lundi 28 janvier 2013

L’urbicide de Jérusalem



Source ILAN PAPPE   Historien Israélien (Fayard)
basé sur les archives militaires de la Haganah
« LE NETOYAGE  ETHNIQUE  DE  LA PALESTINE » :
Sur une population largement sans défense 


L’urbicide de Jérusalem  (I) :

Jérusalem fut aussi thésaurisée par le nettoyage ethnique de la Palestine : comme le dit un livre récent de Salim Tamari, la « Ville éternelle » s’est rapidement transformée en « ville fantôme ».
Les soldats juifs ont pilonné, attaqué et occupé les quartiers arabes de l’Ouest en avril 1948. Les Palestiniens les plus riches  -tel que le firent les juifs d’Europe centrale-  avaient quitté ces terres prospères aux paysages enchanteurs quelques semaines auparavant.
Les autres ont été expulsés de leurs maisons qui, aujourd’hui encore, témoignent du raffinement architectural des quartiers que l’élite palestinienne avait commencé à construire hors des murs de la Vieille Ville à la fin du XIXe siècle. Ces dernières années, quelques-uns de ces chef-d’œuvre ont commencé à disparaître : la fièvre de l’immobilier, l’argent facile, l’excentricité architecturale des nouveaux riches et la cupidité des promoteurs ont uni leurs forces  pour transformer ces élégantes zones résidentielles en rues bordées de villas monstrueuses et palais extravagants, à l’intention des juifs américains qui affluent à Jérusalem dans leur vieux jours.
Les troupes britanniques étaient encore en Palestine quand ces quartiers ont été nettoyés et occupés, mais elles sont restées à l’écart et ne sont pas intervenues. Comme si aucune comparaison n’était possible  avec l’Holocauste.  Sauf, on se demande pourquoi, dans un seul d’entre eux, Cheikh Jarrah. – le premier quartier palestinien construit en dehors des murs de la Vieille Ville, où se trouvaient les domiciles des grandes familles de notables, comme les Husseini, les Nashashibi  et les Khalidi – Les instructions données aux forces juives en avril 1948 étaient très claires : « Occuper, le quartier et détruire toutes les maisons ». L’attaque de nettoyage commença le 24 avril 1948, mais fit arrêtée par les britanniques avant d’avoir pu atteindre pleinement ses objectifs. Nous avons un témoignage capital sur ce qui c’est passé à Cheikh Jarrah, celui du secrétaire du Haut Comité arabe, le docteur Hussein Khalidi, qui y résistait : les télégrammes désespérés qu’il envoyait au mufti étaient souvent interceptés par le renseignement sioniste et on été conservés aux archives israéliennes. Khalidi fait savoir que les soldats britanniques ont sauvé le quartier, à l’exception de vingt maisons que la Haganah a réussi à faire sauter. Ce cas montre à quel point le sort de nombreux Palestiniens eût été différent si les soldats britanniques étaient aussi intervenus ailleurs, comme ils étaient tenus de le faire au vu des obligations que leur fixaient la charte du Mandat et les termes de la résolution de partition de l’ONU.



L’urbicide de Jérusalem  (II) :

L’inaction coupable des britanniques.
L’inaction britannique a été la règle, cependant, ainsi  que le soulignent les appels frénétiques de Kahlidi au sujet des autres quartiers de Jérusalem, en particulier dans la partie occidentale de la ville. Ces zones subissaient des pilonnages répétés depuis le 1er janvier, et là, contrairement à ce qui c’est passé à Cheik Jarrah, les britanniques ont joué un rôle vraiment diabolique : ils ont pris leurs armes aux quelques habitants palestiniens qui en avaient, en promettant de protéger les populations contre les attaques juives, après quoi ils sont immédiatement revenus sur leur promesse.
Dans l’un de ses télégrammes du début de janvier, le docteur Khalidi écrivait à al-Hadj Amin, au Caire, qu’une foule de citoyens en colère manifestait presque tous les jours devant sa maison : ils cherchaient un dirigeant, appelaient à l’aide. Des médecins présents parmi eux disaient à Kahlidi que les hôpitaux étaient submergés de blessés, manquaient de linceuls pour couvrir les cadavres. C’était l’anarchie totale et les gents étaient en pleine panique.
Mais le pire reste à venir. Quelques jours après l’attaque avortée contre Cheikh Jarrah, à l’aide des mêmes obus de mortier de 76 mm que ceux utilisés à Haïfa, les quartiers palestiniens du nord et de l’ouest de Jérusalem furent soumis au pilonnage incessant. Seul Shu’fat tint bon et refusa de se rendre. Katamon tomba dans les derniers jours d’avril. Yitzhak Lévy, chef du renseignement de la Haganah à Jérusalem, se souvient : « Tandis que le nettoyage de Katamon était en cours, les pillages et les vols ont commencé. Des soldats et des citoyens y on pris part. ils entraient dans les maisons et prenaient les meubles, les vêtements, les appareils électriques et les produits alimentaires. »
L’entrée en jeu de la Légion arabe jordanienne changea la situation, et les opérations de nettoyage furent arrêtées à la mi-mai 1948. Des Jordaniens avaient déjà participé aux combats antérieurs en qualité de volontaires, contribuant ainsi à ralentir l’avance juive, notamment pendant la conquête de Katamon, qui avait nécessité des combats acharnés dans le monastère de Saint-Simon. Mais, en dépit de leurs efforts héroïques    - c’est le terme qu’emploient Lévy et ses amis – pour défendre les quartiers palestiniens de l’Ouest, ils ont échoué. Globalement, huit quartiers palestiniens et trente-neuf villages ont subi le nettoyage ethnique dans la région du grand Jérusalem, et la population a été transférée dans la partie est de la ville. Aujourd’hui, les villages ont disparus, mais certaines des plus belles maisons de Jérusalem sont encore debout, désormais habitées par des familles juives qui les ont prises immédiatement après l’éviction de leurs anciens propriétaires – rappel muet du sort tragique de ces derniers.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire