De
Balfour à Obama : une vision coloniale de la Palestine (Palestine
Chronicle)
Un nouveau crime contre l'humanité est entrain de se produire
sous nos yeux, et après les crimes ; de guerre ; les exactions de criminels qui
se disent démocratiques (spoliation d'un peuple, destruction de son habitat, arrestations
abusives, cultures arasées, oliveraies brûlés...)
parce qu'ils ont eu la capacité de corrompre la quasi totalité de nos dirigeants
et phagocyté nos institutions, je trouve que cela fait beaucoup pour que l'on continue
à faire semblant d'être sourds , aveugles et stupides.
18/06/2013
1. Son horreur est difficile à justifier.
2. Sa brièveté sape la validité des arguments selon
lesquels cette terre est "la nôtre". — Paul Woodward, American and
Israeli Exceptionalism (WarInContext.org)
L’expression "mandat britannique de Palestine"
est si courante chez les experts occidentaux et sionistes de la Palestine
qu’elle en paraît inoffensive et par conséquent on ne l’approfondit pas. De
fait, si l’on se livre sur Internet à une recherche sur ce terme
apparemment sans problème on trouve deux millions de résultats de qualité et
d’utilité extrêmement variées.
En réalité, il n’y a jamais eu de "mandat
britannique" de Palestine ; cela a été et demeure une pure
construction coloniale européo-occidentale, une abstraction aux conséquences,
elles, aussi concrètes que désastreuses. En réalité, le peuple palestinien n’a
jamais accepté d’être occupé par des colons britanniques, il n’a jamais accepté
de voir sa terre ancestrale partagée pour être donnée à d’autres européens
et il n’a jamais demandé à être "civilisé" par un gouvernement
impérial complètement ignorant de sa langue, de sa culture et de son histoire.
On peut dire la même chose du "Mandat français" en Syrie et au Liban
et du "Mandat britannique" en Irak.
Le terme "Mandat britannique" a eu son utilité,
cependant. Il a permis aux historiens coloniaux et autres partisans de la
colonisation de croire que la Palestine était en somme destinée à la
partition, ce qui l’a "légalisée" et partant sanctifiée. Vous
comprenez, la Société des Nations a donné mandat à l’Angleterre en 1922 et
donc l’Angleterre, la nation plus grande de la terre, la plus éclairée et la
plus progressiste a été obligée de remplir sa mission —c’est du moins
l’argumentaire qui a servi de justification. Et qu’en était-il du peuple
autochtone de la Palestine ? Comme l’a résumé Lord Balfour en 1917, leurs
aspirations, leurs droits et leur existence même n’avaient que peu
d’importance :
"Le sionisme, qu’il ait tort ou raison, qu’il soit
mauvais ou bon, est enraciné dans une longue tradition, dans des besoins
actuels et des espoirs d’avenir d’une importance infiniment supérieure aux
désirs des 700 000 Arabes qui habitent aujourd’hui cette terre ancienne et aux
préjudices qu’ils subiront."
Il importait peu que les Palestiniens soient encore
majoritaires en 1948 en dépit des décennies de soutien britannique
à l’immigration des Juifs d’Europe et de Russie. Et il n’importait pas
davantage que les Palestiniens possèdent encore la plus grande partie de la
terre de Palestine en dépit du demi-siècle d’efforts acharnés du Fond National
Juif fondé en 1901, à Bâle en Suisse, pour acheter de la terre en
Palestine et construire des colonies réservées exclusivement aux colons juifs.
Dans la vision coloniale en général et dans l’idéologie sioniste en particulier,
la "tradition ancestrale" mythologique qui va de soi ainsi que les
élans de rhétorique grandiloquente ont toujours plus de valeur que les faits et
la réalité.
On retrouve toujours la même vision coloniale/raciste dans
la plupart des discours sur la Palestine en Occident. On y assume, par exemple,
que seuls les Etats-Unis peuvent résoudre le "problème" de la
Palestine. Il va de soi que seule la dernière superpuissance mondiale a la
capacité de jouer le rôle d’arbitre et de médiateur impartial entre deux camps
(soi-disant) intransigeants. Pourquoi ? Parce que l’Amérique est
exceptionnelle bien sûr, parce que l’Amérique est unique, une ville lumineuse
dressée sur une colline, un modèle de démocratie —ou du moins c’est
l’argumentaire utilisé. Peu importe que le gouvernement des Etats-Unis donne
à Israël des milliards de dollars chaque année, lui fournisse les armes
les plus avancées qu’on puisse se payer et couvre ses crimes répétés contre
l’humanité par son soutien diplomatique et inconditionnel. Exactement comme dans
les paroles de Balfour en 1917 les faits sont écartés au profit des discours
incantatoires et magiques.
Mais comme pour le soi-disant Mandat Britannique et
l’exception américaine, le langage et le discours coloniaux sont étroitement
liées à des actes injustes, immoraux et violents. Prenez par exemple le
dernier projet d’Israël qui prévoit le nettoyage ethnique de 30 000 Bédouins
palestiniens de leurs terres ancestrales du Naqab (Negev). Voilà comment
un grand titre de la seconde édition de juin de Haaretz, un journal israélien
influent qui fait partie des médias dominants, présente la chose :
"Un projet visant à améliorer les conditions de vie des Bédouins
habitant actuellement dans des villages non reconnus dont le manque
d’infrastructures de base cause des problèmes environnementaux et autres."
Un projet de dépossession et de nettoyage ethnique devient
donc une "promotion" et une "relocalisation" pour de
meilleures conditions de vie dans un plus grand souci de l’environnement. Mais
ce qui se cache entre les lignes, c’est que les Bédouins sont les propriétaires
de la terre sur laquelle ils vivent, un titre de propriété antérieur à la
création de l’état d’Israël, mais même ce fait essentiel est qualifié ici de
simple "revendication". Nulle part dans l’article on ne trouve un mot
sur ce que sont vraiment les Bédouins, à savoir une composante du peuple
autochtone de Palestine.
Puisque les Bédouins ne sont pas des Palestiniens pour
Haaretz ni pour aucun média dominant, mais seulement des "Arabes" on
peut donc les relocaliser (c’est du nettoyage ethnique) là où l’état
d’Israël le désire ; en d’autres termes, ils n’ont pas d’histoire, ni de
lien avec la terre, ni de relation avec les autres Palestiniens en Palestine
historique ou dans la Diaspora. Grâce à ce seul mot "Arabes", on
fait disparaître toutes ces réalités.
Ce déni constant de l’identité palestinienne et de
l’histoire des Bédouins fait en réalité écho à l’affirmation raciste de
Golda Meir selon laquelle "le peuple palestinien n’existe pas" et
à la manière tout aussi odieuse dont Balfour a décrit les Palestiniens en
1917 comme étant seulement "les habitants actuels du pays". De la
même manière les Bédouins du Naqab sont arrachés à leur contexte
historique et séparés des autres Palestiniens. D’ailleurs en quoi l’expulsion
et la dépossession des Bédouins palestiniens est-elle différente de l’expulsion
de la majorité des Palestiniens de Haïfa, Saint Jean d’Acres, Jaffa, Safed,
Jérusalem ou Beer Sheva (pour ne prendre que quelques exemples) en 1948 ?
La réponse est simple : il n’y a pas de différence.
En fait l’ombre de la Nakba, l’expulsion originelle de
1947-48, n’a jamais cessé de planer.
Ecoutez par exemple, Yosef Weitz, un des architectes du
plan Dalet, réfléchir en 1941 à la manière de "se débarrasser"
du peuple autochtone de Palestine et de s’approprier des pans significatifs du
Liban et de la Syrie :
"La terre d’Israël n’est pas du tout petite,
à condition d’en faire partir tous les Arabes et d’élargir un peu les
frontières ; au nord il faudrait aller jusqu’à la Litani [rivière
libanaise] et à l’est inclure le plateau du Golan.... et il faudrait
transférer les Arabes au nord de la Syrie et en Irak" (Nur Masalha,
Expulsion of the Palestinians, 134).
Notez bien que, comme pour Balfour, les peuples de Palestine,
du Liban et de Syrie ne comptent pas dans l’esprit de Weitz ; ce ne sont
pas des personnes, ce sont des objets qu’on peut mettre ici ou là selon
les caprices des dirigeants sionistes. Notez aussi la manière cavalière dont
Weitz envisage de dessiner les frontières de son futur état sans aucune
considération pour les peuples de la région, comme un enfant qui dessine au
hasard des lignes sur une feuille de papier.
Maintenant écoutez Tzipi Livni (une des personnes qui est
derrière l’opération Cast Lead), une voix soi-disant modérée et progressiste de
la scène politique israélienne ; en 2008, elle a fait un discours
à des étudiants du supérieur sur ce qui pourrait arriver aux citoyens
palestiniens d’Israël au cas où la solution de deux-états serait mise en place :
"Ma solution pour maintenir un état d’Israël juif et
démocratique est de constituer deux états-nations avec certaines concessions et
des lignes rouges claires... Et entre autres, je veux pouvoir dire aux
Palestiniens qui habitent en Israël, ceux que nous appelons les Arabes
israéliens* que "leur solution nationale se trouve ailleurs".
(Jerusalem Post, FM takes heat over Israeli Arab remark, December 11, 2008).
Il s’est écoulé plus de 70 ans et la vision coloniale
sioniste est toujours la même —les Palestiniens sont considérés comme de
simples pions qui peuvent être déplacés comme on veut pour maintenir
"l’état juif et démocratique d’Israël". Il n’est évidemment jamais
venu à l’idée de Livni qu’il n’y a rien de démocratique ni de juif dans le
nettoyage ethnique, tellement elle est imbibée de sa propre propagande. Elle
est peut-être plus subtile que Weitz ou Balfour dans le choix des mots mais le
racisme est toujours le même.
De fait, toute la narrative historique d’Israël est fondée
sur des constructions mythiques coloniales de ce type ainsi que sur
l’oblitération des faits historiques, les euphémismes, les dérobades, le déni
catégorique de la réalité ; la Palestine était "une terre sans peuple
pour un peuple sans terre", "Les Israéliens ont fait fleurir le
désert", "Israël est la seule démocratie du Moyen Orient",
"L’armée israélienne est l’armée la plus morale du monde",
"Israël est une lumière pour les nations", "Nous avons des
voisins dangereux", "Nous n’avons pas de partenaire pour la
paix", "Les Arabes ne comprennent que la force", et j’en passe.
Lorsqu’on aborde le sujet des attaques quasi quotidiennes
contre les Palestiniens, à la fois dans les Territoires Occupés et en
Israël même, et du vol continuel des terres et de la culture palestiniennes, c’est
le plus souvent à coups de tours de passe-passe linguistiques ou de
mensonges flagrants comme d’ailleurs quand on traite de toutes les guerres
israéliennes depuis la création de l’état. Cela nous rappelle la maxime célèbre
de Tacite : "Ils pillent, ils assassinent et ils volent :
voilà ce qu’ils appellent à tort l’Empire, et quand il ne reste qu’un
désert, ils appellent ça la paix."
Les colonisateurs et les conquérants se servent toujours
du langage comme arme contre les colonisés et les occupés. Dans la vision
coloniale/impériale, le langage est le plus souvent utilisé par ceux qui
détiennent le pouvoir pour manipuler, troubler, déshumaniser et dominer. C’est
un outil qui permet de justifier les crimes passés et d’excuser les crimes
futurs. Lorsque le peuple colonisateur est installé dans le pays conquis, le
langage sert tout particulièrement à dénigrer et même effacer l’histoire
et la culture de la population autochtone qu’on dépossède.
Comme l’a récemment écrit le professeur israélien de
langue et d’éducation, Nurit Peled-Elhanan : "l’apartheid [israélien]
n’est pas seulement un ensemble de lois racistes, c’est un état d’esprit
façonné par l’éducation. Les enfants israéliens sont élevés depuis leur plus
jeune âge dans l’idée que les citoyens "arabes" et les
"Arabes" en général sont un problème qu’il faut résoudre, éliminer
d’une manière ou d’une autre... L’éducation israélienne réussit
à construire des murs mentaux qui sont bien plus épais que le mur de béton
qu’on construit pour emprisonner la nation palestinienne et cacher son
existence à nos yeux... [Les Israéliens] ne considèrent pas les
Palestiniens comme des êtres humains comme eux, mais comme une espèce
inférieure qui ne mérite pas d’avoir ce qu’ils ont" (Independent
Online/Daily News, How racist laws imprison a nation, November 3, 2011).
Si les Juifs israéliens désirent sincèrement une paix
juste et durable, ils feraient bien de commencer par renoncer une fois pour
toutes à la pernicieuse mentalité coloniale dont ils sont imbibés ainsi
qu’au langage d’illusoire suprématie qui l’accompagne et par apprendre
à voir les Palestiniens comme des égaux à part entière, rien de plus
rien de moins. De toutes façons il ne faut pas s’attendre à ce que les
Palestiniens finissent par accepter d’être dépossédés, d’être victimes de
nettoyage ethnique, d’être occupés et d’être traités comme des citoyens de
deuxième classe dans leur propre pays ; non seulement cela serait injuste
et immoral mais, comme cela équivaudrait à s’avouer vaincu, cela ne risque
absolument pas d’arriver.
Roger Sheety écrivain et chercheur
Note :
* Ces "Arabes israéliens" ont actuellement la
nationalité israélienne pleine et entière.
On peut consulter l’original à :