samedi 23 octobre 2010

Répression et arrestations en Palestine 48 : que craint « Israël » ?

Répression et arrestations en Palestine 48 : que craint « Israël » ?

Fadwa Nassar  [ 13/09/2010 - 18:32 ]


Au cours des semaines passées, la député Hanine Zo’by, du Rassemblement national démocratique, a été menacée de se voir retirer sa « carte de citoyenneté » pour avoir participé, en tant que député, à la Flotille de la liberté, au mois de mai dernier, contre le blocus meurtrier de Gaza. Peu de temps après, sheikh Raed Salah a été emprisonné, pour avoir défendu la porte al-Maghariba de la mosquée al-Aqsa contre sa destruction par les forces sionistes. Au mois de mai, Ameer Makhoul, directeur général d’Ittijah (union des associations civiles à Haïfa) et au mois d’avril, dr. Omar Sa’ïd, dirigeant dans le Rassemblement national démocratique, sont arrêtés, accusés de fournir des renseignements à l’ennemi (comprendre ici le Hezbollah).

Le point commun entre toutes ces récentes arrestations est le fait que toutes ces personnalités font partie de la direction politique et associative des Palestiniens de 48.

Pour les dirigeants sionistes, le maintien de Palestiniens à l’intérieur de la colonie qu’ils ont fondée en 1948 sur le pays de la Palestine et nommée « Israël », reste un cauchemar dont ils ont du mal à se débarrasser. Depuis cette date, ils essaient de les disloquer, chasser, ou maintenir en situation d’infériorité, par tous les moyens tout en leur trouvant des voies « légales », mais en vain. Depuis 1948, le nombre des Palestiniens de 48 a accru, pour devenir près d’un million et demi (soit 20% de la population de l’Etat sioniste), ils ont développé leur situation économique, leur état culturel et éducatif et ils ont surtout acquis et développé une conscience et une pratique politiques qui les placent, depuis 2000, dans une situation critique: l’Etat sioniste les considère désormais comme une « menace stratégique » !

Si l’institution sioniste continue à arrêter et emprisonner les militants palestiniens qui protestent contre les guerres qu’elle mène en Palestine ou au Liban, contre les expropriations de leurs terres, l’installation des colons dans leurs villes et les provocations des colons comme lors de la révolte de Akka (octobre 2008), ou des manifestations à Umm al-Fahem (février 2009 et après), contre les destructions des villages comme la toute récente destruction d’al-Araqib dans al-Naqab, où des dizaines de Palestiniens ont été arrêtés, les arrestations et détentions témoignent de plus en plus d’une vision qui s’enracine dans l’institution sioniste, celle de Palestiniens devenus « incontrôlables » qui refusent l’allégeance à l’Etat juif qui leur aurait «offert l’hospitalité ».

Démanteler la direction palestinienne
La répression des Palestiniens de 48 a pris en effet une nouvelle tournure depuis 2000, non pas que leur résistance a commencé dès ce moment, loin de là (la journée du 30 mars 1976 ou « journée de la terre » témoigne de leur combativité historique) mais parce que depuis le soulèvement d’octobre 2000, qui a accompagné l’intifada, les Palestiniens ont montré leur maturité et autonomie politiques par rapport à tout ce qui touche de près ou de loin aux institutions sionistes, de gauche ou de droite. Ils ont développé leurs propres structures de lutte et de revendications, installé leur nouvelle direction politique, aussi éloignée que possible des anciens cercles liés aux institutions sionistes ou même au courant défaitiste dans l’OLP, pris en charge leurs propres revendications internes mais aussi celles du peuple palestinien dans son ensemble : fin de l’occupation, retour des réfugiés, une seule représentativité palestinienne. Sans vouloir cependant présenter une image idyllique de cette direction, il faut cependant remarquer qu’elle a de plus en plus tendance à affronter dans l’unité les mesures sionistes, dirigées contre les Palestiniens de 48 ou les Palestiniens dans leur ensemble.

Un des objectifs de la répression sioniste contre le mouvement national palestinien de l’intérieur vise à démanteler sa direction. Même si les accusations s’avèrent fausses, même s’il faut inventer des documents, l’institution sioniste espère que
l’accentuation de la répression intimidera le mouvement national et l’empêchera de se construire d’une manière solide. Avant même l’exil forcé en 2008 de dr. Azmi Bshara, un des fondateurs du Rassemblement National Démocratique et penseur arabe de renommée, nombreux sont les dirigeants des partis et mouvements de 48 qui avaient été réprimés ou détenus, dont sheikh Raed Salah qui avait été détenu en 2003 et Muhammad Kanaané (secrétaire général du mouvement Abnaa al-Balad) en 2004. D’autres responsables palestiniens avaient été attaqués et menacés, comme l’ancien député du parti communiste Issam Makhoul, dont la voiture avait été piégée ou Mounir Mansour, directeur de l’association interdite « Ansar el-sageen », victime de plusieurs tentatives d’écrasement. Dans les universités, les dirigeants étudiants arabes sont poursuivis et détenus : après les manifestations ayant rassemblé plus d’un million et demi de personnes contre la guerre menée à Gaza, des dizaines d’étudiants avaient été arrêtés et jugés. 


Criminaliser la liaison avec le monde arabo-musulman
Mais c’est surtout la volonté d’empêcher la liaison entre les Palestiniens de 48 et le reste du monde, notamment arabo-musulman, qui fait agir les sionistes. En effet, depuis le début de l’intifada al-Aqsa, les dirigeants sionistes craignent l’élan des Palestiniens de 48 vers le monde extérieur, d’autant plus que cet élan non seulement échappe à leur contrôle mais menace leurs intérêts. La sonnette d’alarme avait été tirée lors de la conférence de Durban, en Afrique du Sud (2001), lorsque la délégation des Palestiniens de 48 y avait dénoncé l’apartheid colonial de l’Etat sioniste. Pour la première fois et dans une tribune internationale aussi importante, ils faisaient entendre leur voix dénonciatrice du fondement même de l’Etat sioniste. Depuis cette date, ils se sont adressés à toutes les tribunes : aux peuples arabes en 2002, à la conférence des associations civiles du Caire, leur demandant de boycotter et de refuser la normalisation avec l’Etat sioniste, tout en s’ouvrant au peuple palestinien. Ils activent les rencontres avec les diverses catégories du peuple palestinien : les réfugiés dans les camps, réfugiés en exil mais aussi les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, pour former des structures de luttes communes. Ils activent également leurs relations dans les structures arabes et internationales, réclamant leur place, non en tant « qu’Israéliens » mais en tant que Palestiniens. Ils revendiquent le droit d’avoir des liens avec les pays arabes et les Palestiniens, sans passer par les canaux de l’Etat sioniste, pour échapper à la normalisation et éviter de servir les sionistes qui ne seraient pas contre ces liaisons si celles-ci favorisaient la normalisation entre les peuples ou régimes arabes et l’Etat sioniste !

Ces liaisons multiples et offensives de la part des Palestiniens de 48 ont suscité la crainte de l’Etat sioniste et de ses dirigeants qui n’ont pas hésité à les accuser de représenter un « danger stratégique » pour Israël et d’être une « cinquième colonne ! ».
L’association Adalah (association juridique de défense des Palestiniens de 48) n’hésite pas à parler de « politique de criminalisation de la liaison avec « l’ennemi » faisant remarquer que les ennemis de l’Etat sioniste ne sont sûrement pas ceux du peuple palestinien. Adalah explique d’autre part que dans le cadre d’un Etat où existe une forte minorité nationale, comme c’est le cas pour les Palestiniens de 48, même sans tenir compte de la nature coloniale de cet Etat, toute minorité a des droits garantis par le droit international pour établir des liens avec son peuple et son environnement national que sont les peuples arabes.

Dans son article paru en 2009, Hanine Naamné (Adalah) écrit : « la minorité arabe en Israël est une minorité nationale à l’intérieur d’Israël, mais elle fait partie d’une large communauté nationale arabe et constitue une part intrinsèque de cette communauté.. » Donc, juridiquement, toute répression de cette liaison bafoue le droit international, là encore. Et H. Naamné ajoute : « Israël utilise la doctrine des « Etats ennemis » comme outil supplémentaire pour réprimer la minorité arabe en Israël et accentuer la discrimination envers elle ».

A cause du renforcement de ces liens naturels, un document interne du service de renseignements, la Shabak, explique en 2007 que les Palestiniens de 48 représentent « à long terme, une menace stratégique pour Israël, pour le caractère juif de l’Etat et la présence d’Israël en tant qu’Etat juif ». Lors d’une réunion à huis-clos entre Ehud Olmert, Yoval Deskin, directeur de la Shabak en présence des responsables des appareils sécuritaires sionistes, « la minorité arabe en Israël, le déclin de son soutien à l’Etat, la montée des forces radicales et les dangers qui en sont issus » sont à l’ordre du jour, d’autant plus qu’ils « soutiennent l’Iran et le Hezbollah et toutes les parties qui ne reconnaissent pas la légitimité de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif. »

Déjà, lors de son arrestation, sheikh Raed Salah avait été accusé en 2003 d’avoir accepté le financement de la république islamique d’Iran. Mais malgré un lourd dossier d’accusation de milliers de pages, le dirigeant du mouvement islamique a été relaxé, faute de preuves suffisantes pour son maintien en prison. Cependant, les récentes arrestations de militants ou dirigeants palestiniens portent cette marque « accusatrice », qui est celle d’agir en connivence ou au bénéfice de forces « ennemies ». Dr. Azmi Bishara avait été accusé d’avoir fourni des renseignements « sensibles » au Hezbollah, pendant la guerre de juillet-août 2006. Rawi Sultani, étudiant militant au Rassemblement National démocratique, arrêté en 2009, aurait rencontré au Maroc des membres du Hezbollah qui lui auraient confié la mission de surveiller le général Ashkenazi.

En 2008, Anis Saffouri (Abnaa al Balad,20 ans) et Hussam Khalil (RND, 19 ans) sont accusés d’avoir des liens avec le Jihad islamique. Plus tôt, En février 2004, Hussam et Muhammad Kanaane sont accusés d’être en liaison avec des organisations palestiniennes de la résistance. Et en 2010, dr. Omar Sa’îd et Ameer Makhoul sont accusés d’être en contact ou de fournir des « renseignements sensibles » au Hezbollah, pendant que Mrad Nimr (25 ans) est arrêté 2010 à Beer Saba’, pour appartenance au mouvement Hamas. En 2008 , trois militants du mouvement islamique de Lid sont arrêtés, soupçonnés d’être relation avec la résistance palestinienne, mais ils sont aussitôt relâchés, ce qui a fait dire à la Commission des libertés issue du Haut comité de liaison des masses arabes, que la « montagne de la Shabak a accouché d’une souris » !

En fait, ce que craingnent surtout l’institution sioniste et ses appareils sécuritaires, ce ne sont pas les « informations sensibles » fournis qui, comme le disent des journalistes israéliens, existent sur tous les sites internet bien informés, à la disposition de nombreux experts, mais plutôt « la connivence politique entre les mouvements de la résistance et les Palestiniens de 48. C’est ce qu’elle considère comme étant de l’espionnage. Et ceci représente une grave menace contre eux. » (Haaretz, Amos Harel et Avi Issacharoff).

La répression de cette liaison prend d’autres aspects : l’interdiction de se déplacer, vers les territoires occupés en 1967, al-Qods notamment, émise par l’armée sioniste en accord avec la Shabak ou le Shin Beth. La récente interdiction de sheikh Abu Sharkha, conseiller juridique du mouvement islamique, en est le dernier exemple. Mais il y a, depuis l’intifada al-Aqsa, une interdiction collective de se rendre à Gaza. Il y a également les ordres émanant du ministère de l’intérieur en collaboration avec les appareils de surveillance, d’interdiction de voyager. De nombreux dirigeants politiques, associatifs ou tout simplement militants ont été interdits de se rendre à l’étranger. Le dernier exemple est la prolongation de six mois le 9 septembre 2010 de l’interdiction faite au cadre politique Ghassan Athamla, ancien prisonnier, de voyager. Ces interdictions s’appuient sur la loi d’urgence de 1948 et prétendent assurer la sécurité de l’Etat sioniste !

En réalité, c’est pour empêcher l’expression publique des dirigeants palestiniens dans les tribunes internationales que l’Etat sioniste sévit contre eux. Pour les sionistes qui considèrent que le monde occidental (Europe et Etats-Unis notamment) est leur base politique et idéologique, il n’est pas permis aux Palestiniens, et surtout de 48, de la déstabiliser. Pour l’écrivain britannique Jonathan Cook, qui vit à Nasra, « (Ameer) Makhoul est représentatif d’un mouvement palestinien qui émerge à la recherche de nouvelles stratégies ; il n’a pas caché ses relations avec les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, ni avec les réfugiés, ni avec les institutions arabes, ni sa solidarité avec Gaza (il avait été arrêté après les manifestations par le Shin Beth) ni sa direction du mouvement de Boycott et de Désinvestissement lancé en Europe, grâce aux nombreux contacts avec les délégations européennes. ». Quelques semaines avant son arrestation, il recevait d’ailleurs une délégation basque.

Donc, c’est bien pour des motifs politiques et non sécuritaires comme elle le prétend, que l’institution sioniste considère que le moyen le plus efficace pour briser cet élan palestinien vers son environnement arabe et vers l’étranger serait de le réprimer, de criminaliser ses liaisons, de l’enfermer dans l’israélisation pour ensuite l’exploiter en direction de l’environnement arabo-musulman et étranger, uniquement pour servir ses intérêts, bref, en faire des Palestiniens soumis qui seraient les intermédiaires entre les sionistes et les Arabes.

Une nouvelle tendance de cette répression est récemment apparue, qui ne se contente plus de réprimer, exiler ou arrêter les dirigeants politiques, mais bien les acteurs de la vie associative et civile. Muhammad Zaydan, dirigeant de l’association arabe pour les droits de l’homme (Arab HRA) à Nasra déclare, suite à l’arrestation de Ameer Makhoul : « nous sommes habitués à la poursuite et la répression politiques de nos dirigeants politiques, mais ce qui est nouveau, c’est la poursuite et la répression des responsables de la société civile et associative » qui a réussi à élargir le champ de la liaison inter-arabe. D’ailleurs, si les années post-Oslo (années 90) avaient assisté à une certaine libéralisation de la vie politique et associative des Palestiniens de 48, les appareils de renseignements sionistes sont assez rapidement revenus à la surveillance de toute leur activité comme dans les années 50, lorsqu’ils étaient à la merci du pouvoir militaire. Le masque libéral est tombé et c’est bien d’une répression coloniale qu’il s’agit au fur et à mesure que l’institution sioniste plonge dans sa crise structurelle.

Si l’Etat et ses appareils sécuritaires exercent la répression et la poursuite politiques, les colons provoquent et tuent (Shefa Amr en 2005), les médias assurent, quant à eux, non seulement la couverture médiatique des arrestations, mais amplifient le climat de la haine et de la suspicion du public « israélien » envers les Palestiniens de 48. Lors de l’arrestation de sheikh Raed Salah en 2004, les médias sionistes avaient longuement insisté pour présenter le leader du mouvement islamique comme un « criminel de droit commun » et présenté l’islam en tant que tel comme « dangereux », ne prenant aucun recul par rapport au pouvoir sécuritaire ou judiciaire. Il en est de même pour toutes les arrestations et notamment celle de dr. ‘Omar Saïd et Ameer Makhoul, en jetant pêle-mêle à leur public de quoi alimenter sa phobie et son racisme, à se demander souvent si les journalistes israéliens étaient des sécuritaires déguisés ou des nullités se prenant pour des « James Bond ». Quoiqu’il en soit, hormis certains journalistes travaillant dans les éditions anglaises (l’image libérale devant toujours être mise en avant pour l’étranger), les médias israéliens participent entièrement à cette campagne de terreur envers les Palestiniens de 48 dans le but de les maintenir dans un état d’infériorité et de soumission et de déstabiliser leur vie quotidienne.
 

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