dimanche 11 juillet 2010

Journalisme de légende (III)

Journalisme de légende :            
II. Les journalistes de légende. Le journaliste de légende représente une incongruité dans le paysage  médiatique, car il se vit non comme un partenaire mineur  du gouvernement, mais un observateur majeur de la vie politique. Il ne  pratique pas le devoir de référence ou de déférence, mais un devoir d'impertinence.
Sa grille de décryptage ne relève pas d&'une lecture linéaire des phénom&ènes politiques et sociaux, voire d'une lecture nourrie de présupposés, mais d'une lecture fractale, une lecture en contre champs des événements et n'hésite pas, le cas échéant, à penser contre son propre camp, si besoin est.  Les journalistes français qui ont dénoncé la torture en Algérie durant la guerre d'indépendance, les journalistes américains sur la liste noire des services américains qui ont « brisé la loi du  silence »  en dénonçant les manipulations de l'opinion publique américaine et les opérations de déstabilisation dans le tiers monde relèvent normalement de cette catégorie. Connu pour son professionnalisme, reconnu à contrecoeur au sein de la profession, méconnu par les pouvoirs publics et inconnu du grand public, le journaliste de légende souffre d'une tare irrémédiable. En infraction avec les règles de la connivence,  ce journaliste là est un « tricard » parce qu'« incontrôlable », ce qui donne à penser a contrario que le journaliste d'importance est fréquentable car « contrôlable ».
La mise à l'index est une pratique courante du débat d'idées pour neutraliser une opinion dissidente. Il en a été ainsi au XIX me siècle avec le Syllabus édicté en 1864 sous PIE IX qui recensait la liste des idées condamnées par le Souverain Pontife (la cité, athéisme etc.), qui finira, par analogie, à englober l'ensemble des idées que l'idéologie dominante interdit d'exprimer. Toute proportion gardée, le régime hitlérien, en Allemagne, avait lui aussi édicté son propre Lingua Franca, le langage codifié qui permettait à ses usagers de déceler les récalcitrants au nazisme. Plus près de nous, la France sarkozyste dispose, elle aussi, de son propre « Lingua Quintae Respublicae » (6), avec son concert de balivernes « travailler plus pour gagner plus », flexibilité du monde du travail au lieu de précarisation du travailleur etc. Aboutissement des relations incestueuses entre media et politique, l'embedded a représenté dans l'histoire de la presse la forme la plus achevée de l'imbrication du journalisme au pouvoir politique. L'embedded (7) a fait son apparition lors de l'invasion américaine  de l'Irak, en mars 2003.Il a pris en France l'ampleur d'un phénomène tel qu'il constitue un cas d'école à nul autre pareil, à tout le moins au sein des grandes démocraties occidentales. L'embedded est littéralement celui qui partage le même lit que le sujet de son reportage. Un couplage en somme. 
La scène médiatico-politique contemporaine française abonde de ces couples célèbres dont les plus visibles sont Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères, et Christine Ockrent (pôle audiovisuel extérieur), Jean Louis Borloo, ministre d'État et ministre du Développement durable et Béatrice Schoenberg (France 2), Dominique Strauss-Kahn, ancien ministre des Finances et candidat à la direction du Fonds Monétaire International, et Anne Sinclair (RTL-TF1),  François Baroin, ancien ministre de l'Outre-mer et de l'Intérieur et Marie Drucker (France 3), auparavant, Alain Juppé (à l'époque ministre des Affaires étrangères) et Isabelle Juppé (La Croix), sans oublier les deux dernières idylles, celle de Nicolas Sarkozy avec Anne Fulda (Le Figaro), du temps de l'escapade new-yorkaise de son épouse Cécilia Sarkozy et celle de François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, avec Valérie Treirveiler (Paris Match, puis Direct TV).
La mutation professionnelle a cédé la place à l'accouplement. Dans le nouveau cas de figure, l'activité ne change pas, mais se coupletant au niveau de la vie professionnelle que conjugale avec un partenaire qui représente l'autre pôle du pouvoir, nourrissant par là même le procès d'une confusion des genres préjudiciable à la démocratie. Là lutte de Clemenceau et Jaurès changeaient la forme de leur combat dans la fidélité à leur engagement antérieur, à des journalistes devenus des hommes politiques à, la nouvelle génération paraît avoir empruntée un chemin différent privilégiant le plan de carrière à la fidélité aux engagements antérieurs. Le journaliste cesse d'être un observateur critique de la vie politique pour se muer par synergie, sinon en amplificateur des idées de son    partenaire politique, où tout le moins en un facteur de surexposition médiatique de son compagnon de vie. Les médias apparaissent désormais comme véhicule d'une idéologie dominante, la surinformation aboutit à une désinformation et les citoyens tout  comme la grande majorité des prescripteurs des « analphabètes secondaires »,  en pleine désorientation, selon l'expression de Hans Magnus Eisenberger, auteur de « Médiocrité et folie ». Tout un programme.
La communication tend en effet à se substituer à l'information et ses dérives nous renvoient à la propagande de base des régimes totalitaires que les pays démocratiques sont censés combattre. A la fin des années 1990, le nombre des salariés des agences des relations publiques (150.000) aux Etats Unis dépassait celui des  journalistes (130.000) et le budget américain de l'industrie des relations publiques a dépassé celui de la publicité. Le chiffre d'affaires mondial des journaux et magazines avoisinait, en 2006, les 275 milliards de dollars, dont environ 175 milliards financés par la publicité, soit 65%, en augmentation, avec un maximum de 88% aux Etats-Unis. En ajoutant les radios, cela faisait environ 540 milliards de dollars par an, soit presque deux fois les dépenses annuelles de l'état français.
« Entertainment » (divertissement) comme outil et « advertising » (publicité) comme finalité. Le but n'est pas d'informer, mais d'attirer assez l'attention pour faire passer le vrai produit : la publicité. L'« information » là-dedans est un excipient comme un autre, dont le but n'est pas d'informer mais d'attirer l'attention et de véhiculer des messages publicitaires. L'information devient « infotainement », une information de divertissement. Ce qui explique en France que les grandes émissions politiques des précédentes décennies, comme l'« Heure de vérité » sur France 2, faite par des journalistes, a depuis longtemps cédé la place aux émissions               de divertissement. Les hommes politiques préfèrent, et de loin, passer chez les animateurs de variétés (Michel Drucker ou Marc Olivier Fogiel) pour promouvoir leurs idées. Le temps de cerveau disponible du lecteur ou téléspectateur humain ingurgite chaque année pour 400 milliards de dollars américains de messages intéressés. Emis par qui ? Sur les 360 milliards fournis aux anciens médias par la publicité, 160 milliards, soit 44%, sont « attribués » par les sept premiers groupes de publicité, qui font un chiffre d'affaires direct d'environ 50 milliards. En France, en deux ans (2004-2005), les trois principaux quotidiens français ont bouleversé leur actionnariat dans une relative indifférence : Le Figaro a été racheté par Dassault, Libération recapitalisé par Rothschild et Le Monde renfloué par Lagardère (8). 
Il en découle de ce panorama que le journaliste qui se propose dêtre un acteur des relations internationales se doit d'être rarement sur la table des convives. Le journaliste acteur des relations internationales est celui qui rompt le monopole du récit médiatique des médias du consensus. Tel est le cas aux Etats-Unis de Seymour Hersch (9) (New Yorker), qui révéla les massacres de My lai, (Vietnam 1969), ou de Franklin Lamb de la revue Counterpunch (Etats-Unis), qui dévoila la connivence du clan Hariri au Liban avec les groupes radicaux de l'Islam sunnite dans les affrontements du camp palestinien de Nahr el Bared (Nord Liban) en 2007.   
En France, la revue bimestrielle RILI (Revue Internationale des Livres et des Idées), le mensuel « Le Monde Diplomatique », notamment lors de sa bataille victorieuse pour torpiller l'AMI (accord multilatéral sur les biens culturels) ou encore, chacun à sa façon, l'hebdomadaire satirique « Le Canard Enchaîné » et « Le plan B », la revue critique des médias relèvent de cette catégorie. Dans le monde arabe, Al Qods al arabi, le journal transfrontière arabe basé Londres, et la chaîne de télévision al Jazira, ont réussi à modifier l'agenda médiatique international, à contre-courant de la tendance générale. Conséquence de cette endogamie de la classe politico médiatique, les grands pontifes de la presse pâtissent de la désaffection du public à leur égard et de l'engouement d'une nouvelle génération de lecteurs pour le journalisme électronique, notamment, en France, le site Bakchich (journalisme d'investigation), Acrimed, le site critique des Médias, les grands sites fédérateurs à l'instar de Rebelion. org (Amérique Latine), Mondialisation.ca (Amérique du Nord), Oumma.com (France), Al Andalus.ma (Maghreb), qui drainent près de quinze millions  de lecteurs réguliers en France. Les journalistes sont-ils des acteurs de l'Histoire ? C'est l'histoire qui décidera en fait quels sont les journalistes qui sont des acteurs et quels sont ceux qui font l'histoire. C'est elle qui fera le tri, qui désignera les élus, distinguera pour la postérité ceux qui ont contribué à l'Histoire, et, partant les falsificateurs.  Que reste-t-il en effet de Judith Miller, la grande prètresse du journalisme américain du Moyen orient ? Renvoyée sans ménagement du prestigieux journal New York Times qu'elle a sérieusement discréditée par sa manipulation de l'opinion publique internationale à propos des armes de destruction massives en Irak, dans une opération menée en concertation avec le vice président Dick Cheyney, le sulfureux opposant irakien Ahmad Chalabi et la nièce de ce  dernier,           employée du journal américain au Koweït Relayant et amplifiant une information devenue par saturation un de arguments justificatifs de l'administration néo-conservatrice à l'invasion américaine en Irak, Judith Miller traîne désormais comme un boulet son accablant sobriquet : l'« arme de destruction massive de la crédibilité du             New York Times », récupérée, juste retour des choses, par l'American Enterprise Institute, le fief du néo-conservatisme américain et du christianisme sioniste, (évangélistes) terme ultime de quarante ans de mystification professionnelle. Que reste-t-il de Robert Maxwell, le flamboyant magnat de la presse britannique, agent de renseignement souterrain des services israéliens ? Suicidé par noyade, par une nuit noire, à bord de son yacht, et sa famille acculée à la faillite.  Que reste-t-il de PPDA, au-delà de ses succès mondains ? La fausse interview de Fidel Castro et sa condamnation pour abus de biens sociaux dans l'affaire Pierre Botton. Le présentateur le plus populaire de France de la plus importante chaîne de télévision d'Europe (TF1), qui avait eu l'outrecuidance de fixer lui-même la date de son retrait, a été licencié par SMS, comme un vulgaire saute-ruisseau, résigné à courir le cacheton dans les médias périphériques.  Que reste-t-il de Jean Pierre el Kabbache ? Le souvenir cuisant de sa honteuse manoeuvre pour s'exonérer de sa responsabilité dans l'annonce prématurée de la mort de l'artiste Pascal Sevran et son souci d'obtenir l'aval préalable de Nicolas Sarkozy pour la nomination du journaliste accrédité au ministère de l'intérieur, du temps où le président français était titulaire de la charge.  Que reste-t-il de Christine Ockrent ? L'interview d'un condamné à mort, la veille de son exécution, l'ancien premier ministre monarchiste iranien, Amir Abbas Hoveyda, révélant prématurément son opportunisme à tout crin. Sa réputation de professionnalisme dégonflée comme un ballon de baudruche par son recours abusif aux publi-reportages surtarifés, en contradiction avec la déontologie, accréditant l'image d'une ménagère affairiste avide et cupide.  Que reste-t-il de Jean Marie Colombani ? Désavoué par sa propre rédaction du fait de sa grande proximité avec un plagiaire, Alain Minc, le fossoyeur de l'empire italien de Carlo de Benedetti, et sa fanfaronnade honteuse du lendemain des attentats du 11 septembre 2001 : « Nous sommes tous des Américains », méprisante à l'égard de tous ceux qui à travers le monde ont eu à pâtir du bellicisme américain : Les Vietnamiens carbonisés par l'agent orange, les Latino-américains pressurisés par United Fruit, la population caramélisée de Hiroshima et Nagasaki (Japon), les Palestiniens en voie d'éradication. Que restera-t-il de Claude Askolovitch, l'étoile montante du journalisme sarkozyste, le nouveau patron de presse du groupe Lagardère ?
L'affaire Siné :  une carrière météorique propulsée par une délation calomnieuse d'un faux procès en antisémitisme à l'encontre d'un confrère satirique. Une ambition satisfaite d'une haine recuite par le recours à une pratique honteuse de l'Histoire de France dont une large fraction de la communauté juive en a eu à pâtir durant la     Deuxième Guerre mondiale (1939-1945). Acteur ou non de l'histoire, le journaliste est d'abord le reflet de son époque. La notoriété n'est pas forcément synonyme de crédibilité. Elle est tout au plus le reflet de la presse à une époque, dans son aspect glorieux parfois, dans son aspect hideux, souvent.




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