Haidar Eid
vendredi 8 août 2014 - 06h:51
Du plus grand camp de concentration du monde, Gaza est
devenu le plus grand cimetière au monde.
Des Palestiniens emmènent le corps
d’une fillette de 8 ans retiré des décombres d’une maison bombardée par
l’aviation israélienne dans le camp de Shati à Gaza Ville le 4 août 2014. Cette
frappe a également blessé 30 personnes, quelques minutes après qu’Israël eut
déclaré une trêve, disent les soignants - Photo : AFP/GETTY/Marco Longari
« Un terroriste comme ceux qui ont enlevé les garçons
et les ont tués, la seule chose qui le dissuadera, c’est de savoir que sa sœur
ou sa mère seront violées s’il est attrapé » a dit Mordechai Kedar, maître
de conférence à l’Université Bar-Ilan.
Comment peut on décrire le massacre actuel à Gaza
avec un langage qui s’est révélé dangereux depuis longtemps. Où commencer et où
en finir si on veut une analyse sémiologique des dramatiques images d’enfants
saignant à mort en dépit des tentatives d’Israël pour nous persuader que ces
enfants n’étaient pas des cibles, mais étaient des militants ?
Massacre à l’aube
S’il y a des questions qu’il faut poser, elle concernent
la nature d’une idéologie hégémonique moderne qui déshumanise des petits
enfants et incite des soldats à tirer sur des femmes, à bombarder des hôpitaux
et des écoles servant d’abris à ceux qui sont devenus des sans-abri. Mais ce
n’est vraiment pas le moment pour poser de telles questions philosophiques
aussi grandioses. Qu’est donc censé faire le Palestinien - ou la Palestinienne
– qui vit une réalité politique aussi grossière ?
Le présent article ne prétend pas être une analyse
politique raisonnable du « conflit de Gaza » et des
« affrontements violents » qui ont éclaté dans la bande de Gaza. Il
ne se veut pas davantage une analyse qui investigue le contexte et l’issue
prévue de ce que beaucoup de Palestiniens considèrent comme la fin d’Oslo. Il
ne faudrait donc pas tomber dans la dichotomie bourgeoise corps-esprit. A un
carrefour historique comme celui-ci, on ne peut pas faire l’impasse sur les
émotions.
Un Palestinien blessé lors d’un
bombardement du camp de réfugiés de Shati est traité à l’hôpital al-Shifa à
Gaza Ville, le 4 août 2014 - Photo : AFP/GETTY/Mohammed Abed)
Considérons ceci : tandis que j’écris cet article,
une douzaine de civils palestiniens se font tuer. En ce 24ème jour de massacre,
plus de de 1.300 civils palestiniens ont été tués. Selon les groupes de défense
des droits, 80 % des morts sont des civils. Et les attaques israéliennes
semblent augmenter. La question (bien compréhensible) que posent les
Palestiniens, et leur réponse, c’est : « Comment un gouvernement qui
se prétend engagé pour la paix avec son ’partenaire’ palestinien ordonne-t-il à
ses soldats de faire feu et de tuer sans discrimination ? ».
L’importance de l’image dans « l’âge de la
reproduction mécanique » réside dans sa capacité de convoyer un message
instantané. Pour beaucoup de gens, la seule source d’information est ce qu’ils
voient sur leur écran de télévision. Les séquences de bébés décapités sont dès
lors devenues le message direct que les Palestiniens veulent faire
passer : « Voici notre réalité quotidienne. Voilà où nous en sommes
20 années après avoir signé les Accords d’Oslo ». Tant pis pour le
processus de paix et pour la solution des deux états.
Toutefois les médias dominants ont systématiquement
aseptisé les images qui sortaient de Gaza pour présenter un tableau plus
« acceptable » de la violence.
Pour faire écho à Edward Saïd et à Noam Chomsky, comment
les médias internationaux – pour ne pas dire occidentaux – peuvent-ils être
objectifs alors qu’ils sont contrôlés par cinq corporations transnationales,
qui toutes ont des relations intimes avec l’industrie de la défense étatsunienne
Les centaines d’enfants tués à Gaza ne seraient-ils que de « regrettables » dommages collatéraux ?
Et ces 28 familles complètement décimées pendant qu’elle
prenaient leur petit-déjeuner ?
Et les enfants de Chejaya qui ont perdu leur sang et agonisé pendant des heures sous les yeux de leurs parents, parce que les soldats israéliens refusaient de laisser approcher une ambulance de la zone ?
Et les enfants de Chejaya qui ont perdu leur sang et agonisé pendant des heures sous les yeux de leurs parents, parce que les soldats israéliens refusaient de laisser approcher une ambulance de la zone ?
Et la famille entière Abu Jamei assassinée quand une habitation de quatre étages a été ciblée par un avion de chasse israélien ?
Combien sont des « dommages collatéraux
acceptables » pour les médias occidentaux ?
Les Hamad à Beit Hanoun ?
Les Hajj à Khan Younis ?
Les Syam à Rafah ?
Les Zaanin ?
Kanan et Saji Al-Hallaque, massacrés en même temps que leur père, leur mère enceinte, leur grand-mère et leur tante pendant que la famille rompait le jeûne à l’iftar ? Et leur grand-père, mon collègue le professeur Akram Hallaque, doit vivre à présent avec la souffrance d’avoir perdu sa famille – son épouse, sa fille (mon étudiante), deux petits-enfants, et sa belle-fille enceinte. Son fils est en soins intensifs depuis plusieurs jours.
Qui va leur rendre justice ?
Qui va payer pour
la perte de ces familles ?
Des négociations
menées par Obama et Kerry en faveur des Israéliens ?
Le criminel de
guerre Tony Blair ?
Sont-ils censés voir un état non souverain de Cisjordanie et Gaza comme un accord « équitable » pour les vies des proches qu’elles ont perdus ?
Ceux qui ont été tués avaient vécu des vies si brèves,
tout entières dans la bande de Gaza – des vies vécues et perdues comme réfugiés
sous une occupation brutale. C’est notre destin : mourir dans la guerre de
2006, sinon, dans la guerre de 2008-2009. Et si vous avez survécu, alors on
tente un autre coup en 2012, et si vous êtes toujours vivant, alors ils vous
achèveront en 2014, ou bien la prochaine fois, en 2015, 2016, 2017 ?
Mais est-ce que cela ne leur suffit pas ? Non !
Pour le régime israélien, Gaza est un défi parce que les
deux tiers de la population sont des réfugiés à qui la Résolution 194 des
Nations Unies a reconnu le droit au retour.
Cela pourrait-il être la vraie raison pour laquelle Israël
commet un génocide à Gaza de manière répétée ? « Exterminez toutes
ces brutes » et après, vous vivrez heureux pour toujours ?!
Gaza est devenue une zone de guerre permanente, le plus
grand camp de concentration sur terre est devenu un champ de mort – un
cimetière plein de bruit. Le corps palestinien est devenu la cible ultime des
balles israéliennes – plus il est jeune, mieux c’est ! Le corps
palestinien, en d’autres mots, est devenu le site même de l’injustice :
éliminez le corps et il laissera un vide qui peut être occupé – un pays sans
peuple pour un peuple sans pays.
Des enfants
palestiniens blessés par les bombardements sur le camp de réfugiés de Shati
sont soignés à l’hôpital al-Shifa, le 4 août 2014 - Photo :
AFP/GETTYMohammed Abed
Photo 00
Le peuple palestinien a compris depuis longtemps que le
prétendu « processus de paix » ne menace ni ne modifie le vieux statu
quo, et qu’il ne leur permettra aucunement d’exercer leurs droits nationaux et
politiques.
A droite ou à gauche, la position israélienne est claire
comme de l’eau de roche : pas de retour aux frontières du 4 juin 1967. Pas
de démantèlement des colonies juives. Pas de retour de réfugiés palestiniens,
pas de reculade sur Jérusalem comme capitale indivisible, éternelle d’Israël,
et pas d’état palestinien souverain indépendant avec sa propre armée sur la
rive occidentale du Jourdain.
Le meilleure offre est celle d’un bantoustan palestinien,
un réservoir d’autochtones indésirables. Quant aux gens de Gaza, ils ne
méritent même pas cette solution indigne : il vaut mieux se débarrasser
d’eux tous par une solution finale via le génocide avec le soutien du président
des Etats-Unis, des pays européens, de la Ligue Arabe voire de certains
Palestiniens de naissance !
Entendre ces puissants instigateurs et partisans du
génocide bramer pour un cessez-le-feu 24 jours après un tel massacre ajoute
l’insulte à l’injure !
Les Palestiniens de Gaza sont blâmés de se faire abattre
et bombarder parce qu’ils ne se sont pas enfuis.
On les blâme de se trouver dans la même habitation que celle où ils ont vécu toute leur brève et cruelle vie.
On les blâme de ne pas être capables de décamper en 57 secondes.
On les blâme de laisser jouer leurs enfants sur la plage.
Et on les blâme de refuser de ne pas se laisser coloniser.
L’occupant, l’oppresseur, le meurtrier et ses alliés les dépossèdent et déshonorent leurs morts avec leur paroles mensongères, leurs chaînes et leurs médias partiaux, leur feinte empathie et leur inutile navette diplomatique qui n’a pas l’intention de donner aux Palestiniens les droits que prévoient les conventions internationales.
Donc, la barbarie sans précédent continue !
* Haiddar Eid est écrivain et professeur de
littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné
dans plusieurs universités à l’étranger. Vétéran dans le mouvement des droits
nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de
nombreux articles sur la situation en Palestine.
Du même auteur :
L’initiative de
« dialogue » de Mots Sans Frontières cannibalise l’appel au boycott
palestinien
Gaza : le siège interminable
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Une critique palestinienne de la Conférence de Durban
Les pièges de la conscience nationale palestinienne
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Sharpeville 1960, Gaza 2009
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31
juillet 2014 - Vous pouvez consulter cet article à :
http://www.aljazeera.com/indepth/op...
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