R. - « Je ne sais pas. J’ai toujours vécu à Chatila, j’ai grandi ici, je me suis marié à Chatila et j’ai tout perdu à Chatila. »

Q. - Quelles sont tes blessures ?

R. - « J’ai reçu 5 balles dans la main. Ce sont des balles explosives qui ont mis l’os à nu. J’ai une blessure à la taille et une autre au poumon. D’ailleurs la balle y est encore, ils ne peuvent pas la retirer. J’ai eu une autre balle dans le pied et encore une dans la cuisse. Une dizaine de balles dans le côté droit du corps de l’épaule jusqu’au talon. Ce qui m’a sauvé c’est que j’étais le dernier dans la file, et les rafales n’ont atteint que la moitié droite de mon corps. »

Q. - Tu es resté à Chatila pendant la guerre ?

R. - « Je m’étais réfugié ailleurs et je suis revenu il n’y a pas longtemps, pensant que tout était rentré dans l’ordre. Je ne pensais pas que les Israéliens entreraient à Beyrouth-Ouest et qu’ils y amèneraient ces hommes au cœur si plein de haine qu’ils massacrent les enfants. Nous n’imaginions pas que les Israéliens rentreraient dans le camp. Il y avait des garanties américaines, arabes, libanaises. L’armée libanaise avait le contrôle de la ville. Nous ne pensions pas qu’ils entreraient. »

Q. - Qui sont les auteurs du massacre, à ton avis ?

R. - « Tout ce que je sais c’est que c’est l’armée israélienne qui les a amenés, qu’ils avaient l’accent libanais et qu’ils portaient des uniformes militaires. » Mounir a 13 ans. Seul survivant de sa famille, il raconte : « Jeudi après-midi, il y avait beaucoup de bombardements, on est descendu dans l’abri. J’étais avec ma famille, et il y avait aussi mon oncle maternel et ses dix enfants, et notre voisin et ses enfants. Il y avait beaucoup de monde, surtout des femmes et des enfants. Les hommes armés sont arrivés et nous ont forcés à sortir. Ils ont aligné les hommes contre le mur et ils les ont abattus puis ils nous ont emmenés, nous, les femmes et les enfants, à Doulchi. Là, il y a eu un accrochage. L’un d’eux est devenu fou, il criait : "Ils ont tué mon frère, mon frère est touché !" Et il s’est mis à tirer sur nous. Ma mère, mon frère et mes sœurs ont été touchés. Moi, j’ai été touché à la jambe et une balle a effleuré ma tête sans me blesser. »

Q. - Combien y avait-il de personnes de ta famille ?

R. - « Il y avait mon père, ma mère et mes trois sœurs, l’aînée de mes sœurs avait 6 ans, mon oncle, sa femme et ses dix enfants. »

Q. - Que leur est-il arrivé ?

R. - « Mon père a été fusillé. Ma mère a été blessée près de moi et de mes sœurs. Puis les hommes armés ont dit : "Les blessés, levez-vous, on va vous emmener à l’hôpital." Moi, j’étais blessé, ma mère aussi. Je lui ai dit à voix basse de ne pas les croire, de rester couchée. Mais quand elle a vu les autres se lever, elle s’est levée elle aussi. Ils les ont mis contre un mur et ils les ont fusillés. »

Q. - Et tes sœurs ?

R. - « L’une d’elles portait des boucles d’oreilles. Ils lui ont dit : « est ce que c’est de l’or ou du cuivre ? » Elle leur a répondu que c’était du cuivre. Alors ils se sont fâchés et ils lui ont dit : "Fille de p... c’est du cuivre, ça ?" Puis ils lui ont ordonné de fermer les yeux, ils lui ont arraché les boucles d’oreilles et ils l’ont abattue sur-le-champ. Mes cousins, ils les ont abattus aussi avec d’autres enfants qui étaient avec nous. Je les ai entendus dire : "Ceux-là, quand ils grandiront, deviendront des combattants, il faut les tuer." Et ils les ont tués. »

Q. - Et toi ?

R. - « Moi ? J’ai fait semblant d’être mort. Puis ils sont partis et je me suis endormi. Puis ils sont revenus et l’un d’eux avait une torche électrique. Il a vu que je continuais de respirer alors il m’a de nouveau tiré dessus. Il a visé ma tête. J’avais la main sur la joue, alors la balle m’a coupé un doigt mais ne m’a pas touché la tête. Toute la nuit je suis resté là, dans la flaque de sang. Le lendemain matin, ils sont revenus et l’un d’eux a dit : "Regardez celui-là, il est encore vivant, il tremble." Alors ils ont tiré sur moi. Une balle a touché le sol et l’autre a touché mon bras. J’ai fait semblant d’être mort. Il y en avait un qui voulait tirer sur mol une troisième fois mais son ami lui a dit : "Ça y est, il est mort." Quand ils sont partis, j’ai été me réfugier dans une maison vide. J’ai enlevé mes habits qui étaient pleins de sang et j’en ai mis d’autres que j’ai trouvés là-bas. Eux, ils ont été à côté voler des voitures. Je suis resté dans la maison en attendant que la douleur se calme et que le sang s’arrête de couler. Ils ont fait soudain irruption dans la maison où je me cachais et ils m’ont dit : "Tu es encore là ? On va te tuer." Ils ont pris leurs fusils mais l’un d’eux a dit : "Laissez-moi lui poser une question. Tu en libanais ou palestinien ?" J’ai répondu que j’étais libanais. Alors il m’a dit d’aller m’asseoir dans la chambre. Dès qu’ils sont partis j’ai pris la fuite par les petites ruelles. Je connais les ruelles et je savais qu’elles menaient près de la maison de mon oncle. Là, j’ai rencontré un garçon qui me connaissait. Il m’a porté jusqu’au cinéma Al-Chark et de là une voiture m’a emmené à l’hôpital Gazza. »

Q. - Tu as remarqué ou entendu quelque chose pendant que tu te cachais ?

R. - « Oui, je les ai entendu dire : "Quelle mauvaise odeur, c’est l’odeur des cadavres..." Et j’ai entendu des bruits de tanks ou de bulldozers, je ne sais pas Du côté de l’Ambassade du Koweït. »

Mounir est très faible. Il a perdu beaucoup de sang et souffre de ses blessures. Su voix est difficilement perceptible et je préfère ne pas le fatiguer davantage.
Oum Hussein, un bébé chétif de deux mois dans les bras, est installée avec ses enfants dans une salle de classe d’une école secondaire de Beyrouth Ouest. Des centaines de familles de Chatila et Sabra vivent ainsi dans des écoles aménagées d’urgence en centres de secours. Oum Hussein a perdu son mari et deux de ses fils dans le massacre. Sa maison a été détruite au bulldozer.

Q. - : Tu es Palestinienne ?

R. - : « Je suis Palestinienne de 48. J’habitais Chatila depuis cinq ans. Avant, j’habitais près de la Cité Sportive. »

Q. - : Quand as-tu quitté Chatila ?

R. - : « Jeudi, les avions israéliens survolaient Beyrouth en faisant un bruit terrible. Ils ont encerclé le camp et leurs chars ont commencé à nous bombarder. Vers 6 heures, les bombardements se sont intensifiés. On a été se réfugier dans l’abri avec nos voisins. Plus tard, une trentaine d’hommes armés sont arrivés et se sont mis à tuer les gens. On a couru se cacher. Au moment de fermer la porte, ils ont fait irruption en disant : "Pourquoi vous nous fermez la porte au nez ? Où pensez-vous pouvoir vous cacher ?" Puis ils nous ont alignés contre le mur en séparant les hommes des femmes et des enfants. Et ils ont abattu les hommes devant nous. Il y avait mon mari Hamid Moustapha qui n’avait que quarante-sept ans. Mon fils Hussein de quinze ans et mon fils Hassan de quatorze ans. Il y avait aussi le fils et le frère de notre voisine, et d’autres aussi. En tout sept hommes qu’ils ont abattus et mis les uns sur les autres devant la maison. Puis ils ont vidé leurs poches, volé leurs montres et tout ce qu’ils portaient. Puis ils ont creusé une fosse et les ont enterrés. »

Q. - : Avec quoi ont-ils creusé la fosse ?

R. - : « Avec des bulldozers. Les Israéliens leur ont donné des bulldozers. Ils leur ont illuminé le camp toute la nuit et leur ont apporté à manger aussi. »

Q. - : Et vous, les femmes et les enfants, qu’ont-ils fait de vous ?

R. - : « Ils nous ont emmenés près de la Cité Sportive. Ils nous ont obligés à passer la nuit là-bas, sur le sable, sans couvertures. Il y avait des phalangistes et des Israéliens. Ils nous interrogeaient de temps en temps : « Que fait ton mari ? Où est ton mari ?" Je leur répondais qu’on venait de le tuer à la maison avec les autres. « Et tes enfants ?" Mes enfants aussi ont été tués. Il ne reste que mes trois filles et les quatre petits. Le plus jeune, le voilà, il a deux mois, vous ne voulez pas le tuer lui aussi ? »

Q. - : Vous n’aviez pas d’armes dans le camp pour vous défendre ?

R. - : « Les armes, on les a sorties du camp, et les combattants ont été évacués. On nous a laissés désarmés et sans défense. Il y avait soi-disant des garanties que personne ne nous attaquerait. Mais ils ont menti. »

Q. - : Qui ça, ils ?

R. - : « Les Américains, les Européens, les Arabes. »

Q. - : Pourquoi n’êtes-vous pas partis ailleurs, pourquoi n’avez-vous pas fui quand l’armée israélienne est arrivée ?

R. - : « Quand on a annoncé la mort de Bachir Gemayel, certains ont préféré fuir le camp. Ils avaient peur que quelque chose n’arrive. Nous, on venait à peine de se réinstaller dans le camp. Une semaine plus tôt. On avait passé les trois mois du siège de Beyrouth dans cette même école. D’ailleurs, mon bébé est né ici, dans cette classe, où il n’y a ni eau, ni cuisine, ni salle de bains. On était tellement heureux d’être de nouveau chez nous, à Chatila, après l’arrêt des bombardements. On n’était pas disposés à errer de nouveau dans les rues de Beyrouth pour y chercher refuge. Alors on est restés, croyant que du moment qu’on était sans armes et qu’il n’y avait plus de combattants, l’armée israélienne ne nous ferait pas de mal. Et puis on a pas du tout pensé qu’on nous ferait payer pour l’assassinat de Bachir Gemayel. Après tout, ce ne sont pas les Palestiniens qui l’ont tué. C’est une affaire entre eux. Ils se sont disputés et ils l’ont tué. En quoi sommes-nous responsables ? On a rendu nos armes, on a fait confiance aux autorités libanaises, Abou Ammar a signé un accord avec le gouvernement pour que personne ne touche aux camps après le départ des combat tants. On a fait confiance. Résultat ? On est trahi. Ils tuent même les femmes et les enfants. J’ai vu de mes propres yeux un bébé de moins d’un an dans les bras de sa mère. Elle était morte et il pleurait sans arrêt. Alors ils lui ont tiré dessus mais il n’est pas mort. Alors un des hommes armés s’est énervé, il l’a arraché à sa mère morte en disant qu’il le prenait à l’hôpital. Plus loin, il l’a étranglé et l’a jeté sur le sable, je l’ai vu par terre en passant. J’ai vu aussi sur le chemin une femme qui avait les mains ligotées et qui avait peut-être été violée. Ses vêtements étaient déchirés et elle avait dû être traînée longtemps avec la corde avant d’être tuée par un coup de hache. C’était un spectacle insoutenable. »

Q. - : Comment es-tu sortie finalement ?

R. - : « Après une nuit passée près de la Cité Sportive, ils nous ont donné l’ordre de marcher sur la route. Ils savaient qu’elle était minée et ils voulaient qu’en marchant nous les fassions sauter. Mais nous, on faisait attention à ne pas marcher sur les fils. Puis ils nous ont laissés partir. On a d’abord essayé de se cacher dans un immeuble à Falkani, mais les habitants libanais ont eu peur et nous ont suppliés d’aller ailleurs. Alors on est partis, et sur la route on a arrêté une voiture qui noua "emmenés au jardin public de Sanayeh d’où la Croix-Rouge Internationale nous a pris pour nous ramener ici, dans cette école, où nous nous étions déjà réfugiés pendant le bombardement de Beyrouth en juillet.
Et voilà ma vie, d’exode en exode. Mais aujourd’hui je suis ici, sans mon mari et sans mes fils. J’ai huit enfants. Que vais-je faire d’eux. Je n’ai personne pour m’aider. Ma maison a été détruite. Où vais-je aller ? C’est ça que veut l’Amérique ? C’est ça que veut Israël ? Et les pays arabes sont d’accord ? Ils ont éloigné nos combattants, ils ont tué nos hommes, que veulent-ils encore de nous ? »

Q. - : D’où es-tu originaire ? As-tu de la famille au Liban ?

R. - : « Je suis de Ablin, dans la région de Haïfa. J’ai quitté mon village en 48. J’ai un frère au Liban, mais il est porté disparu depuis le début de la guerre, lui et sa famille, et je suis sans nouvelles d’eux. Ils habitaient Jiyeh. »

Q. - : Ton bébé est très pâle...

R. - : « Comment veux-tu qu’il ne le soit pas. Il est né ici pendant le siège Beyrouth et depuis il n’a pas eu de vie normale. Quant à moi, avec toutes ces émotions, je n’ai pas assez de lait et je n’ai pas les moyens de le prendre chez le médecin. » En partant, je lui souhaite une meilleure santé pour son enfant ; elle me répond : « Et pourquoi veux-tu qu’il vive ? Pour qu’on vienne me le tuer quand il aura vingt ans ? ».

A SABRA ET CHATILA

DU MERCREDI 15 AU SAMEDI 19 SEPTEMBRE 1982

Mercredi 15 septembre

5 h : Les phantoms israéliens franchissent le mur du son au-dessus de Beyrouth et préludent à grand fracas à la violation des accords Habib qui garantissaient que l’armée israélienne ne rentrerait pas à Beyrouth Ouest. 7 h : L’armée israélienne avance sur quatre axes :
  De l’aéroport vers le rond-point Chatila.
  De l’ambassade du Koweït vers Fakhani.
  Du port vers l’hôtel Normandie.
  Du musée vers la corniche Mazraa.

Le prétexte invoqué par les Israéliens : protéger la population de Beyrouth Ouest contre d’éventuelles représailles des milices chrétiennes à l’assassinat de Bachir Gemayel.

18 h : Les chars israéliens prennent position aux principaux carrefours. Ils encerclent les camps de Sabra et Chatila au sud, à l’ouest et à l’est. Le quatrième côté est celui du quartier Fakhani. L’armée israélienne installe son Q.G. dans un immeuble de huit étages à cinquante mètres du camp.

Jeudi 16 septembre :

5 h : Les avions israéliens survolent de nouveau Beyrouth Ouest, terrorisant la population.

7 h : Les chars israéliens avancent dans Ras Beyrouth, Hamra et Mazraa. Des combattants du Mouvement National opposent, dans certains points, une résistance farouche à leur progression. Dans les camps de Sabra et de Chatila, encerclés depuis la veille, les premiers obus commencent à tomber. Ils sont tirés par les tanks qui tiennent les hauteurs environnantes. Au Q.G. israélien, du haut de l’immeuble de huit étages, voisin de l’ambassade du Koweït, on observe le camp qui s’étale en contrebas.
La population des camps se terre chez elle. Un conseil se tient réunissant les personnes âgées et respectées par l’ensemble des habitants du camp. Ce conseil des « sages » décide d’envoyer une délégation aux responsables militaires israéliens chargée de leur expliquer qu’il n’y avait plus de combattants dans les camps, que les soldats Israéliens pouvaient rentrer vérifier eux-mêmes et qu’il ne restait que des civils, en majorité des vieux, des femmes et des enfants. La délégation désignée, comprenant quatre hommes d’un âge respectable, se dirige vers l’ambassade du Koweït. On ne les reverra plus jamais. On retrouvera leurs corps quelques jours plus tard près de l’ambassade. Il s’agit de : Abou Ahmad Saïd, 65 ans, Abou Soueid, 62 ans.

15 h : Les bombardements sur les camps s’intensifient. Les habitants préfèrent se réfugier dans les abris. Plus de trois cents personnes se retrouvent parfois dans un seul abri. D’autres se réfugient à l’hôpital Akka.

17 h : Les bombardements redoublent. A l’hôpital Akka, quelqu’un avance l’idée d’envoyer une délégation de femmes et d’enfants. Ils ne sont pas au courant de l’initiative précédente, et encore moins du sort de l’autre délégation. C’est Saïd, l’employé égyptien de la station d’essence, qui conduit celle-là. Avec lui, une cinquantaine de femmes et d’enfants portant des drapeaux blancs se dirigent vers le Q.G. israélien. Eux non plus ne reviendront pas.

17h 30 : Des camions et des jeeps remplis d’hommes armés en uniformes militaires passent devant les baraquements de la caserne Henri-Chéhab occupée par l’armée libanaise. Ils se dirigent vers les camps et sont tout de suite remarqués par des réfugiés Palestiniens habitant Bir Hassan. Ces derniers, terrorisés, vont demander des explications au poste israélien. On leur répond qu’il n’y a rien à craindre et qu’ils doivent rentrer chez eux. Peu rassurés, ils préfèrent aller dor­mir dans un immeuble désaffecté non loin de là.

17 h : Les premiers éléments armés s’infiltrent dans le quartier Arsal au sud de la Cité Sportive. Armés de haches et de couteaux, ils rentrent dans les maisons et massacrent ceux qui s’y trouvent. Il n’y a pas de coups de feu. Les habitants n’osent pas sortir des maisons ou des abris à cause des tirs sporadiques et des bombardements. Les éléments armés avancent lentement, laissant un sillage de mort sur leur passage. Ils traversent la rue principale du camp et pénètrent dans Horch Tabet. Ils obligent les gens à sortir des abris, séparent les hommes des femmes et des enfants. Alignées contre les murs les victimes sont abattues à bout portant.

20 h : La nuit est tombée, le ciel est blanc de lumière, des centaines de fusées éclairantes illuminent le camp (trois par minute affirmera plus tard un Israélien). On entend vaguement des rafales de coups de feu, mais personne n’ose sortir, les francs-tireurs tirent sur tout ce qui bouge. Seuls les blessés se traînent jusqu’à l’hôpital Akka, en face de Horch Tabet.

Les blessés arrivent dans le courant de la nuit. Ils racontent qu’il y a un massacre dans le camp. La plupart sont atteints par des balles tirées à bout portant. Pendant ce temps, à l’hôpital Gazza, les blessés affluent par dizaines. Ils racontent que des éléments armés libanais assassinent les civils, hommes, femmes et enfants. Le docteur Swee Chai Khoo Any, chirurgien de nationalité britannique, dit qu’une trentaine de blessés graves sont morts avant d’avoir pu être secourus. Plus d’une centaine furent soignés, ou même opérés sur place. D’autres envoyés à l’hôpital Makassed. Toute la nuit, sans relâche, l’équipe médicale de l’hôpital de Gazza soigne les blessés qui arrivent par vague successive. D’autre part, l’hôpital s’emplit de réfugiés qui fuient les massacres. Il y en a bientôt plus de deux milles entassés dans les corridors, dans le sous-sol, dans l’entrée.

Vendredi 17 septembre
5 h : A l’aube, quelques-unes des femmes qui faisaient partie de la délégation de la veille, reviennent à l’hôpital Akka, les cheveux défaits, les habits en lambeaux ; elles ont été violées, le plus grand nombre a été tué devant l’ambassade du Koweït par des hommes armés libanais. En quelques instants, l’hôpital se vide, ceux qui s’y étaient réfugiés prennent la fuite. Restent les médecins, les infirmiers et quelques blessés.
8 h 30 : Trois personnes sont abattues devant l’hôpital Akka. L’une d’entre elles se traîne jusqu’à l’hôpital et les infirmiers, sous une pluie de balles, vont récupérer les corps dans la rue.

11 h : Une assistante sociale norvégienne, Anru Sunde, est interpelée par deux miliciens qui se disent phalangistes. Ils lui intiment l’ordre de faire sortir tous les étrangers qui travaillent à l’hôpital Akka. Toute l’équipe médicale étrangère : deux Français, une Philippine, une Norvégienne, un Égyptien, une Finlandaise, une Srilankaise, est rassemblée manu militari et reçoit l’ordre de marcher jusqu’à l’entrée de Chatila. Un pédiatre palestinien, docteur Sami Khatib, fait ainsi partie du groupe. Deux infirmières, l’une Norvégienne et l’autre Australienne restent à l’hôpital pour s’occuper des blessés et de cinq nourrissons paraplégiques. A l’entrée du camp de Chatila, le chargé d’affaires norvégien les attend, il emmène dans sa voiture les ressortissants norvégiens et va jusqu’à l’hôpital prendre les nourrissons malades. Les autres membres du personnel sont libérés, le docteur Sami Khatib, quant à lui, est ramené à l’hôpital pour y être abattu, ainsi que le docteur Ali Osman, autre médecin palestinien qui était resté sur place. Autres victimes : une infirmière palestinienne de vingt ans, Intissar Ismaïl, violée et tuée, le cuisinier égyptien, tué avec plusieurs autres employés.

Après le départ des médecins, les miliciens entrent dans l’hôpital et interrogent les blessés. Un jeune blessé de quinze ans, Moufid Assad est emmené â l’extérieur, on lui tire une balle dans le cou et on lui assène un coup de hache. Les blessés libanais sont épargnés.
Pendant ce temps, le massacre à l’intérieur du camp continue. Des familles entières sont exterminées, sans distinction. Plusieurs familles libanaises sont du nombre. La famille Mokdad, famille libanaise du Nord, perd trente-neuf de ses membres, en majorité des femmes et des enfants. Entre autres des femmes enceintes : Zeinab Mokdad, enceinte de huit mois, llham Mokdad (neuf mois), Wafa Mokdad (sept mois), trois jeunes femmes de moins de trente ans ont été retrouvées mutilées, le ventre ouvert et le fœtus arraché jeté près d’elles. Zeinab avait six enfants, Wafa quatre, la fille de Ilham, âgée de sept ans, a été violée avant d’être assassinée.

Les occupants de certains abris contenant de cent à deux cents personnes sont sauvagement exécutés et détroussés du contenu de leurs poches, et de leurs montres, bracelets, colliers et boucles d’oreilles.

Des bulldozers sont déjà à l’œuvre. Ils ramassent les corps pour les jeter dans les fosses communes préparées à cet effet. Ou bien ils démolissent les constructions sur les corps pour les ensevelir sous les décombres.

12 h  : L’administrateur du Croissant Rouge Palestinien réussit à joindre le centre de la Croix-Rouge Internationale à Hamra et demande une protection pour l’hôpital Gazza et les civils qui s’y étaient réfugiés ainsi qu’une relève pour l’équipe médicale exténuée par un travail ininterrompu de plus de vingt-quatre heures. Ni le C.I.C.R. ni l’hôpital Makassed également contacté n’accèdent à sa demande, par crainte des obus que les Israéliens continuent à tirer sur cette route. Le Croissant Rouge revient seul à l’hôpital et décide d’évacuer les réfugiés et le personnel palestinien. N’y restent que les blessés et le personnel étranger, soit une vingtaine de médecins et infirmiers.

14 h : Averti par l’équipe médicale étrangère de l’hôpital Akka, le C.I.C.R. se rend sur les lieux et trouve les cadavres des membres du personnel et des blessés abattus. Ils évacuent les blessés restants vers d’autres hôpitaux de Beyrouth.

17 h : Les ambulances du C.I.C.R. pénètrent dans Chatila et amènent de l’aide à l’équipe de l’hôpital Gazza (deux médecins et deux infirmiers) ainsi que des vivres et des couvertures. Elles ramènent avec elles les blessés graves. Des femmes essayent de leur con­fier leurs bébés. En vain, seuls les blessés sont évacués.

20 h : La nuit tombe. Les fusées éclairantes illuminent de nouveau le ciel. Beyrouth Ouest est entièrement sous contrôle israélien. Les voitures civiles des Services de Renseignement Israéliens sillonnent la ville et des dizaines d’arrestations sont opérées. Les communications entre la banlieue Sud où se situent les camps et le reste de la ville sont presque inexistantes. Les barrages israéliens dissuadent les quelques téméraires qui s’aventurent de ce côté. Les nouvelles des massacres commencent à parvenir mais il est impossible de les vérifier.

Samedi 18 septembre
6 h 30 : Les miliciens font irruption dans l’hôpital Gazza et somment l’équipe médicale étrangère de sortir. Tous les médecins et infirmiers (deux Suédois, un Finlandais, un Danois, quatre Allemands, trois Hollandais, quatre Anglais, deux Américains, une Irlandaise et une Française) sont emmenés jusqu’à la sortie de Chatila. Un technicien de laboratoire palestinien essaie de partir avec eux. Il est arrêté et emmené derrière un mur. Un coup de feu est entendu quelques instants plus tard. On retrouvera son corps à cet endroit le lendemain. Le Dr. Pier Michlumshagen, orthopédiste norvégien, affirme : « nous avons vu des bulldozers démolir des maisons et ensevelir les cadavres sous les décombres ».
Dr. Paul Morris, chirurgien britannique, dit qu’il était impossible de ne pas voir ce qui se passait dans le camp à partir du Q.G. Israélien.
Tout le groupe est amené au Centre des Forces assaillantes situé dans les locaux de l’immeuble des Nations Unies voisin de l’ambassade du Koweït. Ils y subissent un interrogatoire avant d’être livrés aux Israéliens. Ces derniers se comportent avec correction et assurent ne pas être au courant de ce qui se passe. Les médecins en profitent pour exiger de retourner à l’hôpital y retrouver leurs malades. On leur donne un laissez-passer écrit en hébreu. Comme ils s’étonnaient, l’officier israélien leur garantit la validité de ce laissez-passer pour les milices libanaises. Un médecin et un infirmier reprennent le chemin de l’hôpital. Les autres sont déposés en jeeps à l’ambassade des États-Unis.
7 h : Les miliciens entreprennent de vider les camps de tous ceux qui y restaient encore.
La veille, un groupe d’hommes s’était désespérément défendu à l’entrée de Sabra près du cinéma Al-Shark et avait stoppé l’avance des assaillants à la hauteur du marché. Les haut-parleurs invitent les familles à sortir de chez elles et à se rassembler dans la rue principale. Pensant avoir affaire à l’armée israélienne, la plupart des civils de ce dernier quartier sortent avec des drapeaux blancs. Deux à trois mille personnes arrivent ainsi dans la rue principale qui traverse le camp. Ils réalisent alors qu’ils ont affaire à des miliciens libanais arborant les insignes des Phalanges ou ceux de Saad Haddad. Ils aperçoivent aussi les innombrables cadavres qui jonchent les rues. Mais il est trop tard pour faire marche arrière. Parmi eux, beaucoup de familles libanaises qui protestent. On les fait taire brutalement. Puis on les fait tous avancer en rangs vers l’entrée Sud du camp de Chatila. Ils découvrent les charniers tout le long de la rue principale et dans les ruelles perpendiculaires. A mi-chemin, on sépare les hommes des femmes et des enfants. Les femmes se mettent à hurler. Quelques rafales les font taire. La marche continue, et de temps en temps, quelques hommes sont placés devant un mur et abattus. Les bulldozers sont à l’œuvre. D’un coup sec, les piliers de chaque habitation cèdent et le tout s’effondre, camouflant un entassement de cadavres. A proximité de l’ambassade du Koweït, près du Q.G. israélien, il n’y a plus de maisons, mais deux grandes fosses communes de part et d’autre de la rue.

A partir de là, l’ordre est d’avancer en direction de la Cité Sportive. Pas pour tous, des hommes, choisis dans le tas, sont entassés dans deux camions stationnés devant l’ambassade du Koweït. Il n’y a pas assez de place pour tous. Le surplus est sommé de se coucher face contre terre et de ne pas regarder la direction prise par les camions. Puis ils doivent rejoindre les autres à la Cité Sportive, non sans subir, en cours de route, coups et vexations de toutes sortes.

Des mines (ou des bombes à fragmentation) explosent en chemin, blessant ou tuant certains, et donnant à d’autres l’occasion de fuir. A partir du rond point qui se trouve après l’ambassade du Koweït, ce sont les soldats israéliens qui prennent en charge les prisonniers. Ils les emmènent à la Cité Sportive où est entrepris le « triage » entre Libanais et Palestiniens. Les jeunes Palestiniens sont emmenés dans des niches situées sous les gradins. On ne sait pas ce qui est advenu de la plupart d’entre eux. Des secouristes ont retrouvé, quelques jours après, des corps méconnaissables, pieds et poings liés, dans un état de décomposition avancé. Quelques identifications sont possibles grâce aux habits. Les médecins de l’hôpital Gazza reconnaissent le corps d’un enfant qui était à l’hôpital jusqu’au vendredi 17 septembre entre 10 et 11 heures. Le Stade était alors sous le contrôle exclusif de l’armée israélienne. Quant à ceux qui ont été emmenés par les camions, leur sort est toujours inconnu.
Journée du samedi
Les journalistes et les photographes affluent. Horrifiés, ils filment des images de massacre collectif, des monticules de cadavres gonflés et qui sifflent en grillant sous un soleil de plomb. Les traces de mutilations, les cordes liant les membres, les vêtements déchirés, les scalps, les éborgnements témoignent des sévices et des tortures qui ont accompagné le massacre. Même des chevaux ont été abattus. Une odeur insupportable submerge tout le monde. Des femmes hagardes errent parmi les cadavres, à la recherche d’un fils, d’un mari, d’un enfant. Certains corps sont là depuis trois jours. Il faut les enterrer au plus vite. On n’a pas le temps ni pour les décompter ni pour les identifier. Les équipes de secouristes du C.I.C.R., de la Croix-Rouge Libanaise, de la Défense Civile, des Scouts Musulmans, de l’armée libanaise, se mettent au travail. On creuse une énorme fosse. On lit à la hâte la « Fatiha », la première sourate du Coran, courte prière sur des amas de chair non identifiables, des cadavres mutilés qui resteront à jamais sans noms. Combien y en avait-il ? On ne le saura jamais. Il n’y a eu aucune coordination entre les différentes équipes de secours. L’horreur et la peur ont fait s’effectuer le travail le plus hâtivement possible. Le spectacle était insoutenable.
D’autre part, il y a tous ceux qu’on n’a pas déterrés, ceux qui ont été ensevelis sous les maisons détruites et déblayés avec les décombres par les bulldozers qui ratissaient le camp, ceux qui avaient déjà été jetés dans les fosses communes (trois au moins) creusées par les auteurs du massacre. Déjà, vendredi après- midi, un journaliste norvégien s’était trouvé nez à nez avec un bulldozer qui portait dans sa benne une charge de cadavres emmêlés. Les fosses où ces corps ont été entassés n’ont pas été ouvertes. Elles risquent même d’être définitivement enfouies sous les nouveaux immeubles qui sont actuellement en construction au sud du camp. Il y a enfin tous ceux qui ont été emmenés en camions et dont on a trouvé en partie les corps entre Beyrouth et Damour, à Ouzaï, Khaldé, Naameh, Haret el Naameh, Jiyeh et Damour... lieux où les secouristes n’ont pas osé s’aventurer à cause de la présence de l’armée israélienne.

Les habitants des camps de Sabra et de Chatila sont certains que le chiffre réel des victimes s’élève à cinq mille personnes, sept mille avec les disparus.

Voudra-t-on seulement les croire ?

Revue d’études Palestiniennes n°6 Hiver 1983

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