PARTAGE DE LA
PALESTINE DU POINT DE VUE JURIDIQUE
Causes de nullité de la résolution du partage
de la Palestine
2. Empiétement sur la souveraineté
du peuple palestinien (18)
En raison des vicissitudes que la
Palestine a subies durant les cinquante dernières années, et principalement en
raison du démembrement de l'Empire Ottoman à la fin de la première guerre
mondiale, il semble nécessaire en premier lieu de parler brièvement de la
question de souveraineté sur la Palestine.
Avant l'occupation de la Palestine
en 1917-1918 au cours de la première guerre mondiale, la Palestine formait une
partie intégrante de la Turquie. Les habitants de la Palestine, Musulmans,
Chrétiens et Juifs, jouissaient de droits égaux avec les Turcs. La constitution
turque ne faisait aucune discrimination entre Turcs et Arabes ou entre
Musulmans, Chrétiens et Juifs. Les Turcs et les Arabes partageaient la
souveraineté sur tous les territoires de l'Empire Ottoman sans distinction
entre provinces turques ou provinces arabes. Cette situation demeura jusqu'au
détachement des provinces arabes de la Turquie à la fin de la première guerre
mondiale.
L'occupation militaire britannique
de la Palestine en 1917-1918 ne conféra aucun droit de souveraineté à la
puissance occupante et ne priva pas le peuple palestinien de sa souveraineté. A
part le fait que le droit international moderne ne reconnait pas se
souveraineté à la l'occupant, l'objectif déclaré des Puissances Alliés durant
la guerre n'était pas l'acquisition de territoires au Moyen-Orient. Cela
ressortait d'une façon évidente des assurances et des promesses faites alors
aux Arabes par les puissances Alliés concernant leur indépendance éventuelle de
la Turquie.
Le Pacte de la SDN écarta aussi
toute idée d'annexion du territoire de la Palestine, ainsi que d'autres
territoires arabes et, comme nous l'avons déjà remarqué, il reconnut
l'existence du peuple palestinien et aussi de certains autres peuples détachés
de la Turquie "comme nations indépendantes".
Duncan Hall remarque :
- "La présomption d'une souveraineté nationale indépendante pour les mandats est la base de l'article 22. Les rédacteurs du Pacte prirent comme leur point de départ les notions générales de non-annexion et d'autodétermination"(19).
Il est à remarquer que la
renonciation par la Turquie à sa souveraineté sur les pays arabes en vertu de
l'article 16 du Traité de Lausanne du 24 juillet 1923 n'avait été faite ni en
faveur des Etats signataires, ni en faveur d'aucune autre puissance. Cela fait
contraste avec la renonciation à la souveraineté sur certaines îles en faveur
de l'Italie en vertu de l'article 15 du même Traité. Cette différence
s'explique par le fait que les peuples qui habitaient les provinces arabes
détachés de la Turquie possédaient déjà le droit de souveraineté sur leurs
propres pays et n'avaient pas besoin d'une renonciation en leur faveur,
contrairement à l'Italie qui ne pouvait acquérir de souveraineté sur les îles
qu'elle obtenait de la Turquie sans une renonciation de souveraineté en sa
faveur de la part de cette dernière.
(18) En ce qui concerne la question de
souveraineté sur la Palestine, voir
Henry Cattan, Palestine, The Arabs and
Israël, Longmans, Londres, 1969, pp.242-275.
(19) H. Duncan Hall, op. cit., p. 80.
L'effet juridique selon le droit
international du détachement de la Palestine de l'Empire Ottoman et de la
reconnaissance de la SDN du peuple palestinien comme nation indépendante était
de constituer la Palestine en une entité politique indépendante et séparée de
la Turquie. Le peuple palestinien devenait ainsi un sujet de droit
international investi d'une souveraineté légale sur son territoire.
Il reste à voir maintenant si le
mandat britannique à privé le peuple palestinien de cette souveraineté. On a
beaucoup discuté pour savoir où réside la souveraineté dans les pays sous
mandat. Certains ont prétendu que la souveraineté résidait dans les principales
Puissances Alliés (20) ou dans la SDN (21) ou dans le mandataire (22) ou conjointement dans la SDN et le mandataire (23) ou dans les habitants du territoire sous mandat (24). Toutes les opinions émises à cet égard - sauf
celle qui reconnait la souveraineté aux habitants du pays sous mandat - ont été
rejetées ou discréditées.
Van Rees, le Vice-président de la
Commission Permanente des Mandats; à résumé la position en ces termes :
- "Enfin, un dernier groupe d'auteurs - divisé en deux fractions - le seul groupe qui à tenu compte du ^principe de non annexion adopté par la Conférence de la Paix, soutient que les auteurs du Pacte ont voulu tenir en suspens ou bien la souveraineté elle-même sur les territoires sous mandat pour une période équivalente à la durée des mandats respectifs (Lee D. Campbell, The Mandate for Mésopotamie and the Principle of trustership in English law, p. 19 ; A. Mendelssohn Bartholdi, Les Mandats Africains (traduction), Archiv für Politk und Geschichte, Hambourg, 1925) ou bien l'exercice des pouvoirs souverains dont furent provisoirement chargés certaines nations en qualité de tuteurs. D'après ce dernier point de vue la souveraineté elle-même serait détenue, depuis la renonciation des anciens Empires, par les communautés et les populations autochtones des différents territoires. En d'autres termes, les anciens Empires ayant renoncé à leurs droits en titres sur les territoires en question sans qu'il y ait eu transfert de ces droits et titres à d'autres Puissances, la souveraineté, qui appartient à ces divers peuples et communautés jusqu'au moment de leur soumission à l'Allemagne et à la Turquie, renaît automatiquement du fait de la renonciation susdite. (Paul Pic, Le régime des Mandats d'après le Traité de Versailles, RGDIP, Paris, 1923, p. 14 ; ALbert Millot, Les mandats internationaux, Paris, 1924, pp. 114-118 ; J. Stoyanovski, La Théorie générale des mandats internationaux, Paris, pp 83 et 86). (25)
(20) Haijer, Le Pacte de la Société des Nation, 1926, Spes, Paris, p. 374
(21) RedsIob, Le
Système des Mandats Internationaux, p. 196
(22) H. Rolin, Le Système des Mandants Internationaux,
Revue de Droit INternational et de
Législation Comparée, 1920, p. 302
(23) Quincy
Wright, Sovercignty of the Mandats, American
Jounal of International Law, 1923, p. 698.
(24) P. Pic, Le Régime du Mandat d'après le Traité
de Versailles, Revue Générale de Droit
International Public, Vol 30, 1923, p. 934 ; Millot, Les Mandats Internationaux, p. 91 ; Stoyanovky, La Théorie Générale des Mandats
Internationaux, p. 92.
(25) D.F.W. Van Recs, Les Mandats INternationaux, Rousseau, Paris 1927 p.20
D'ailleurs, le principe que la
souveraineté réside dans le peuple du pays sous mandat a été appliqué récemment
par la Cour de Cassation italienne en ce qui concerne un pays sous tutelle. (26)
On peut donc conclure que le
mandat britannique sur la Palestine n'a pas privé le peuple palestinien de sa
souveraineté. Durant le mandat, l'exercice de cette souveraineté était
suspendu, ou plutôt restreint, par les pouvoirs d'administration accordés à la
puissance mandataire. Mais à la dissolution de la SDN, les pouvoirs d'administration
du mandataire prirent fin en raison du fait que le mandat lui-même cessa
d'exister. Dès lors, par suite de la levée de cette restriction, le peuple
palestinien recouvra l'exercice de sa pleine souveraineté et devint libre de se
gouverner lui-même et de déterminer son propre destin selon les principes et
les procédures démocratiques.
Il s'ensuit que la résolution de
l'Assemblée Générale de l'ONU qui décida le partage de la Palestine en trois
territoires, un pour un Etat Arabe, un second pour un Etat Juif, et un
troisième pour la ville de Jérusalem, constituait un empiétement sur la
souveraineté du peuple palestinien. La résolution de partage ne pouvait
acquérir de valeur au point de vue juridique que si elle entérinée par un
plébiscite du peuple palestinien. Or, la majorité du peuple palestinien avait
proclamé sans équivoque son opposition au partage et dès lors l'Assemblée
Générale ne possédait aucun droit d'aller à l'encontre de sa volonté et de ses
aspirations.
La souveraineté est, selon les
termes de la Constitution Française du 3 septembre 1791, "une,
indivisible, inaliénable et imprescriptible". En application de ce
principe de portée universelle, on est forcé d'admettre que le peuple
palestinien conserve même aujourd'hui sa souveraineté sur tout le territoire de
la Palestine, malgré son partage et malgré son occupation.
L'empiétement sur la souveraineté
du peuple palestinien n'est pas seulement contraire aux principes du droit mais
il constitue aussi une infraction à la règle posée par l'article 2 (7) de la Charte. Cette règle met les affaires relevant
de la compétence nationale de chaque Etat à l'abri de toute intervention de la
part de l'ONU. Bien qu'en 1947 la Palestine était alors un Etat assujetti
provisoirement à un mandat, lequel d'ailleurs arrivait à la fin et de toute
façon n'affectait pas sa souveraineté, la question de son gouvernement futur
relevait exclusivement de sa compétence nationale. Ainsi les recommandations
faites en 1947 par l'Assemblée Générale concernant le gouvernement futur de la
Palestine et le partage du pays constitueraient non seulement une atteinte à la
souveraineté du peuple palestinien, mais aussi une intervention injustifiée
dans une affaire qui relevait exclusivement de sa compétence nationale.
(26) Società ABC v. Fontana
and Della Rocca, International Law
Reports, 1955, Vol. 22, p. 77.
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