Par Renaud Vivien -28 février 2004
Renaud Vivien est juriste du CADTM Belgique, renaud@cadtm.org
Nous
savons que des petits malins se sont enrichis au jeu du "marché" lors
des attentats du 11 septembre au WTC. Et je me demande si le soulèvement des
ukrainiens n'a pas été un peu aidé. Aidé par ce "Marché" que nos
dirigeants adulent au point de le prendre pour le "veau d'or". Dans
ces soulèvements tout le monde y perd... sauf, les usuriers de la finance privée,
qui fait passer le taux de la dette de l'Ukraine de 5% à 34,5%. Somme-nous des imbéciles.
OUI. Comment est-il possible que ces usuriers ont pu s'approprier ainsi de nos vies ? Élisons-nous les bonnes personnes ?
Le 26 fevrier, les autorités provisoires ukrainiennes ont
sollicité un prêt du FMI pour pouvoir
rembourser la dette du pays dans les délais, soit 13 milliards de dollars rien
que pour cette année. Le FMI a répondu positivement et a décidé d’envoyer une
mission d’« experts » en Ukraine pour discuter des conditions
attachées à ce prêt.
Alors que le pays est en pleine ébullition, le
remboursement de la dette publique apparaît comme la priorité absolue de Kiev
et de ses créanciers. Les besoins de la population passent quant à eux au
second plan. Cette situation pourrait même encore se dégrader si un accord est
conclu avec le FMI, qui est en position
de force pour imposer une cure d’austérité au peuple ukrainien en échange du
prêt.
En effet, les difficultés financières de l’Ukraine sur
fond de trouble politique sont une nouvelle opportunité pour le FMI d’imposer
une thérapie de choc, à l’instar de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande, qui
appliquent, depuis l’éclatement de la crise, de violentes mesures d’austérité
dictées par la « Troïka »,
qui est composée du FMI, de la Commission européenne et la Banque centrale
européenne.
Dans ces pays, le risque de défaut de paiement à l’égard
des créanciers (principalement les banques privées) a été le point de départ de
l’intervention du FMI et des acolytes européens. Ainsi, la Grèce, le Portugal
et l’Irlande, qui n’avaient plus accès aux marchés
financiers en raison des taux d’intérêt prohibitifs,
se sont tournés vers la Troïka qui en a profité pour leur proposer des prêts,
certes moins onéreux, mais assortis de programmes d’austérité connus sous le
nom de « memorandum ». La liste des mesures contenues dans ces
memoranda est toujours la même : privatisations des secteurs stratégiques
de l’économie, baisse des salaires, des pensions, augmentation d’impôts
injustes comme la TVA, licenciements massifs dans la fonction publique, coupes
drastiques dans les budgets sociaux, etc.
L’Ukraine se trouve aujourd’hui dans une situation
similaire puisqu’elle est au bord de la cessation de paiement et ne peut
raisonnablement plus emprunter sur les marchés financiers suite à la
dégradation de sa note par les agences
de notation. Pour pouvoir emprunter sur le court
terme, l’Ukraine doit aujourd’hui payer un taux d’intérêt exorbitant de
34,5 %, contre 5 % il y a seulement cinq mois. Par ailleurs, elle ne
peut plus compter sur la Russie qui vient d’annuler le versement de la deuxième
tranche d’un prêt de 15 milliards de dollars, suite à la destitution de
l’ancien président Viktor Ianoukovitch.
L’Ukraine dispose donc actuellement d’une faible marge de
manœuvre. Toutefois, le FMI ne peut en aucun cas faire partie de la solution vu
les conséquences dramatiques des programmes d’austérité qu’il impose aux
populations depuis plus de trente ans. Dans tous les pays qui ont conclu des
accords avec cette organisation, on observe de manière générale une
augmentation de la pauvreté et des inégalités. C’est le cas de la Grèce, de
l’Irlande et du Portugal mais également des pays du Sud soumis aux plans
d’ajustement structurel (PAS) depuis le début des années 80 et des pays de
l’Europe de l’Est qui ont aussi subi une thérapie de choc administrée par ce
même FMI dans les années 90.
Au lieu de s’endetter auprès du FMI pour régler les dettes
passées, il faudrait plutôt s’interroger sur la légalité et la légitimité des
dettes que l’Ukraine compte payer avec ce prêt du FMI. En effet, le remboursement
des dettes publiques n’est pas une obligation absolue du point de vue politique
et juridique. Rappelons aussi qu’en droit international public, les devoirs
d’un État envers sa population sont supérieurs aux engagements pris envers ses
créanciers et que l’obligation de rembourser ne vaut que pour les dettes
« contractées dans le cadre d’un accord valide et légitime |1| »
comme le souligne l’Expert des Nations unies sur la dette Cephas Lumina. Si les
dettes sont illégales ou illégitimes alors l’Ukraine n’a aucune obligation de
les rembourser et par conséquent, n’a aucun intérêt d’emprunter au FMI.
Un audit des dettes ukrainiennes permettrait d’identifier
la part illégitime qui doit être annulée sans condition. L’audit permet
notamment de répondre à ces questions : Qui a contracté ces dettes ?
Étaient-ils juridiquement compétents pour contracter ces prêts ? Qui en a
profité ? Les prêteurs ont-ils mis des conditions à l’octroi des
prêts ? Ces conditions violent-elles le droit national du pays
emprunteur ? A combien s’élève le montant des intérêts engrangés par les
prêteurs ? Quels sont les projets financés par la dette ? etc.
Vu l’urgence, une réponse immédiate pourrait être la
suspension du remboursement de la dette (avec gel des intérêts) et le gel des
négociations avec le FMI dans l’attente (au minimum) des résultats des
prochaines élections prévues le 25 mai et d’un vrai débat public sur les
implications d’un prêt du FMI et les alternatives à l’endettement.
Les arguments pour décréter ce type de moratoire ne
manquent pas. L’Ukraine et ses créanciers pourraient invoquer « un
changement fondamental de circonstances » suite au renversement de
Ianoukovitch et la nature provisoire du gouvernement mis en place le 26
février. Seul manque aujourd’hui la volonté politique aussi bien de la part des
autorités provisoires de l’Ukraine que de l’Union européenne qui se déclare
pourtant du côté du peuple ukrainien…
Note :
Principes directeurs relatifs à la dette extérieure et aux
droits de l’homme, Annexe au rapport de l’expert indépendant Cephas Lumina du
10 avril 2012 (A/HCR/20/23). Sauf mention contraire, les citations sont issues
de ce rapport.
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L’ensauvagement du
monde
19 octobre 2013 par Aminata Traoré
Préface au livre « Procès d’un homme
exemplaire »
L’ensauvagement du monde poursuit son cours avec son
cortège de souffrances humaines, de larmes et de sang. Les peuples appauvris et
affamés qui prennent d’assaut la rue, parviennent parfois à évincer des
dictatures militaires et civiles internes sans pour autant changer les causes
structurelles des inégalités, des injustices et de la corruption. Ils sont
impuissants face au « coup d’État permanent » que dénonce,
inlassablement, Éric Toussaint en démontant les rouages du Fonds monétaire
international (FMI) et de la Banque
mondiale.
Le « Procès
d’un homme exemplaire » ajoute une nouvelle dimension à sa
contribution et à celle, tout aussi précieuse, du Comité pour l’Annulation de
la Dette du Tiers-Monde (CADTM) à la démystification des institutions de
Bretton Woods. Les potions du FMI et de la Banque mondiale ne sont pas
seulement amères, elles sont souvent mortelles.
Le Mali en guerre ne souffre pas, comme le discours
dominant le prétend, d’une crise sécuritaire au nord et d’une crise
institutionnelle au sud. Il est l’un des meilleurs élèves de ces institutions à
qui il doit largement le délitement de l’État, la porosité des frontières et le
désespoir des jeunes sans emplois, prêts à se battre sur tous les fronts.
Comble de l’horreur, le Mali est à la veille d’un nouveau
cycle de surendettement au nom de sa reconstruction selon le même paradigme
sous la tutelle des mêmes institutions financières internationales.
Des histoires de vies comme celle de Jacques de Groote,
anciennement directeur exécutif de ces deux institutions, aujourd’hui accusé
par la justice suisse « d’escroquerie », de « blanchiment
d’argent aggravé » et de « faux dans les titres », illustre, au-delà
du parcours de l’homme, la crise morale dont souffre l’ordre dominant.
Les peuples se battraient ensemble et mieux si le
traitement de l’information leur permettait de situer les responsabilités de
tous les acteurs. Ce livre d’Éric Toussaint, contribue, valablement, à
l’éducation citoyenne au Nord et au Sud.
Aminata Traoré est une femme politique et écrivain
malienne. Parmi ses livres : L’Etau, Actes Sud, 1999 ; Le Viol de
l’imaginaire, Editions Fayard, 2002 ; L’Afrique mutilée, Taama Éditions,
2012.
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Le Parlement
européen questionne (à moitié) la Troïka
28 février 204 par Fátima Martín , Jérôme Duval
Un rapport préliminaire du Parlement européen pointe les
irrégularités du triptyque UE, BCE,
FMI. Explication de texte, avec une
journaliste et un militant espagnols.
« L’examen de la troïka
réalisé par le Parlement Européen justifie les graves déficiences démocratiques
et juridiques de la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) envers les pays soumis au
« programmes » de sauvetages financiers qu’ils mènent depuis quatre
ans.
Malgré l’intention dissimulée de blanchir la Troïka, le
rapport préliminaire du Parlement européen ne peut s’empêcher de signaler de
multiples irrégularités. Cette évaluation comprend des questionnaires envoyés
aux principaux responsables, qui, en toute impunité, ne répondent pas ou bien
ne le font qu’à moitié.
Dépendant du Comité des affaires économiques et monétaires
du Parlement européen, le projet de rapport, signé par Othmar Karas et Liem
Hoang Ngoc, oublie curieusement et inexplicablement, le sauvetage du secteur
bancaire espagnol en juin 2012 représentant jusqu’à 100 milliards d’euros
(desquels on dit qu’il a été utilisé 41,3 milliards).
Le rapport préliminaire, qui devrait être rendu définitif
peu avant les élections européennes, en avril, signale de grandes irrégularités
de la troïka, et justifie son action à plusieurs reprises. Parlant de
« l’immense défit de la troïka », il défend l’idée selon laquelle
« le temps s’épuisait, les obstacles légaux devaient être écartés, la peur
d’une fusion du noyau de la zone euro était palpable, il fallait adopter des
accords politiques... ». La possibilité de mettre en œuvre des mesures
alternatives est rejetée en soutenant :
« l’assistance financière à court terme a évité une
cessation de paiement désordonnée de la dette souveraine qui aurait eu des
conséquences économiques et sociales extrêmement graves ainsi que des effets
indirects dans d’autres pays d’une magnitude incalculable... ».
Le document signale que « due à une nature ad hoc, il
n’existait pas de base juridique adéquate pour la création de la troïka sur la
base du Droit primaire de l’Union ». Fait confirmé indirectement par la
Commission quand elle écrit que « le modèle de la troïka a été pris en
charge par le législateur de l’UE (voir l’article 7 de la Régulation de l’UE nº
472/2013) », ce qui implique qu’avant 2013, ce n’était pas le cas. Nous
savons cependant que tous les programmes de la Troïka, sauf celui de Chypre,
ont démarré avant cette date.
Par ailleurs, le rapport souligne la double fonction de la
Commission européenne (comme agent des États et comme institution de l’Union
européenne) et de la BCE (en tant que conseiller technique et créancier) dans
la troïka et ses évidents conflits d’intérêt, en tant que juge et partie. Selon
le traité de fonctionnement de l’UE, le mandat de la BCE est limité à la
politique monétaire, et par conséquent, « la participation de la BCE dans
n’importe quelle affaire en relation avec les politiques budgétaires, fiscale
et structurelle se situe dans un terrain légal incertain ». D’où découle
« la faible responsabilité démocratique de la troïka » dans les pays
concernés.
Le rapport avertit que « le mandat de la troïka a été
perçu comme opaque et non transparent » et se montre particulièrement
critique envers les mémorandums (Memorandum of Understanding), dont il déplore
le manque de transparence dans les négociations.
La Troïka élude les questions et désigne les États comme
responsables
Les présumés responsables des sauvetages, Commission
européenne, BCE, FMI, Eurogroupe et Conseil européen, répondent, quand ils le
font, au questionnaire envoyé par le Parlement européen de manière légère et
largement insatisfaisante. Ils se rejoignent tous en rejetant la responsabilité
sur les autres. Par exemple, le FMI s’est refusé à répondre en argumentant
qu’il n’a pas de compte à rendre aux parlementaires, ce qui peut paraître
surprenant quand on sait que c’est lui-même qui impose ses politiques aux
Parlements. Herman Van Rompuy a répondu qu’il « n’est pas impliqué »,
alors qu’en tant que président du Conseil européen, il représente les États
membres de l’UE.
Pour sa part, le président de l’Eurogroupe a évité la
question en disant que les institutions de la Troïka sont les plus à mêmes de
répondre, alors que dans le même temps, la BCE renvoie la balle à
l’Eurogroupe : « En ce qui concerne des mesures concrètes pour des
pays spécifiques, il serait plus approprié que ce soit l’Eurogroupe qui
réponde ».
Tous ces responsables sont impliqués depuis des années
dans les politiques d’austérité menées par les gouvernements sous le mandat
opaque de la troïka. Ils appuient ces politiques en exerçant une forte pression
sur ces États pour qu’ils les mettent en application. Au moment de répondre aux
questions de nos représentants du Parlement européen, ils éludent leurs
responsabilités et rejettent la faute sur les États dont ils ont volé la
souveraineté. La CE comme la BCE l’affirme clairement : « La
paternité de la conception du programme appartient aux autorités ».
Nous savions déjà que ces institutions et leurs hauts
fonctionnaires jouissent d’une totale impunité devant la justice, maintenant
nous savons qu’ils vont jusqu’à refuser de répondre aux questions sur leurs
implications. Fuiraient-ils leurs responsabilités face à une opinion populaire
chaque jour plus révoltée par les conséquences humanitaires de ces
politiques ? »
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