dimanche 1 avril 2012

« Printemps Arabe a Gaza » ?


Regain de tension avant un « Printemps de Gaza » ?
[ 31/03/2012 - 09:06 ]
Sarah Mousa - Al Jazeera

Les griefs des Palestiniens peuvent entraîner une réaction encore plus forte que dans les autres pays du Printemps arabe.

Funérailles d’un combattant palestinien tué par les Forces israéliennes en 2000 (début de la deuxième intifada)
Le Caire - Tandis que les soulèvements arabes étaient inspirés au moins en partie par le silence, voire la complicité de gouvernements arabes quant aux aux souffrances du peuple palestinien, les événements des dernières semaines ont montré que peu de choses ont changé. Les Gazaouis se sont accoutumés à vivre dans des conditions désespérées, en particulier depuis le blocus international de 2006 du territoire, à la suite de la victoire du Hamas aux élections législatives.
L’opération israélienne Plomb Durci de décembre 2008 à janvier 2009 - connue dans le monde arabe sous le nom de Massacre de Gaza - a dévasté la bande, faisant au moins 1.400 morts et marquant le territoire et ses habitants, physiquement et physiologiquement, d’une manière qui demeure tangible pour tous ceux qui vivent à Gaza ou s’y rendent en visite.
Ces opérations militaires et l’échec des gouvernements arabes à conduire une riposte font enrager le public arabe. Le gouvernement égyptien a été une cible particulièrement visée par cette indignation. La chute de Moubarak n’a cependant pas entraîné les changements globaux que le peuple espérait. Les événements de ces dernières semaines dans la bande de Gaza, notamment la longue crise du carburant et les frappes de l’aviation israélienne illustrent que le Printemps arabe jusqu’à présent a échoué à transformer la politique régionale en ce qui concerne le conflit israélo-palestinien.
La crise actuelle concerne l’entrée de carburant à Gaza par les tunnels souterrains depuis la péninsule égyptienne du Sinaï. Ces tunnels sont cruciaux pour la survie des habitants, et l’activité commerciale passant par ces tunnels a considérablement augmenté depuis le début du blocus, qui a virtuellement paralysé la production locale. Pour certains les tunnels sont importants comme source d’emploi, spécialement parce que les alternatives sont largement limitées aux partis politiques ou aux organisations non gouvernementales.
Survivre
Bien que le chômage soit élevé à Gaza, les salaires procurés par les groupes politiques du Hamas et du Fatah - lequel continue à verser des compensations aux loyalistes malgré leur incapacité à travailler pour le parti basé en Cisjordanie - ainsi que par les ONG, innombrables dans ce petit territoire, assurent l’essentiel de la survie des populations. Les tickets de nourriture distribués par les ONG et les écoles de l’Office onusien de Secours et de Travaux garantissent que les besoins basiques d’une population souvent jeune sont souvent satisfaits.
Habituellement le vrombissement des groupes électrogènes utilisés au cours des coupures quotidiennes d’électricité et le bourdonnement des drones israéliens sont omniprésents. Mais ces dernières semaines ont été particulièrement éprouvantes pour les Gazaouis. Une crise du carburant commencée mi-février a laissé les habitants privés du carburant nécessaire pour faire fonctionner leurs groupes électrogènes, et les coupures qui en ont résulté durent jusqu’à 12 heures ou plus par jour. Avant la crise, la principale source de carburant pour Gaza était l’importation clandestine d’Egypte. Le gouvernement du Hamas, qui reçoit peu de fonds, taxe lourdement tous les biens arrivant par les tunnels, y compris le carburant.
Un différend avec le gouvernement égyptien à propos de la taxation du carburant et pour savoir quel gouvernement devait collecter cette taxe a mené à l’arrêt complet des importations. L’intervention du gouvernement du Fatah de Cisjordanie n’a fait que compliquer la situation puisqu’il suggérait que le carburant entre dans la bande de Gaza par la frontière israélienne. Ce qui signifiait une forte hausse du prix du carburant, le gouvernement cisjordanien collectant les taxes plutôt que celui de Gaza, et la quantité de carburant importée dépendant de la bonne volonté du gouvernement israélien. Le voyage en Egypte du leader du Hamas Khaled Mechaal n’a pas pu résoudre la crise.
La pénurie d’électricité à Gaza n’est pas seulement associée aux privations du quotidien mais elle présente un grave problème humanitaire quand il s’agit de répondre aux besoins fondamentaux, notamment les soins de santé et la conservation des aliments. Au milieu de cette crise, une série de frappes aériennes israéliennes ont touché le territoire et fait des dizaines de morts et de blessés. Alors qu’Israël prétend qu’il s’agissait d’assassinats ciblés, la liste des victimes comporte des enfants et d’autres civils innocents. Les souvenirs des Gazaouis - notamment ceux des femmes, enfants et personnes âgées - qui ont été témoins des frappes traduisent le profond traumatisme engendré par ces attaques et par d’autres activités militaires dans la bande de Gaza.
Un Printemps arabe palestinien ?
Au début du Printemps arabe, d’aucuns suggéraient que les Palestiniens seraient parmi les premiers à se lever, étant donné leur histoire de révolte et la dureté de leur existence sous l’occupation et le blocus. En effet il y eut quelques efforts populaires en vue d’une réconciliation entre Hamas et Fatah l’an dernier ainsi qu’un premier pas vers des objectifs plus importants. Mais lorsque les deux groupes politiques signèrent un accord de réconciliation sous médiation égyptienne, les protestataires sentirent qu’ils touchaient au but et se retirèrent. Un an après, l’accord est loin d’être concrétisé. D’autres formes de protestation, notamment des grèves de la faim par des prisonniers palestiniens, sont peut-être le signe d’une plus importante opposition - mais elles pourraient aussi bien faire partie, plus ordinairement, de la panoplie des actes de résistance menés par un peuple sous occupation.
Certains Gazaouis suggèrent qu’il y a bien trop de choses en jeu pour que les Palestiniens protestent, et que la barrière de la peur est plus élevée qu’ailleurs. Le fait que les moyens de subsistance dépendent d’une faction politique ou d’ONG dont les donateurs, et en particulier les Etats-Unis, n’apprécieraient guère les protestations, est un élément de dissuasion possible aux changements. En outre la jeune génération de Gazaouis, contrairement aux autres jeunes de la région, a expérimenté directement les traumatismes de la guerre au cours de l’invasion de 2009. Certains à Gaza disent que cela limite leurs ambitions à la satisfaction des besoins élémentaires, plutôt qu’à la revendication de leurs droits.
Il n’en est pas moins évident que la marée du changement dans la région parviendra finalement en Palestine. Alors que les Palestiniens sont habitués à voir leurs droits bafoués, la profanation de leurs besoins élémentaires pourrait hâter la rébellion. Pendant la crise du carburant, le gazoduc égyptien dans le Sinaï qui apporte le carburant à Israël et à la Jordanie a été bombardé pour la treizième fois cette année. Ces bombardements répétés sont un rappel de la réprobation du public égyptien contre la politique de ses dirigeants à l’égard de la Palestine et de l’Egypte. Tandis que les Egyptiens, de même que d’autres populations arabes, demeurent occupés par leurs propres révolutions, un temps viendra où ils seront à nouveau attentifs aux souffrances de Gaza.
Les motivations pour un soulèvement palestinien sont impérieuses. Comme le commentait un manifestant égyptien après le manque d’indignation populaire suivant le massacre à Port Saïd - une centaine de tués il y a un mois : les gens de cette région sont incroyablement patients, mais leurs réactions à retardement ont été et seront immenses. Dans le cas palestinien, et particulièrement à Gaza, les obstacles à la protestation sont encore plus importants - mais l’accumulation des griefs de la population peut entraîner une réaction plus forte que partout ailleurs dans le monde arabe.
* Sarah Mousa est diplômée 2010 de l’Ecole Woodrow Wilson en Politique publique et internationale à l’Université de Princeton et boursière Fulbright 2011-2012 en Egypte.

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