dimanche 3 décembre 2017

"Israël a transformé la Palestine en la plus grande prison du monde"



Moyen-Orient Eye

Suite de la guerre des Six Jours de 1967 entre Israël et les armées arabes il y a eu l'occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.


Pour être tout à fait exact, il faut reconnaître que l'occupation de la Palestine à débutée bien avants, puisque le sionisme a jeté son dévolu sur elle depuis 1897. Ne cherchons pas à biaiser l'histoire pour douloureuse qu'elle soit.  

Israël a vendu l'histoire que cette guerre comme étant fortuite, mais de nouveaux documents historiques et actes d'archives montrent qu'Israël s'était bien préparé pour cette guerre.

En 1963, des cadres de l'administration militaire, juridique et civile se sont inscrits à un cours à l'Université hébraïque de Jérusalem pour établir un plan exhaustifs sur la façon de comment prendre en charge les territoires qu'Israël allait occuper quatre ans plus tard et la gestion d'un million et demi de Palestiniens qui y vivaient. Motivé par l'échec de la façon dont Israël s'était chargé des Palestiniens à Gaza durant sa courte occupation lors la crise de Suez en 1956.

En mai 1967, quelques semaines avant la guerre, les dirigeants militaires israéliens ont reçu des instructions juridiques et militaires sur la manière de contrôler les villes et villages palestiniens. Israël allait transformer la Cisjordanie et la bande de Gaza en méga-prisons sous le régime de surveillance militaire.

Les colonies, les check-points et les punitions collectives faisaient partie de ce plan, comme en témoigne l'historien israélien Ilan Pappe dans [son dernier ouvrage] The Biggest Prison on Earth: A History of the Occupied Territories: [la plus grande prison du monde: l'histoire des territoires occupés], un compte rendu détaillé de l'occupation israélienne.

Ce livre, publié à l'occasion du cinquantenaire de la guerre de 1967, a été sélectionné pour les Prix du livre palestinien de 2017 organisés par Middle East Monitor et sera annoncé à Londres le 24 novembre. Pappe a parlé avec Middle East Eye du livre et de ce qu'il révèle.

-Middle East Eye: Dans quel sens ce livre est basé sur son livre précédent, Le nettoyage ethnique de la Palestine  (1) sur la guerre de 1948?

- Ilan Pappe: Il est certainement une continuation de mon livre précédent, Le nettoyage ethnique de la Palestine, décrivant les événements de 1948. Je considère que l'ensemble du projet sioniste est une structure et non simplement un événement. 

Une structure expansionniste coloniale au moyen de laquelle un mouvement de colons prend possession d'une nation. 

Jusqu'à ce que la colonisation soit achevée et que la population d'origine résiste à travers d'un mouvement de libération nationale, chacune des périodes que j'étudie n'est qu'une phase au sein de la même structure.

Bien que The Biggest Prison soit un livre d'histoire, nous continuons dans le même chapitre historique. Et il n'est pas fini. Donc, il devrait probablement y avoir, un troisième livre pour analyser les événements du XXIème siècle et la façon dont elle est mise en œuvre de la même idéologie de nettoyage ethnique et de spoliation, et comment les Palestiniens y résister.

-MEE: Vous dites qu'en juin 1967 un nettoyage ethnique a eu lieu. Qu'est-il arrivé aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza à cette époque? En quoi était-il différent du nettoyage ethnique de la guerre de 1948?

-IP : En 1948, il y avait un plan très clair pour essayer d'expulser la plus grande quantité autant possible de Palestiniens de la plus grande quantité possible de Palestine. 
Le projet de colonialisme a cru qu'il avait le pouvoir de créer un espace juif en Palestine dans lequel il n'y aurait, dans l'absolu, aucun Palestinien.

Au moment de vérité, cela n'a pas bien fonctionné, bien que comme tout le monde sait que c'était plutôt réussi. 

Quelque 80% des Palestiniens vivant dans ce qui allait devenir l'État d'Israël sont devenus des réfugiés.

Comme je le montre dans le livre, il y avait des politiciens israéliens qui pensaient que nous pourrions faire en 1967 ce que nous avons fait en 1948. Mais la grande majorité d'entre eux comprenait une guerre très courte, qui dura six jours et existait déjà la télévision et beaucoup de personnes qu'ils voulaient expulser étaient déjà des réfugiés de 1948.

Par conséquent, je pense que la stratégie n'était pas un nettoyage ethnique tel qu'il a été mis en place en 1948. C'était ce que j'appellerais un nettoyage ethnique progressif. Dans certains cas, ils ont expulsé beaucoup de gens de certaines régions telles que Jéricho, la vieille ville de Jérusalem et la périphérie de Qalqilya. Mais dans la plupart des cas, ils ont décidé qu'un régime militaire et un siège pour emprisonner les Palestiniens dans leurs propres régions seraient aussi bénéfiques que de les chasser.

De 1967 à aujourd'hui, il y a un nettoyage ethnique très lent qui s'étend probablement sur une période de 50 ans et qui est si lent que, parfois, il ne touche qu'une personne par jour. Mais si vous regardez toute la période, de 1967 à aujourd'hui, nous parlons de centaines de milliers de Palestiniens qui ne sont pas autorisés à retourner en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza.

-MEE: Vous faites la différence entre deux modèles militaires qu'Israël utilise, le modèle de prison ouverte en Cisjordanie et le modèle de prison à sécurité maximale dans la bande de Gaza. Comment définissez-vous ces deux modèles? S'agit-il de termes militaires?

-IP : J'utilise ces termes comme des métaphores pour expliquer les deux modèles qu'Israël offre aux Palestiniens dans les territoires occupés. J'insiste pour utiliser ces termes parce que je crois que la solution des deux États est en fait le modèle de la prison ouverte.

Les Israéliens contrôlent les territoires occupés directement ou indirectement et essayent de ne pas pénétrer dans les villes et villages palestiniens densément peuplés. Ils ont divisé la bande de Gaza en 2005 et divisent encore la Cisjordanie. Il y a une Cisjordanie juive et une Cisjordanie palestinienne qui n'est plus une zone territoriale continue.
[Non seulement le territoire n'est plus une zone continue, mais encore les principaux axes de communication sont réservés aux juifs, ceux des palestiniens sont parsemés de check-points rendant les déplacements extrêmement longs et pénibles, au gré du planton, qui peut les obliger à attendre des jours. Des palestiniens sont morts faute de soins dans les check-points ; des femmes enceinte y ont accouchée, suite à une trop longue attente (…)]  
A Gaza, les Israéliens sont les matons d'une prison ghetto où les Palestiniens y sont hermétiquement enfermés et isolés du monde extérieur, mais ils n'interviennent pas dans ce qu'ils font à l'intérieur. 
La Cisjordanie est comme une prison à ciel ouvert. A l'intérieur du régime n'est pas dur,
[Pardon, mais les israéliens démolissent l'habitat autochtone, ou les emprisonnent … pour oui pour un non.],  mais c'est toujours une prison. 
Même le président palestinien Mahmoud Abbas a besoin que les Israéliens lui ouvrent la porte s'il passe de la zone B à la zone C (2). Et à mon avis, c'est très symbolique que le président ne puisse pas bouger sans que le geôlier israélien n'ouvre la porte de la cage.

Bien sûr, il y a toujours une réponse palestinienne à cela. Les Palestiniens ne sont pas passifs et ne l'acceptent pas. Nous avons vu la première et la deuxième Intifada, et peut-être verrons-nous une troisième Intifada. Dans leur mentalité de gestionnaires de prison, les Israéliens disent aux Palestiniens que s'ils résistent, ils enlèveront tous leurs privilèges, comme ils le font en prison. Ils ne pourront pas travailler à l'extérieur. Ils ne pourront pas se déplacer librement et seront punis collectivement. C'est le côté punitif, la punition collective comme représailles.

-MEE: La communauté internationale condamne timidement la construction ou l'expansion des colonies israéliennes dans les territoires [palestiniens occupés]. Ils ne considèrent pas cela comme une partie fondamentale de la structure coloniale israélienne que vous décrivez dans votre livre. Comment les colonies israéliennes ont-elles commencé, leur base était-elle rationnelle ou religieuse?

-IP : Après 1967, il y avait deux cartes de colonies ou de colonialisme. Il y avait une carte stratégique qui a été conçue par la gauche en Israël. Le père de cette carte était feu Yigal Allon, le stratège en chef, qui a travaillé avec Moshe Dayan en 1967 sur un plan de contrôle de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Son principe était stratégique et pas tellement idéologique, bien qu'ils croyaient que la Cisjordanie appartenait à Israël.

Ils étaient plus intéressés à s'assurer que les Juifs ne s'installent pas dans les zones arabes densément peuplées. Ils ont affirmé que là où les Palestiniens ne vivaient pas concentrés, nous pourrions nous installer. Ils ont donc commencé avec la vallée du Jourdain parce qu'il y avait de petites villes, mais elle n'est pas densément peuplée comme les autres parties.
[Vallée qu'ils ont décrétée zone militaire inconstructible, démolissant les structures bédouines des bergers. Refusant tout permis de construire aux palestiniens.  Pourtant des colonies juives s'y sont implantées. Il faut le dire.]
Le problème pour eux était qu'en même temps qu'ils élaboraient leur carte stratégique, un nouveau mouvement religieux messianique émergea, Gush Emunim, un mouvement religieux national de Juifs qui ne voulait pas s'installer selon la carte stratégique. Ils voulaient s'installer selon la carte biblique. Ils ont eu l'idée que la Bible est un livre qui vous dit exactement où sont les anciennes villes juives. Et il arrive que cette carte signifie que les Juifs doivent s'installer au milieu de Naplouse, Hébron et Bethléem, au milieu des zones palestiniennes.
[On rêve,  deux mille ans après des juifs originaires d'Europe, en se basant sur un livre de comptes, décrète que cette terre lui appartient! C'est vrai qu'elle leur a été donnée par Dieu, excusez du peu…] 
Au début, le gouvernement israélien a essayé de contrôler ce mouvement biblique afin qu'ils s'installent de façon plus stratégique. Mais plusieurs journalistes israéliens ont montré que Shimon Peres, le ministre de la Défense au début des années 1970, a décidé d'autoriser les colonies bibliques. Les Palestiniens de Cisjordanie ont été exposés à deux cartes de la colonisation, la stratégique et la biblique.

La communauté internationale comprend que selon le droit international, il n'est pas important que les colonies soient stratégiques ou bibliques, elles sont toutes illégales.

Mais le malheur est que, depuis 1967, la communauté internationale a accepté la formule israélienne selon laquelle «les colonies sont illégales, mais elles sont provisoires; Une fois qu'il y aura la paix, nous veillerons à ce que tout soit légal. Mais tant qu'il n'y a pas de paix, nous avons besoin des colonies parce que nous sommes toujours en guerre avec les Palestiniens. " [Sans commentaires]

-MEE: Vous affirmez que le mot «occupation» n'est pas adéquat pour décrire la réalité en Israël, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Et dans votre dialogue avec Noam Chomsky, On Palestine [Sur la Palestine], vous critiquez le terme «processus de paix». C'est controversé. Pourquoi ces termes ne sont pas adéquats?

-IP : Je pense que langage est très importante. La façon d'établir une situation peut affecter les possibilités de la changer.

Nous avons soulevé la situation en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et en Israël avec un dictionnaire et des mots faux. 
  • L'occupation signifie toujours une situation provisoire.
  • La solution pour l'occupation est la fin de l'occupation, l'armée d'invasion retourne dans son pays, mais ce n'est pas la solution non plus en Cisjordanie, en Israël ou dans la bande de Gaza. 
  • Je suggère qu'il s'agit de colonisation, même si elle semble anachronique au XXIe siècle. Je pense que nous devrions comprendre qu'Israël colonise la Palestine. Il a commencé à le coloniser à la fin du 19ème siècle et continue à le coloniser aujourd'hui.

Il y a un régime colonial qui contrôle toute la Palestine de différentes manières. Dans la bande de Gaza, il le contrôle de l'extérieur. En Cisjordanie, il contrôle différemment dans les zones A, B et C. Il a différentes politiques concernant les Palestiniens dans les camps de réfugiés, où il ne permet pas aux réfugiés de revenir. C'est une autre façon de maintenir la colonisation, de ne pas permettre aux personnes expulsées de revenir. Tout cela fait partie de la même idéologie.

Donc, je pense que lorsque les termes processus de paix et occupation sont réunis, ils créent la fausse impression que tout ce qui est nécessaire est que l'armée israélienne quitte la Cisjordanie et la bande de Gaza, et qu'elle ait la paix entre Israël et l'avenir Palestine.

Actuellement, l'armée israélienne n'est pas dans la bande de Gaza ni dans la zone A. C'est juste dans la zone B, où elle ne devrait pas l'être. Mais il n'y a pas de paix. Il y a une situation bien pire que celle d'avant les Accords d'Oslo en 1993.

Le soi-disant processus de paix a permis à Israël d'effectuer plus de colonisation, mais cette fois avec le soutien international. Par conséquent, je suggère de parler de la décolonisation et non de la paix. Je suggère de parler de changer le régime juridique qui régit la vie des Israéliens et des Palestiniens.

Je pense que nous devrions parler d'un état d'apartheid. Nous devrions parler de nettoyage ethnique. Nous devrions trouver un moyen de remplacer l'apartheid et nous avons un bon exemple en Afrique du Sud. La seule chose qui peut remplacer l'apartheid est un système démocratique, une personne un vote ou, au moins, un État binational. 

Je pense que c'est le genre de mots qui devraient être utilisés parce que si nous continuons à utiliser les mêmes vieux mots, nous continuons à perdre du temps et de l'énergie, et nous ne changerons pas la réalité sur le terrain.

-MEE: Que réserve l'avenir du régime militaire israélien aux Palestiniens? Allons-nous voir un mouvement de désobéissance civile comme en juillet dernier à Jérusalem?

-IP : Je pense que nous verrons la désobéissance civile non seulement à Jérusalem mais dans toute la Palestine, y compris les Palestiniens qui vivent en Israël. La société civile elle-même n'acceptera pas ce genre de réalité pour toujours. Je ne sais pas quels moyens elle utilisera. Nous pouvons voir ce qui se passe quand vous n'avez pas de stratégie claire d'en haut: les individus décident de faire leur propre guerre de libération.

Le cas de Jérusalem était, en effet, impressionnant, personne ne croyait qu'une résistance populaire pouvait forcer les Israéliens à retirer les mesures de sécurité qu'ils avaient imposées à Haram al-Sharif [Mont du Temple (3)]. Je crois que cela peut être le modèle, une résistance populaire pour l'avenir qui n'est pas partout mais dans des parties différentes.
La résistance populaire continue tout le temps en Palestine. Les médias ne le rapportent pas. [Cela tient presque exclusivement au lobby juif pro israéliens qui use de son argent et de son influence pour saper le média ou la carrière du journaliste, qui sait qu'il peut compromettre sa carrière en ayant le courage de rapporter la réalité (vérité) du conflit israélo/palestinien.]  Mais les gens manifestent chaque jour contre l'apartheid, les gens manifestent contre l'expropriation de la terre, ils font la grève de la faim parce qu'ils ont des prisonniers politiques. La résistance palestinienne continue d'en bas. La résistance palestinienne d'en haut est suspendue.

Notes du traducteur:
(1) Edition castillan: L au nettoyage ethnique de la Palestine , Barcelone, porte - parole, 2008, traduction castillane de Luis Noriega.
(2) Selon les accords d'Oslo en Cisjordanie, il était divisé en trois zones:
- Zone A, sous contrôle civil et militaire palestinien. Il comprend 3% de la Cisjordanie et abrite 20% de sa population. Il comprend de grandes villes telles que Jénine, Tulkarem, Naplouse, Ramallah ou Bethléem. Depuis 2005, la bande de Gaza est devenue la zone A.
- Zone B, sous contrôle mixte: contrôle civil palestinien et contrôle militaire israélien. Il comprend les villes et les environs de la zone A, qui représente 27% de la Cisjordanie et 70% de sa population.
- Zone C, sous contrôle civil et militaire israélien et constitue le reste de la Cisjordanie, soit 70% de son territoire. Il est formé par la plupart des terres fertiles de la région. Cette zone comprend toutes les routes qui mènent aux colonies israéliennes, les zones tampons (près des colonies, du mur et des zones stratégiques) et presque toute la vallée du Jourdain, Jérusalem-Est et le désert.
(3) Voir, par exemple, h

Cette traduction peut être librement reproduite à condition de respecter son intégrité et de mentionner l'auteur, le traducteur et la rébellion comme source de la traduction.

Traduit par l'auteur du Blog







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