Le vrai visage d’Israël
« Il y a des citoyens arabes dans l’Etat d’Israël.
C’est notre principal souci. Qu’on en finisse à Gaza ? Qu’on en finisse en
Judée et en Samarie [en Cisjordanie]. Nous nous retrouverons alors face à notre
principal souci ». Déclarait Gideon Azra,
ministre de l’Environnement, du parti Kadima, 2004.
Par Julien Salingue.
(Doctorant en sciences politiques à Paris, militant du
mouvement de solidarité avec la Palestine, réalisateur du film Palestine, vivre libre ou mourir et
co-réalisateur du film Samidoun.)
Jonathan Cook est un journaliste britanique installé à
Nazareth. Dans son livre Blood and
Religion, the Unmasking of the Jewish
and Democratic State (que l’on traduire par Le sang et la religion: le vrai visage de l’Etat juif et démocratique),
il propose une approche originale de la question palestinienne au prisme de
l’étude de la situation d’un groupe fréquemment ignoré, les Palestiniens
d’Israël, souvent improprement appelés « Arabes israéliens ».
Un « mur de
verre »
La minorité palestinienne en Israël, estimée à 1.3 millions
de personnes (soit un peu moins d’un cinquième de la population israélienne),
se compose des Palestiniens qui sont demeurés dans les terres conquises par
Israël en 1947 – 1949, et de leurs descendants. Pour Cook, la façon dont Israël
traite cette minorité et les mesures radicales qu’une grande partie de l’establishment sioniste souhaiterait prendre à son encontre
sont révélatrices de l’indépassable contradiction entre la réalisation du
projet sioniste d’établissement d’un Etat juif en Palestine et la satisfaction
des droits nationaux du Peuple palestinien.
Soumis à loi martiale de 1949 à 1966, Les Palestiniens
d’Israël jouissent depuis 1967, en théorie, des mêmes droits que tous les
israéliens. En Théorie seulement car, comme le démontre Cook dans la première
partie de son livre, les discriminations, si elles ne sont plus inscrites dans
la loi, persistent et se développent. Du ministère des affaires religieuses qui
n’attribue que 2% de son budget aux communautés palestiniennes d’Israël et qui
refuse d’accorder des crédits pour les cimetières « non-juifs » aux
nombreuses municipalités qui n’utilisent pas l’arabe pour la signalisation
routière, le cas de discrimination institutionnelle sont légion. Si l’on ajoute
la discrimination à l’embauche, au logement ou la faiblesse des crédits alloués
par l’Etat pour le développement économique et social des villes et villages
arabes, voire la non-reconnaissance de leur existence, se dessine un système de
discriminations para-légales que Cook appelle un « mur de verre », en
référence aux murs de béton et de barbelés érigés autour des villes de
Cisjordanie et autour de la bande de Gaza. Un « mur de verre » car, s’il n’enferme pas les Palestiniens d’Israël
physiquement, il les enferme bel et bien dans un statut de sous-citoyens,
il demeure invisible et autorise Israël à affirmer être un Etat démocratique et
non discriminatoire.
Un Etat « juif et
démocratique » ?
Au-delà du constat de l’existence du « mur de verre », Cook entreprend
de montrer dans la seconde partie de son ouvrage que les politiques
discriminatoires vis-à-vis des Palestiniens sont inhérentes au projet sioniste
et souvent assumées par les dirigeants israéliens au nom de l’intérêt supérieur
de la construction de l’Etat juif. Ainsi
Ariel Sharon affirmait en 2002 que tandis que les juifs jouissent des droits sur la terre d’Israël, les Palestiniens
jouissent des droits dans
l’Etat d’Israël. On comprends mieux pourquoi la revendication démocratique
élémentaire portée par Azmi Bishara, ancien député palestinien à la Knesset, de
la transformation d’Israël en un « Etat de tous ses citoyens »,
effraie tous ceux qui tentent de dissimuler qu’Israël, loin d’être « juif
et démocratique » est plutôt, selon le mot d’un autre député, Ahmed Tibi,
« démocratique
à l’égard des juifs et juif à l’égard des arabes ». Ainsi se révèle, selon Cook, le vrai visage du
projet sioniste : à l’image des Palestiniens d’Israël et leurs droits
nationaux sont un obstacle à l’édification d’un Etat juif en Palestine. D’où
l’enfermement dans un statut de sous-citoyens, constamment accusés de conspiration
contre Israël, phénomènes qui se sont accélérés depuis septembre 2000 et qui
font l’écho à la répression, l’enfermement et à la « bantoustanisation »
qui s’opèrent en Cisjordanie et à Gaza.
Si le rêve sioniste d’un « Grand Israël », débarrassé de la
population palestinienne, a fait long feu, certains dirigeants israéliens,
agitant la menace démographique, n’hésitent pas à comparer les Palestiniens d’Israël
à un « cancer »
(remarque personnelle : des
sous-carcers, alors.) qu’il faut traiter de manière radicale. Des partisans de
l’expulsion massive, représentés notamment par le vise-Premier ministre Avigdor
Lieberman, à ceux qui, comme Ehud Olmert, envisagent de se
« séparer » des zones arabes les plus densément peuplées (à l’image
de ce qui s’est passé avec Gaza et qui risque de se passer avec les cantons de
Cisjordanie), il existe un large consensus pour affirmer que l’avenir des
Palestiniens d’Israël ne serait pas en Israël. Le livre de Cook, malheureusement pas encore
traduit en français (à ce jour), fournit de précieux éléments d’analyse pour
qui soutien le combat des Palestiniens. L’2tude de la situation des
Palestiniens d’Israël démontre, pour l’auteur, qu’aucune résolution de la
« question palestinienne » ne sera possible sans un examen critique
radical des structures et des fondements de l’Etat d’Israël.
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