jeudi 12 août 2010

Un Etat religieux conduit tout droit à la catastrophe

 « Un Etat religieux conduit tout droit à la catastrophe »
mardi 26 janvier 2010 - Omar Abdel-Razek, Jon Elmer pour IPS
Omar Abdel-Razek
Quand Omar Abdel-Razeq a été nommé ministre des Finances après la victoire du Hamas aux élections de janvier 2006, la BBC a qualifié son poste de « fonction la moins enviable du nouveau gouvernement palestinien ».
Ce professeur d’économie est l’un des 15 Palestiniens qui furent élus au parlement alors qu’ils étaient encore dans une cellule en prison israélienne ; il était détenu sans aucune charge contre lui et il fut libéré après son élection.  Bien avant de pouvoir s’attaquer au déficit budgétaire abyssal, généré par un siège paralysant et le boycott du gouvernement Hamas, Abdel-Razeq fut à nouveau arrêté, en juin 2006, avec 64 hauts responsables du Hamas, comprenant 7 ministres et plus de 40 députés du Conseil législatif palestinien (CLP). 
John Elmer, pour IPS, a recueilli les propos d’Omar Abdel-Razek, dans le bureau de celui-ci à Ramallah, le 19 janvier 2010.
IPS : Israël a relié votre arrestation de juin 2006 à la capture du soldat israélien dans Gaza.
Omar Abdel-Razeq : A l’époque, oui. Nous avons été arrêtés à cause de cette capture. Mais Israël ne pouvait pas revendiquer notre arrestation dans le cadre du système judiciaire militaire. Il nous accusait en fait d’avoir été élus sur une certaine liste électorale, de participer aux sessions du CLP et d’être ministres d’un gouvernement « au service du » Hamas. Au moins dans mon cas, être ministre des Finances, c’était une fonction plutôt professionnelle que politique.
IPS : Aurait-il été possible au régime du Premier ministre Salam Fayyad, en Cisjordanie, de prendre le pouvoir sans ces arrestations de députés du CLP ?
Non. L’un des objectifs du gouvernement israélien était de falsifier les résultats électoraux de janvier. Le mouvement islamique avait obtenu la majorité et il était censé gouverner sur les territoires pendant quatre années. Aussi, Israël est intervenu en emprisonnant environ 42 membres du CLP, de sorte que la majorité a changé de côté.
IPS : A propos des forces de sécurité palestiniennes, organisées sous les auspices du général Keith Dayton, savez-vous par vos gens s’il y a toujours des sévices et des tortures ?
Eh bien, il y a un problème ici sur ce qu’on entend par torture. Début octobre, il y a eu un décret du président qui interdit la torture. Malheureusement, la définition de la torture n’inclut que les pressions physiques graves, les coups ou les pendaisons de gens la tête en bas, et d’autres choses comme ça.   Certaines sortes de tortures sont toujours pratiquées avec la conviction pour les forces de sécurité qu’il ne s’agit pas de torture. Par exemple, elles peuvent vous lier les mains derrière le dos et vous faire asseoir sur une chaise pendant 12 à 15 heures. Elles peuvent vous lier les mains et vous pendre par les orteils au-dessus du sol. Il y a aussi des cas - surtout en ces jours de froidure - où elles confisquent les couvertures ou les matelas, pendant des jours quelquefois. Elles forcent des gens à se tenir debout pendant des heures, ou les empêchent de dormir des jours durant. Et tout cela, elles considèrent que ce ne sont pas des tortures.   Cependant, auparavant, la torture lourde était la norme ; maintenant, c’est l’exception. C’est mieux qu’il y a deux mois, mais cela se pratique toujours.
IPS : Y a-t-il toujours des attaques contre l’infrastructure du Hamas, ce qu’Israël appelle la stratégie de la Dawa ?
Je ne crois pas qu’il y ait une infrastructure à être attaquée plus que ne l’est celle du Hamas. Israël en a terminé avec l’infrastructure du Hamas. Maintenant, dans la plupart des cas, ils en sont à réagir contre quiconque tente de reconstruire cette infrastructure. Bien entendu, quand nous parlons infrastructure, nous entendons les sociétés, les coopératives et les institutions qui existaient pour aider les pauvres et les orphelins, les familles de prisonniers, ou d’autres comme cela. Bien sûr, cela affecte très sérieusement ces couches de la société civile.
IPS : Cette stratégie a-t-elle fonctionné ?
Elle a fonctionné dans le sens où, comme vous dites, vous ne pouvez plus trouver quelqu’un pour parler au nom du Hamas si vous êtes journaliste. Vous ne trouvez plus un représentant Hamas pour intervenir dans un séminaire. Israël a réussi à empêcher toute activité, par exemple les campus universitaires. Les activités de bienfaisance sont interrompues. Cela affecte plus largement encore le mouvement lui-même. Oui, ils sont arrivés à cela.  Mais si vous me posez la question à propos du mouvement, est-ce que le Hamas est fini ? Non.
IPS : Est-ce que d’une certaine manière Israël ne renforce pas le mouvement en le ciblant ?
Je pense que la décision du mouvement de ne pas se confronter à l’Autorité en Cisjordanie est une décision sage. Notre objectif n’est pas de combattre l’Autorité palestinienne.    Il a fallu des conditions particulières, un environnement propre pour ce qui s’est passé dans Gaza. En réalité, cela a commencé de l’autre côté : avec les forces de sécurité conduites par Dahlan et Dayton. Personne ne le conteste aujourd’hui ; elles voulaient prendre le pouvoir, renverser le gouvernement civil. Et le Hamas a été obligé de passer à l’action pour rétablir l’ordre.  Mais pour la Cisjordanie, nous n’avions aucune raison, aucune justification. Rien n’a été fait par le Hamas contre l’Autorité ou le Fatah en Cisjordanie.   (Les gens sympathisent avec le Hamas) pour deux raisons : la première, c’est que la pratique des forces de sécurité est incohérente, désorganisée, personne ne croit dans ce qu’elles font. Et l’autre raison, c’est l’échec complet du soi-disant processus politique.
IPS : Parlons justement de ce processus politique. Le projet de sécurité de Dayton est lié à un autre projet, économique, que Tony Blair met en œuvre et qu’on appelle le « modèle Jénine ». L’idée est de créer aux côtés des forces de sécurité une sorte de prospérité économique néolibérale. L’équipe Dayton parle de 4% de croissance économique en Cisjordanie pour l’année dernière, le FMI relève ce taux de croissance à 7% pour l’année en cours.
Ce qui se passe ici reflète ce que les aides des donateurs laissent apparaître dans les statistiques. Ces 7% de croissance proviennent de la progression de certaines entreprises et certains commerces qui profitent du système de donations. Toutefois, si vous regardez les couches marginales de la société, la plupart des gens vous diront que celui qui était pauvre est devenu, ces dernières années, encore plus pauvre.
L’emploi public est aujourd’hui lié au système sécuritaire. Des gens sont licenciés simplement sur la façon dont ils ont voté, ou dont ils sont soupçonnés d’avoir voté. Alors, d’une certaine manière, il existe effectivement cette progression, mais elle reste artificielle dans ce sens qu’elle provient simplement de l’argent des donateurs et, si cela s’arrête pour une raison ou pour une autre comme en 2006 après les résultats des élections, alors l’économie s’effondre.
IPS : Vous considérez donc cette aide comme problématique ?
Elle est problématique dans le sens où elle a un coût politique. Elle est subordonnée à ce que vous faites dans le processus politique. Ils ont utilisé ce financement par donateurs pour faire pression sur le gouvernement.
IPS : Le modèle Jénine va-t-il fonctionner ?
Est-ce que ça va apporter une solution au problème ? Non.
IPS : C’est pourtant comme cela que le voient Israël et les Etats-Unis, ils en parlent comme d’un « horizon politique ».
Vous ne pouvez régler le combat politique avec Israël par l’économie. Ils essaient en ce moment d’acheter le calme. Je crois que la Première et la Deuxième Intifadas ont prouvé que ce n’était pas la bonne méthode.
IPS : Alors, serions-nous sur la voie d’une Troisième Intifada ?
Pas à cause de la situation économique. A cause de la politique israélienne à Jérusalem, peut-être ; ou à cause de la politique israélienne à l’égard des colonies. Ou à cause de l’échec du Fatah et de l’Autorité palestinienne qui n’ont atteint aucun des objectifs nationaux palestiniens.
(Le Président Mahmoud Abbas) est convaincu que c’est la seule voie, que notre seule alternative est la négociation. De la sorte, il ne laisse personne exprimer d’autres options. Même celle de la résistance civile. Et je ne parle même pas d’un soulèvement armé. Après le siège, après les pratiques de l’Autorité contre les mouvements de résistance, un soulèvement armé serait très difficile. Mais même un soulèvement civil est entravé par l’Autorité. Il n’est pas souhaité.
IPS : De la façon dont ils mettent en place ces forces de sécurité avec Dayton, elles vont se trouver en première ligne pour mater cette Intifada.
Mais si cela arrive, alors que beaucoup de gens s’opposent aux forces de sécurité et qu’il y aura plus de blessés, plus de victimes, les forces de sécurité se retireront, car elles ne feraient que tuer leurs cousins, leurs voisins, leurs amis. Dans notre pays, les centres de population sont suffisamment petits pour que tout le monde connaisse tout le monde.
IPS : S’il y a réconciliation au niveau politique, est-il possible que les membres du Hamas se joignent à l’armée que Dayton est en train de créer afin de la rendre plus légitime ?
En Cisjordanie, nous ne cherchons pas à rejoindre les forces de sécurité. Nous voulons des forces de sécurité qui protègent le peuple, avec une police et un système judiciaire, et tout cela. Et, deuxièmement, nous voulons que cesse la coopération avec les Israéliens, qui cherchent à arrêter la lutte de la résistance. Nous sommes sous occupation. Tant que durera cette occupation, nous aurons le droit de résister. Après, que vous résistiez ou non, c’est autre chose, mais le droit de résister existe. Nous ne pensons pas que s’opposer de quelque façon à la résistance des Palestiniens, ou la combattre, puissent servir la cause palestinienne.
IPS : Quelle est la prochaine étape ? Peut-il y avoir des élections ?
Sans réconciliation (entre Fatah et Hamas), je ne crois pas qu’il y aurait le moindre sens à des élections. Le Hamas ne se présentera aux élections qu’après la réconciliation. A mon avis personnel, ce ne serait pas la solution.   Nous avons eu des élections. Ce furent des élections honnêtes, justes et transparentes. Elles furent saluées par tout le monde, seulement personne n’en a accepté les résultats. Nous pouvons avoir des élections demain mais ça ne sert à rien si le monde ne veut pas accepter ce qui en résulte. A moins, bien sûr, que les élections ne soient conçues pour donner des résultats dans la ligne de ce que veulent les Etats-Unis, ou l’Occident.
IPS : Alors, quelle issue ? Fayyad peut-il continuer à gouverner sans être légitimé par le peuple, et sans possibilité d’élections pour obtenir une telle légitimité ?
Est-ce que Fayyad doit gouverner ? Nous pensons que Fayyad doit partir, sauf s’il obtient une légitimité de manière adéquate. Il n’a que deux sièges au parlement. C’est le plus petit parti qui gouverne la société. C’est contraire à toutes les règles, à toutes les normes, à toutes les valeurs démocratiques.  La solution passe d’abord par les Etats-Unis. Malheureusement, leur politique étrangère se fonde sur l’hypothèse que les intérêts états-uniens sont mieux servis par Israël. Il n’y a aucune raison de croire qu’une démocratie palestinienne serait une menace pour les intérêts des Etats-Unis.  Que les gens vivre en paix ; qu’ils choisissent leur direction. Laissons les Palestiniens exercer leurs droits. Il existe un consensus parmi les factions palestiniennes : nous accepterons un Etat palestinien souverain à l’intérieur des frontières de 1967, sur tout ce territoire, avec Jérusalem-Est comme capitale.  Les Israéliens veulent toute la terre. Ils veulent un Etat juif. C’est comme si on parlait d’avoir un Etat chrétien - un Etat catholique ou protestant ; ou un Etat chiite ou sunnite. Donnez à un Etat un caractère religieux, et vous allez tout droit à la catastrophe.  
Wikipédia : Omar Abdel-Razeq, né en 1958 à Salfit en Cisjordanie dans une famille d’agriculteurs, est un économiste et homme politique palestinien. Ministre des Finances du 29 mars 2006 au 17 mars 2007 après avoir été libéré d’une prison israélienne où il était en détention administrative depuis le 13 décembre 2005. Il avait été placé une première fois en détention administrative en 1997.
Il fait ses études secondaires dans les écoles de Salfit et obtient son doctorat en mai 1986 à l’université Iowa aux États-Unis.
Avant de devenir ministre des Finances le 29 mars 2006, il est professeur d’économie à l’Université nationale d’Al-Najah et est également chercheur à l’Institut Mass pour les études économiques à Ramallah.
Ce spécialiste de l’économie mathématique et internationale est lauréat de plusieurs prix d’honneur tels que le prix 1991 Abdel Hamid Shouman pour les jeunes Arabes en sciences sociales.
19 janvier 2010 - IPS - traduction : JPP

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