Roger Waters, membre fondateur, auteur et principal
compositeur des Pink Floyd
14 octobre 2014
14 octobre 2014
Ma fille unique, India, vient juste de donner naissance à
ma première petite fille, en pleine santé, belle, 4 Kg et demi. Je suis fou de joie.
Je pleure de joie.
Et pourtant, ma joie est entachée de chagrin. Cette
nouvelle née a été la cause d’une réflexion sur le monde dont elle hérite.
Cette enfant, qui m’est si chère, aura toutes ses chances, son avenir est grand
ouvert. Je ne peux, cependant, m’empêcher de voir en elle le reflet d’autres
enfants moins heureux. Je suis hanté par les visages d’enfants innocents morts
gazés en Syrie, soit par leur propre gouvernement, soit par des groupes
rebelles, par les petites filles enlevées au Nigeria, par les quatre petits
garçons voués à la mort alors qu’ils jouaient au football sur une plage à Gaza,
par les enfants tués et mutilés dans les écoles de l’UNRWA, et par les visages
de ces enfants qui ont survécu dans tous ces endroits, qui devraient être
radieux et plein de curiosité et sont au contraire plein de crainte et
traumatisés.
Je déteste ces attaques ignominieuses sur les enfants à
travers le monde et la nature généralement abjecte des réponses qui leur sont
faites par nos dirigeants. La mainmise sur la plus grande partie du monde par
le militarisme et le fondamentalisme religieux, deux choses que j’abhorre, met
à mal les efforts collectifs pour créer un meilleur avenir pour nos enfants. Au
risque d’être accusé par les apologistes du gouvernement d’Israël de me
démarquer, je concentrerai cependant ici mes observations sur l’assujettissement
colonial du peuple indigène palestinien et l’occupation illégale des terres
entre la mer Méditerranée et le fleuve Jourdain.
Plus de 500 petits ont été brutalement massacrés par les
Forces de Défense Israéliennes (IDF) cet été pendant les 50 jours d’assaut sur
la minuscule bande de territoire côtier qu’est Gaza. Les décennies d’injustice
impitoyable affrontées par les enfants palestiniens et leurs familles, qui vivent
sous la terreur de l’occupation et du siège israéliens, sont une tache, pas
seulement sur le gouvernement israélien, mais aussi sur notre humanité tout
entière.
Là où les gouvernements et le conseil de sécurité des
Nations Unies ont failli à leur prise en compte de l’occupation israélienne et
de l’assujettissement des Palestiniens, des gens à travers le monde
s’approchent progressivement du but. Je suis récemment rentré de Bruxelles où
j’étais membre du jury du non-juridique Tribunal Russell pour la Palestine.
Nous étions réunis, dans une session spéciale d’urgence, pour examiner les
actions des IDF cet été à Gaza, pour entendre les témoignages de ceux qui y
étaient, et pour déterminer si les actions des IDF pouvaient avoir constitué
des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, ou même, peut-être, des
actes de génocide. Le gouvernement d’Israël avait été invité à nous rejoindre,
mais a refusé de répondre.
Après avis d’éminents avocats internationaux et
délibération avec eux, le tribunal « a trouvé l’évidence de crimes de
guerre, de crimes contre l’humanité, de crimes d’assassinat, d’extermination et
de persécution et aussi d’incitation au génocide ». Des conclusions dans
ces termes, aussi graves soient-elles, ont trop souvent peu de signification pour
la communauté internationale. Elles ne peuvent nous faire percevoir de manière
viscérale, nous en sécurité dans nos maisons, les souffrances de ces gens.
Elles ne montrent pas que l’agression d’Israël sur Gaza a laissé
approximativement 373.000 enfants palestiniens qui ont un besoin immédiat
d’aide psychologique spécialisée. Ces enfants ont été tellement traumatisés par
la terreur, la mort et la destruction de leur vie quotidienne, qu’ils ont un
besoin urgent de Thérapie du Stress Post-Traumatique (PTST). En d’autres
termes, ils sont victimes de commotion cérébrale. Nous savons tous que la PTST
est extrêmement perturbante à regarder chez des hommes adultes, chez nos
propres soldats de retour de l’étranger, mais chez des enfants entièrement
innocents dont la terre, selon les lois internationales, a été illégalement
colonisée et occupée depuis des décennies, c’est douloureux et impossible à
conscientiser.
Tragiquement, les gouvernements occidentaux, ceux qui ont
le pouvoir de faire quelque chose à propos du sort douloureusement difficile de
ces enfants, ne considèrent trop souvent que les craintes d’Israël tout en
minimisant les réalités terrifiantes auxquelles sont confrontés les enfants
palestiniens.
Ce fut le cas il y a quelques temps lorsque le président
Barack Obama a déclaré « Nous devons trouver des moyens de changer le
‘statu quo’ afin que les citoyens israéliens soient en sécurité dans leurs
maisons et les écoliers dans leurs écoles, à l’abri de possibles tirs de
roquette, mais tout autant que nous ne nous trouvions pas devant cette
tragédie, que des enfants palestiniens puissent être tués. » On évoque ici
essentiellement des centaines d’enfants palestiniens morts comme une pensée
secondaire.
En fait, le président Obama soutient fermement le Congrès
qui fournit à Israël les avions et les tanks et les bombes et les drones et les
missiles qui prennent les vies innocentes des Palestiniens. Selon le Service de
Recherche du Congrès, « Israël est le plus grand bénéficiaire cumulatif de
l’aide américaine à l’étranger depuis la seconde Guerre Mondiale. A ce jour,
les Etats-Unis ont fourni à Israël 121 milliards de dollars en aide bilatérale.
Presque toute l’aide bilatérale américaine à Israël se fait sous forme
d’assistance militaire. » Est-ce que les contribuables américains veulent
réellement que leurs impôts en dollars durement gagnés soient envoyés en Israël
pour tuer et mutiler des vieillards et des femmes et des enfants enfermés sans
défense dans ce qui est principalement une prison à ciel ouvert ?
Pour rendre justice au Président Obama, au moins a-t-il
dit au Premier Ministre Netanyahu que les choses devaient changer. C’est un pas
dans la bonne direction. La réaction de Netanyahu a été d’accuser le Président
Obama d’être ‘non-Américain’ ! Non-Américain ? Etant donné tout les
connotations négatives de ces mots qui nous ramènent comme ils le font jusqu’à
la sombre époque de la chasse aux sorcières sous McCarthy, le commentaire du
Premier Ministre Netanyahu est non seulement une erreur, mais il est aussi inadapté
et grossier.
Trois fois en six ans, le gouvernement américain s’est
tenu aux côtés d’Israël quand ses soldats bombardaient Gaza. On peut espérer
que l’avertissement du Président Obama sur le « statu quo » et le
léger blâme contre Netanyahu porteront leurs fruits. Malheureusement, le faible
cessez-le-feu actuel ne fait que mettre en scène encore une autre agression.
Plutôt que de considérer et de soulager le manque fondamental de liberté des
Palestiniens, – et nonobstant les appels de Jewish Voice for Peace (Voix Juives
pour la Paix) et le raz-de-marée croissant de protestations éloquentes de la
part d’individus ou de groupes juifs, en Israël ou aux USA, attachés à
l’engagement central du judaïsme à l’humanité, – le gouvernement israélien
semble satisfait de rouer Gaza de coups encore et encore, répétant cette
obscénité qui consiste à tuer des enfants dans le ghetto qu’est Gaza.
L’administration Obama réprouve la résistance violente
palestinienne en tant que moyen d’acquérir la libération des Palestiniens. Et
beaucoup de gens, dont moi, condamnent le lancement au hasard de roquettes et
autres missiles qui peuvent toucher des cibles civiles. Je dis peuvent, parce
qu’elles y arrivent rarement. En juillet et août derniers, je crois qu’il y a
eu cinq morts civils israéliens. Leurs amis et leurs familles ont ma profonde
sympathie ; tout être aimé qui meurt est une tragédie.
Ayant dit cela, c’est une faute morale de réprouver la
résistance non-violente.
La résistance non-violente à l’occupation israélienne et
aux sévices infligés au peuple indigène palestinien emprisonné est un devoir
moral pour nous tous.
C’est pour ces raisons de conscience et en tant
qu’admirateur de Gandhi, du Dr. King, de Nelson Mandela et d’innombrables
autres camarades morts, que je suis un supporter enthousiaste du mouvement
non-violent Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS). Si vous souhaitez
rejoindre les centaines de milliers de ceux qui conduisent déjà le bus de la
liberté BDS, ce lien (http://www.bdsmovement.net/timeline) vous donnera de plus
amples informations. Le gouvernement israélien remarque lorsque des musiciens,
pour protester, refusent de jouer en Israël ; lorsque Stephen Hawking
soutient le boycott académique en se retirant de la conférence présidentielle
d’Israël ; et lorsque n’importe lequel d’entre nous demande à son
supermarché local ou à la boutique du coin s’ils vendent quoi que ce soit qui
soutienne les colonies illégales dans les territoires occupés.
Comme l’a dit Gandhi, « D’abord ils vous ignorent,
puis ils se moquent de vous, puis ils vous combattent, et puis vous
gagnez. »
Le temps est venu d’internationaliser et d’élargir le
combat au-delà de BDS, via les Nations Unies, la Cour Internationale de Justice
et le Tribunal Pénal International.
Nous avons besoin de ces institutions internationales car,
trop souvent, la propagande subvertit le sens commun, raille les approches
non-violentes, et nous cache les injustices évidentes que soutiennent nos
gouvernements. Les dirigeants israéliens – mais aussi la Ligue Anti-Diffamation
(ADL) – ont sans cesse argumenté cet été pour défendre les bombardements
israéliens sur Gaza. L’argument qui était présenté au peuple américain à
travers les principaux médias était essentiellement celui-ci : « Si
les Américains étaient attaqués dans leurs villes, ils répondraient à chaque
coup comme le font les Israéliens. » Cette ligne de défense, cette
hasbara, oublie le fait qu’Israël a occupé, assujetti et emprisonné les
Palestiniens depuis des décennies. Le revers de cet argument israélien est,
bien sûr, celui-ci : « Si les Américains avaient été emprisonnés et
assujettis sous occupation pendant des décennies, riposteraient-ils aussi
vigoureusement que les Palestiniens ? »
Le commentaire le plus impressionnant et le plus
dérangeant que j’aie lu pendant le massacre commis par Israël cet été
fut : Au moins cette fois-ci, il y aura moins d’orphelins palestiniens
puisque des familles entières ont été liquidées. Imaginez le désespoir de la
mère, du père, ou du grand-père, tous trop conscients de leur impuissance à
protéger les plus vulnérables d’entre eux, leurs enfants.
Je pleure quelquefois, de désespoir, et je ne m’en excuse
pas. Le jour où je cesserai de pleurer sur les enfants innocents morts (en
l’occurrence à Gaza) sera le jour où, pour citer George Orwell, « Il n’y
aura plus d’amour, excepté l’amour de Big Brother ».
Assurément, nous pouvons faire mieux que cela.
J’ai parlé de ma fille et de ma petite fille en
commençant, non pas parce que j’en suis démesurément fier, comme tout père et
grand-père le serait, mais parce que j’abhorre le fait que nous, qui payons nos
impôts aux USA, n’exigeons pas de notre gouvernement qu’il permette à nos
frères et sœurs palestiniens de jouir de la même liberté que celle dont nous
jouissons, dont je jouis, y compris la joie d’avoir des enfants et des petits
enfants pour illuminer nos vies.
- Roger Waters
P.S. Le vote historique de lundi à la Chambre des Communes
du Parlement britannique, La Mère des Parlements, par 274 voix contre 12, en
faveur d’une motion déclarant « que cette chambre croit que le
gouvernement devrait reconnaître l’État de Palestine à côté de l’État d’Israël,
comme une contribution pour assurer la solution à deux Etats », démontre
un changement remarquable dans la volonté britannique de recourir à une
pression morale sur le gouvernement israélien pour mettre fin à l’occupation et
rechercher une juste paix.
Au moins pour aujourd’hui, je suis fier d’être
britannique.
Si seulement l’exécutif du gouvernement américain – et le
Congrès – suivaient leur exemple. En me fondant sur le succès des militants
américains avec BDS et Open Hillel, je suis convaincu que le peuple américain
se retrouvera tellement au fait de la situation qu’il poussera ses élus au
Congrès à prendre une position de principe sur la liberté et l’égalité des
droits pour le peuple palestinien. Ce n’est qu’une question de temps. Notre
rôle est de hâter l’arrivée de ce jour.
Source: Huffington
Post
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