Sur une population
largement sans défense
Le Nettoyage continue :
Dès la fin mars, les
opérations juives avaient détruit une grande partie de l’arrière-pays rural de
Jaffa et de Tel-Aviv. Il y avait une division du travail évidente entre les
forces de la Haganah et l’Irgoun. Tandis que la Haganah avançait en bon ordre
d’un village au suivant conformément au plan, on laissait l’Irgoun mener des
actions sporadiques dans les villages qui ne figuraient pas sur la liste
initiale. C'est ainsi que l’Irgoun entra le 30 mars dans le village de Cheikh
Muwanis (ou Munis, comme on l’appelle aujourd’hui) et en expulsa les habitants
par la force. Aujourd’hui, ses ruines se trouvent sous l’élégant campus de
l’université de Tel-Aviv, et l’une des
rares maisons restées debout sert de foyer aux enseignants.
Sans l’entente tacite entre
la Haganah et l’Irgoun, Cheikh Muwanis aurait peut-être été sauvé. Les chefs du
village avaient fait des efforts pour entretenir des rapports cordiaux avec la
Haganah afin d’éviter l’expulsion, mais les « arabisants » qui
avaient conclu ce traité étaient introuvables le jour ou l’Irgoun s’est
présenté et a expulsé toute la population.
En avril les opérations
dans les campagnes ont été étroitement liées à l’urbicide.
Ce sont les villages proches des entres urbains qui ont été pris et évacués,
parfois avec des massacres, dans une campagne de terreur qui visait à préparer
le terrain pour d’emparer plus facilement des villes.
Le conseil consultatif se
réunit à nouveau le mercredi 7 avril 1948. Il décida de détruire, avec
l’expulsion totale des habitants, tous les villages qui se trouvaient dur les
routes Tel-Aviv-Haïfa, Djénine-Haïfa et Jérusalem-Jaffa. En définitive à l’exception
d’une minuscule poignée de villages, aucun ne fut épargné.
Ainsi, tandis que l’Irgoun
effaçait de la carte le village de Cheikh Muwannis, la Haganah occupa en
l’espace d’une semaine six villages de la même zone : d’abord Khirbat
Azzun, le 2 avril, puis Khirbat Lid, Arab al-Fuqara, Arab al-Nufay’at et
Damira, qui avaient tous été nettoyés le 10, et enfin Cherqis, le 15. à la fin
du mois, trois autres villages proches de Jaffa-Tel-Aviv ̶ Khirbat al-Manshiva,
Biyar ‘Adas et le gros
village de Miska ̶ avaient été pris et détruits.
Tout cela eut lieu avant
qu’un seul soldat des armées régulières arabes ne soit entrée en Palestine, et
le rythme est ensuite devenu difficile à suivre, tant à l’époque que plus tard
pour les historiens. Du 30 mars au 15 mai, 200 villages ont été occupés et
leurs habitants expulsés. C’est un fait, à dire et à répéter, car il anéantit
le mythe israélien selon lequel les « arabes » se seraient enfuis
quand l’« invasion arabe » a commencé. Près de la moitié des villages
arabes avaient déjà été attaqués quand les gouvernements arabes ont finalement
décidé ̶ à contrecœur, nous le savons ̶ d’envoyer leurs troupes. Quatre-vingt-dix
autres villages seraient rayés de la carte entre le 15 mai et le 11 juin 1948,
date à laquelle la première des deux trêves entra enfin en vigueur.
Côté juif, les témoins
oculaires se souviennent clairement d’avoir pensé tout au long du mois d’avril
que l’armée pouvait faire plus. Dans son récent entretien avec les historiens
officiels, Palti Sela, dont on peut trouver le témoignage dans les archives de
la Haganah à Tel-Aviv, une d’un langage haut en couleur pour rendre le climat
d’excès de zèle. Palti Sela était membre des forces juives qui ont occupé et
nettoyé la ville de Baysan et reçu l’ordre de chasser les grandes tribus
bédouines qui, depuis des siècles, passaient certaines saisons dans la région.
Il dit par exemple :
Quand nous avons terminé de
nettoyer la région des tribus bédouines,
le plus [il se sert ici du mot yiddish qui désigne une blessure purulente :
farunkel] de Baysan était encore infecté par deux villages, Faruna et Samariya.
[Leurs habitants] n’avaient pas l’air d’avoir peur, cultivaient encore leurs
champs et continuaient à circuler sur les routes.
L’un des nombreux villages
pris pendant ces attaques à l’est fut celui de Sirin. Son histoire résume le
malheur qui c’est abattu sur des dizaines de villages dépeuplés par les forces
juives dans le Marj Ibn Amir et la vallée de Baysan, où l’on cherche
aujourd’hui en vain la moindre trace de la vie palestinienne qui y prospérait autrefois.
Source : ILAN PAPPE Historien Israélien
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