Jamais,
dans l'histoire universelle on a constaté une adhésion aussi importante des
soi-disant démocrates a un pourvoir criminel.
Par
Charlotte Silver, The Electronic Intifada
1er août 2016
Des Palestiniens prennent de l’eau
le 27 juin à une source du village de Salfit en Cisjordanie. Les villageois ont
vécu sans eau pendant des jours parce qu’un manque chronique d’approvisionnement
dû aux autorités israéliennes d’occupation continue à frapper de grandes
parties du territoire. (Nedal Eshtayah / APA Images)
Les pénuries d’eau ne sont pas un fait nouveau pour les
Palestiniens. Que ce soit dans la Bande de Gaza ou en Cisjordanie occupées, y
compris à Jérusalem Est, la fourniture d’eau dans les foyers palestiniens est
sévèrement plafonnée et entravée.
Alors que la température monte en été, les robinets sont à
sec. Clemens Messerschmid, hydrologue allemand qui a travaillé pendant vingt
ans avec les Palestiniens sur leur alimentation en eau, appelle cette situation
« hydro-apartheid ».
Cette année, la journaliste israélienne Amira Hass a
publié des données qui prouvent que l’Autorité israélienne de l’Eau a réduit la
quantité d’eau fournie aux villages de Cisjordanie.
Dans certains endroits, l’alimentation en eau a été
brutalement réduite de moitié. Ses comptes rendus contredisent les démentis
officiels comme quoi l’alimentation en eau des villes et villages palestiniens
est coupée en été, même si cela non plus n’est pas nouveau.
Des villes et des villages ont passé jusqu’à 40 jours sans
eau courante cet été, obligeant ceux qui pouvaient se le permettre à faire
venir des citernes.
Quand Israël a occupé la Cisjordanie en 1967, il a aussi
pris le contrôle de l’aquifère de la montagne en Cisjordanie, principale
réserve naturelle d’eau du territoire.
Les accords d’Oslo au début des années 1990 ont donné à
Israël 80 pour cent des réserves de l’aquifère. Les Palestiniens étaient
supposés obtenir les 20 pour cent restants, mais ces dernières années, ils
n’ont pu avoir accès qu’à 14 pour cent, conséquence des restrictions
israéliennes sur leurs forages.
Pour faire face aux besoins minimum de la population,
l’Autorité Palestinienne est obligée d’acheter le reste de l’eau à Israël. Mais
même ainsi, ce n’est pas suffisant.
Israël veut simplement vendre une quantité limitée d’eau
aux Palestiniens. En conséquence, les Palestiniens utilisent beaucoup moins
d’eau que les Israéliens et un bon tiers de moins que les recommandations de l’Organisation
Mondiale de la Santé qui sont de 100 litres par personne et par jour, pour
l’usage domestique, les hôpitaux, les écoles et autres institutions.
L’Electronic Intifada a parlé avec Clemens Messerschmid,
qui travaille dans le secteur de l’eau dans toute la Cisjordanie et la Bande de
Gaza depuis 1997, à propos du manque d’eau provoqué pour les Palestiniens de
Cisjordanie.
Charlotte Silver : La pénurie d’eau dans la zone
est-elle la cause de la crise de l’eau en Cisjordanie ? Ou cette pénurie
est-elle provoquée ?
Clemens Messerschmid : Bien sûr, il n’y a pas de
pénurie d’eau en Cisjordanie. Ce dont nous souffrons, c’est d’une pénurie
induite – cela s’appelle l’occupation. C’est le régime imposé aux Palestiniens
immédiatement après la guerre de juin 1967. Israël gouverne via des ordonnances
militaires, dont le résultat direct et intentionnel est de maintenir les
Palestiniens à court d’eau. Il ne s’agit pas d’une dépossession graduelle
continue comme avec la terre et les colonies, mais ce fut réalisé d’un seul
coup en août 1967 par l’Ordonnance Militaire N° 92.
La Cisjordanie possède une ample nappe phréatique. La
pluviosité est élevée à Salfit, au nord de la Cisjordanie, maintenant connue
pour ses sévères coupures d’eau.
La Cisjordanie a la grande chance de posséder un
trésor : sa nappe phréatique. Mais c’est aussi sa malédiction, parce
qu’Israël l’a immédiatement ciblée après avoir pris le contrôle.
Ce dont nous avons besoin est simple : des puits dans
la nappe phréatique pour avoir accès à ce trésor. Mais l’Ordonnance Militaire
N° 158 interdit strictement les forages ou tous autres travaux aquifères, y
compris les sources, canalisations, réseaux, stations de pompage, bassins
d’irrigation, réservoirs d’eau, simples citernes de collecte d’eau de pluie qui
recueillent la pluie qui tombe sur son propre toit.
Tout est interdit, ou plutôt rien n’est
« autorisé » par l’Administration Civile, régime israélien
d’occupation. Même réparer et entretenir les puits exige des permis militaires.
Et nous ne les obtenons tout simplement pas.
C’est un cas pur et
simple d’hydro-apartheid – qui va bien plus loin que n’importe quel régime dont
j’aie eu connaissance dans l’histoire.
CS : Israël a augmenté la quantité d’eau qu’il vend
aux Palestiniens, mais cela ne suffit encore pas à empêcher les villages d’être
à sec. Si on laisse de côté le fait que le contrôle des ressources aquifères
par Israël est très problématique, pourquoi Israël ne vend-il pas suffisamment
d’eau aux Palestiniens ?
CM : Tout d’abord, Israël a drastiquement réduit la
quantité d’eau disponible pour les Palestiniens. Il a empêché tout accès au
Jourdain, qui est maintenant littéralement asséché au lac Tibériade.
Et puis, Israël impose un quota sur le nombre de puits et
refuse régulièrement les permis pour la réparation plus que nécessaire des
vieux puits de l’époque jordanienne – la Jordanie a administré la Cisjordanie
de 1948 jusqu’à l’occupation israélienne – spécialement les puits agricoles.
Ceci signifie que le nombre de puits diminue constamment. Nous en avons moins
qu’en 1967.
Maintenant, la seule chose qui ait augmenté, c’est la
dépendance pour acheter l’eau aux expropriateurs, Israël et Mekorot, compagnie
nationale des eaux d’Israël.
Ceci est rapporté encore et encore dans la presse
occidentale, parce qu’il s’agit d’un point qu’Israël met en avant : ‘Voyez
comme nous sommes généreux !’
Alors, oui, depuis Oslo, les achats à Mekorot ont
constamment augmenté. Ramallah reçoit maintenant 100 pour cent de son eau de
Mekorot. Pas une goutte ne vient d’un champ de captage nous appartenant.
L’alimentation des villages par Israël n’a pas été
réalisée comme une faveur. Elle a été initiée en 1980 par Ariel Sharon, alors
ministre de l’Agriculture, quand la rapide croissance des colonies a commencé.
L’alimentation en eau a été « intégrée », afin de rendre l’occupation
irréversible.
Ce qui est important ici, c’est l’apartheid structurel,
cimenté et coulé dans le fer de ces canalisations. Une petite colonie est
alimentée via de larges canaux de transmission d’où partent de petites
canalisations vers les zones palestiniennes.
Israël est très heureux d’Oslo, parce que maintenant, les
Palestiniens sont « responsables » de leur approvisionnement.
Responsables, mais sans une once de souveraineté sur les ressources.
L’actuelle soi-disant crise de l’eau n’est pas une crise
du tout. Une crise, c’est un changement soudain, un tournant nouveau ou un
virage dans un développement. La sous-alimentation des Palestiniens est
souhaitée, planifiée et soigneusement exécutée. La « crise estivale de
l’eau » est la caractéristique la plus sûre du calendrier palestinien de
l’eau. Et le taux de pluie, ou de sécheresse, annuelle n’a aucune portée quelle
qu’elle soit sur l’occurrence ou l’importance de cette « crise ».
Je devrais souligner que, quelle que soit la régularité de
cette situation, chaque fois sans exception, c’est le fait d’une décision
consciente de quelque bureaucrate ou quelque bureau en Israël ou de
l’Administration Civile. Quelqu’un n’a qu’à aller sur place et fermer la valve
au point de jonction vers le village palestinien. Comme tous les étés, c’est ce
qui a été fait en juin. D’où – la crise de l’eau en Cisjordanie.
CS : Quels
facteurs peuvent-ils contribuer à l’aggravation des coupures d’eau cette
année ?
CM : Il semble que les exigences des colons ont
augmenté drastiquement depuis l’année dernière. L’Autorité israélienne de l’Eau
a eu 20 à 40 % de demandes supplémentaires, ce qui est tout à fait remarquable.
Alexander Kushnir, directeur général de l’Administration
des Eaux, attribue ce fait à l’expansion de l’irrigation coloniale dans les
montagnes des colonies du nord de la Cisjordanie, autour de Salfit et de
Naplouse.
CS : Comment se
fait-il qu’on dise que, dans l’Israël d’aujourd’hui, les gens bénéficient d’un
surplus d’eau depuis que le pays a commencé à utiliser la désalinisation,
tandis que les gens sous occupation en Cisjordanie sont laissés avec si
peu ? On dit que même les colons israéliens souffrent parfois de coupures
d’eau.
CM : Il est vrai qu’Israël a déclaré pour la première
fois, il y a quelques années, qu’il avait économisé un surplus d’eau et qu’il
souhaitait vendre plus d’eau à ses voisins, qu’il avait tout d’abord expropriés
de leur eau.
Les Palestiniens achètent déjà de l’eau qu’Israël a volée,
mais comme on l’a remarqué, ni de façon fiable ni en quantité suffisante.
Franchement, je ne sais pas. Pourquoi ce désir
particulier, fort et aggravé d’Israël de ne pas même vendre assez d’eau à la
Cisjordanie ?
Dans certaines zones, l’eau est activement utilisée comme
une arme pour le nettoyage ethnique, comme dans la Vallée du Jourdain.
L’agriculture a toujours été une cible depuis le premier jour de l’occupation.
Mais cette logique ne s’applique pas aux villes
palestiniennes densément peuplées et aux cités de l’ainsi nommée zone A de
Cisjordanie, qui luttent encore. Vingt ans après, ceci me laisse pantois.
Un autre élément est important à comprendre : Israël
a besoin d’apprendre constamment quelque chose aux Palestiniens. Toute
fourniture d’eau, la moindre goutte livrée devrait être perçue comme une faveur
généreuse, comme un acte de pitié, pas comme un droit.
Israël a augmenté ses ventes d’eau à la Cisjordanie de 25
millions de mètres cubes par an en 1995 à environ 60 millions de mètres cubes
par an maintenant. Pourquoi ne lui en vend-il pas beaucoup plus ? Il
pourrait certainement se le permettre sans danger – il a un surplus
gigantesque.
L’une des questions matérielles que je peux déceler est la
question du prix, et donc celui de l’eau.
Israël veut en fin de compte obtenir le prix le plus haut
pour l’eau désalinisée qu’il vend aux Palestiniens. Tandis que nous parlons
simplement de quelques centaines de millions de shekels par an [quelques
dizaines de millions de dollars] – ce qui n’est pas grand-chose pour Israël –
Israël veut mettre fin une bonne fois pour toutes au débat sur les droits à
l’eau des Palestiniens.
Israël n’exige rien si ce n’est une reddition
totale : les Palestiniens devraient accepter que l’eau qui est sous leurs
pieds ne leur appartienne pas, mais appartienne pour toujours à l’occupant.
En exigeant des prix élevés pour l’eau désalinisée, les
Palestiniens admettraient et accepteraient une nouvelle formule.
Un mot sur la Bande de Gaza – contrairement à la
Cisjordanie, Gaza n’a aucune possibilité physique d’accéder à l’eau. La Bande
confinée et densément peuplée ne peut jamais s’auto-approvisionner. Pourtant,
Gaza ne bénéficie pas de telles livraisons d’eau par Israël. Ce n’est que récemment
qu’Israël a commencé à vendre à Gaza les cinq millions de mètres cubes d’eau
par an décidés à Oslo. Une minuscule augmentation cosmétique a été décrétée.
D’une certaine façon, vous pourriez interpréter cette
différence de traitement entre Gaza et la Cisjordanie comme l’acceptation par
Israël d’un certain degré de dépendance hydrologique.
Israël reçoit la plupart de son eau des territoires
conquis en 1967, y compris des Hauteurs du Golan syrien, mais pas une goutte de
Gaza.
Concernant l’eau, Gaza n’a aucune ressource à offrir à
Israël. C’est la même chose qu’avec la principale ressource : la terre.
D’où une approche très différente des droits de Gaza depuis le début en 1967.
Israël ne dépend de Gaza pour rien de matériel. Toujours depuis Oslo, Israël a
exigé de Gaza qu’elle se suffise à elle-même, comme par exemple par la
désalinisation de l’eau de mer.
CS : Quel a été
le rôle des donateurs dans tout cela ? Ont-ils défendu les standards
mondiaux minimum pour l’eau, ou ont-ils confirmé et soutenu le contrôle par
Israël des ressources en eau de la Cisjordanie occupée ?
CM : Malheureusement, la seconde attitude. Quand Oslo
a démarré, nous avions tous l’illusion qu’une phase de développement allait
commencer. Des puits interdits de forage depuis 18 ans seraient finalement mis
en place.
Bientôt, nous avons appris qu’en fait Israël ne voudrait
jamais donner de « permis … pour l’expansion de l’agriculture et de
l’industrie, ce qui les mettrait en concurrence avec l’État d’Israël »,
comme Itzhak Rabbin, alors ministre de la défense, l’a dit en 1986.
Ce dont on avait besoin alors et maintenant – et tout le
monde le savait – c’était d’une pression politique pour arracher le minimum de
permis de forage de puits garanti par les accords palestino-israéliens. Cette
pression n’est jamais venue. Et ni l’UE, ni mon gouvernement allemand n’ont
émis ne serait-ce qu’un communiqué public dans lequel ils auraient
« déploré » ou « regretté » les obstructions dans le
secteur de l’eau. C’est un véritable scandale.
Mais pire encore, quelle fut notre réponse
occidentale ? Tous les projets financés par des donateurs ont en réalité
abandonné la branche vitale de forage de puits. Le dernier puits financé par
l’Allemagne a été foré en 1999.
Quant à l’actuelle soi-disant crise de l’eau, nous, en
tant que donateurs, nous occupons maintenant à financer généreusement la
livraison d’anachroniques citernes d’eau aux villes et cités palestiniennes
victimes de coupures – nous adaptant et stabilisant le statu quo de
l’occupation et de l’apartheid de l’eau.
Traduction : J. Ch. pour l’Agence Médias Palestine
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