Sur une population
largement sans défense
ILAN PAPPE Historien
Israélien, (aujourd'hui refugié à Londres)
La « Maison rouge » était un bâtiment
typique des premiers temps de Tel-Aviv. Construite dans les années 1920 par les
artisans juifs pour être le siège de l’union locale du syndicat ouvrier.
Jusqu’au jour où vers la fin de 1947 elle devint le Quartier général de la
Haganah. (La principale milice clandestine "terroriste" sioniste en
Palestine.)
L’appelait-on « rouge » à cause de
son association avec le mouvement ouvrier, ou de la teinte un peu pourprée
qu’elle prenait au soleil couchant ?
Dans cette maison le 10 mars 1948, onze hommes,
vieux dirigeants sionistes et jeunes officiers juifs, ont mis la dernière main
à un plan de nettoyage ethnique de la Palestine. Le soir même, des ordres ont
été aux unités sur le terrain pour préparer l’expulsion systématique des
Palestiniens des vastes régions du pays. Ces
ordres s’accompagnaient d’une description détaillée des méthodes à employer
pour évacuer les habitants de force : intimidation massive, siège et
pilonnage des villages et des quartiers, incendie des maisons, des biens, des
marchandises, expulsion et pose de mines dans les décombres pour empêcher les
expulsés de revenir. Chaque unité a reçu sa propre liste de villages et
quartiers ciblés, dans le cadre du plan global. Le « plan D » (en
hébreu Daleth) – tel était son nom de code –
Les dirigeants sionistes face à la présence de
tant de Palestiniens sur la terre que le mouvement national juif revendiquait
comme sienne le plan Daleth était clair et sans ambiguïté : ils devaient
partir. Pour citer l’un des premiers historiens à avoir remarqué l’importance
de ce plan, Simha Flapan, « la campagne militaire contre les Arabes, dont
la "conquête et destruction des zones rurales", était exposé en
détail dans le plan Daleth de la Haganah ». De fait, son objectif était la
destruction de la Palestine rurale et urbaine.
La
politique sioniste s’est d’abord fondée, en février 1947, sur une logique de représailles - après provocation – contre les attaques
palestiniennes ; puis en mars 1948, elle a pris l’initiative d’un
nettoyage ethnique à l’échelle du pays.
Une fois
la décision prise, près de 800 000 personnes – plus de moitié de la
population indigène de Palestine – avait été déracinée, 531 villages détruits,
11 quartiers vidés de leurs habitants. Le plan décidé le 10 mars 1948 et
surtout sa mise en œuvre systématique au cours des mois suivants ont été un cas
clair et net de ce « nettoyage ethnique » que le droit international
actuel considère comme un crime
contre l’humanité.
Dans
notre monde moderne, notamment depuis l’essor des medias électroniques, on ne
peut plus nier ou cacher à l’opinion publique les catastrophes crées par
l’homme. Un des ces crimes, pourtant, a été presque entièrement effacé de la
mémoire publique mondiale :
« La spoliation des Palestiniens par Israël en
1948.Cet événement, le plus fondamental de l’histoire moderne de la Palestine,
a été systématiquement nié ; il n’est toujours pas reconnu. »
Peut-être
est-il difficile de dire comment qualifier ou traiter, sur le plan du droit,
les initiateurs et les exécutants du nettoyage ethnique de 1948 en Palestine,
mais il est possible de reconstituer leurs crimes. Nous connaissons aussi les
noms des officiers supérieurs qui ont exécuté les ordres. Tous sont des figures
familières du panthéon de l’héroïsme israélien. Et jouaient, il n’y a pas si
longtemps, un rôle majeur dans la politique et la société israélienne.
Pour les Palestiniens, outre le traumatisme,
la frustration la plus profonde a été de voir constamment, depuis 1948, le
comportement criminel de ces hommes si radicalement nié et la souffrance
palestinienne si totalement ignorée.
La
reconstitution historique que le récit officiel israélien de 1948 avait tout
fait pour dissimuler et pour déformer. Le conte qu’avait concocté
l’historiographie sionisme parlait d’un « transfert volontaire »
massifs de centaines de milliers de Palestiniens. Les historiens palestiniens
dont le plus éminent est Walid Khalidi,
d’ont réussi à retrouver une large part de ce qu’Israël avait tenté
d’effacer. Confirmé par l’ouvrage de Michael Palumbo, dont le livre The Palestinian Catastrophe, publié en
1987, se fondait sur des documents de l’ONU.
Un petit
groupe d’historiens israéliens ont tenté de réviser le récit sioniste de la
guerre de 1948. Ilan Pappe en faisait partie mais « les nouveaux historiens » se
concentrant sur les détails, conformément à un travers typiques des historiens
de la diplomatie, ont marginalisé la lutte contre la négation de la Nakba.
Néanmoins en exploitant les archives militaires d’Israël, les nouveaux
historiens israéliens ont réussi à montrer combien était fausse et absurde la
thèse sioniste des « Palestiniens partis d’eux-mêmes ».
L’historien
israélien Benny Morris a été l’un des auteurs les plus en vue sur le sujet.
Comme il s’est exclusivement fondé sur des documents d’archives militaires, le
récit était partiel parce que Morris avait pris au pied de la lettre et
considéré comme vérité absolue les rapports militaires trouvés dans les
archives. Il a donc ignoré des atrocités comme l’empoisonnement de
l’alimentation en eau d’Acre par la typhoïde, de nombreux cas de viol et des
dizaines de massacres perpétrés par des soldats juifs.
Avant le
15 mai 1948 a une époque où les forces Britanniques étaient encore responsables
du maintien de l’ordre dans le pays, les forces juives avaient déjà réussi à
expulser par la violence près de 250 000 Palestiniens.
Aller
plus loin, d’autres avaient déjà commencé à le faire. L’ouvrage le plus
important, a été le livre de Walid Khalidi, All
That Remains. C’est un almanach des villages détruits, qui demeure un guide
essentiel pour qui veut mesurer l’ampleur de la catastrophe de 1948.
Dans son
livre Ilan Pappe voudrait explorer à la fois le mécanisme du nettoyage ethnique
de 1948 et le système cognitif qui a permis au monde d’oublier et aux
perpétrateurs de nier le crime commis par le mouvement sioniste contre le
peuple palestiniens en 1948. Il veut plaider pour la refondation de la
recherche historique et du débat public sur 1948 : le paradigme du
nettoyage ethnique doit remplacer celui de la guerre.
Quand il
a crée son État-Nation, le mouvement sioniste n’a pas fait une guerre dont la conséquence
« tragique mais inévitable » a été l’expulsion d’une
« partie » de la population indigène. C’est le contraire. L’objectif
premier était le nettoyage ethnique de l’ensemble de Palestine, que le
mouvement convoitait pour son nouvel État.
Les
formulations floues qui dédouanent les États souverains et permettent aux
individus d’échapper à la justice. C’est ainsi que le point de vue des
gouvernements israéliens, comme ils savent si bien le répéter au monde depuis
des années, c’est « nous » laisser, nous les Israéliens, représentants
du camp « civilisé » et
« rationnel » dans ce conflit, chercher une solution équitable pour
« nous-mêmes » et pour l’autre partie, les Palestiniens, qui, près
tout, sont la meilleure incarnation du monde arabe « peu civilisé »
et « émotif » auquel ils appartiennent. Quant il s’est avéré que les
Etats-Unis étaient prêts à adopter cette approche déséquilibrée et à soutenir
l’arrogance qui la fonde, nous avons eu un « processus de paix » qui
n’a conduit et ne pouvait conduire nulle part, puisqu’il ignore totalement le
cœur du sujet.
C’est
l’histoire simple mais horrible du nettoyage ethnique de la Palestine, un crime
contre l’humanité qu’Israël a voulu nier et faire oublier au monde. Il nous
incombe de le sauver de l’oubli, et pas seulement dans un geste trop longtemps
différé de reconstruction historiographique ou de conscience professionnelle.
Drazen Petrovic, estime : « que le nettoyage ethnique est une politique bien définie d’un groupe
particulier de personnes, visant à éliminer systématiquement d’un territoire
donnée un autre groupe sur la base de l’origine religieuse, ethnique ou
nationale. Cette politique implique la violence, et se trouve très souvent liée
à des opérations militaires. Elle est à exécuter par tous les moyens possibles,
de la discrimination à l’extermination, et implique les violations des droits
humains et du droit humanitaire international. […] La plupart des méthodes de
nettoyage ethnique constituent de graves infractions aux Conventions de Genève
de 1949 et aux Protocoles additionnels de 1977.
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