dimanche 22 février 2015

10 vérités sur le conflit israélo-palestinien



|  Par Anas JABALLAH
C'est clair c'est net, c'est juste. Mais avons-nous les média, les dirigeants qui dans leur expression soient nets, clairs, justes?

Depuis le début de l’offensive israélienne contre Gaza, indûment appelée « Bordure protectrice », les amalgames, les raccourcis et les contre-vérités se sont accumulés. Ni le traitement médiatique ni l’analyse politique n’ont permis de clarifier les événements ou d’élever le débat. Un bref rappel de quelques vérités s’avère donc nécessaire pour prendre la mesure de la gravité des événements en cours.


1.    Le conflit israélo-palestinien oppose des camps sans commune mesure 
Le conflit israélo-palestinien n’est pas une guerre entre deux puissances comparables. Il s’agit en réalité d’une puissance coloniale, Israël, qui réprime des indigènes, les Palestiniens. On retrouve en effet toutes les caractéristiques du joug colonial avec la colonisation des territoires, le blocus, la disproportion des puissances militaires, la répression indifférenciée des résistances armées et des cibles civiles (femmes, enfants, journalistes, écoles, hôpitaux). La disproportion en termes de puissance économique et médiatique est également patente et parachève l’asymétrie totale de ce conflit qui dure maintenant depuis plus de 60 ans avec la complicité ou l’indifférence à peine voilée de la communauté internationale. En effet, l’Etat d’Israël contrevient régulièrement au droit international et aux droits de l’homme. En 2008 et 2009, l’opération « Plomb Durci » menée par Israël avait ainsi tué près de 1400 Palestiniens dont 758 civils et 13 Israéliens dont la plupart militaires. Le rapport Goldstone commandé par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU avait alors fait état d’actes pouvant constituer des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité. Le déni de cette réalité dérangeante par une partie de la communauté internationale, notamment les Etats-Unis, et les pressions exercées sur les auteurs de ce rapport ont eu raison de sa valeur pédagogique. Aujourd’hui, avec l’opération « Bordure Protectrice », nous en sommes à plus de la moitié du nombre de tués lors de l’opération « Plomb Durci » : plus de 700 Palestiniens tués dont l’immense majorité sont des enfants, des femmes et des civils contre 34 côté israélien dont 32 soldats. Ainsi, si l’on fait le bilan de ces deux opérations israéliennes, on arrive à 2100 tués côté Palestiniens dont la plupart sont des civils, contre 47 côté israéliens dont la plupart sont des soldats. Ces faits incontestables sont la parfaite illustration d’une guerre coloniale totalement asymétrique qui devrait justifier un traitement politique et médiatique différenciée entre des forces coloniales et des résistances anticoloniales.

2.    Les « pro-palestiniens » ne sont pas pro-palestiniens
Les médias ont l’habitude de qualifier les manifestants opposés à la politique israélienne de « pro-palestiniens ». Cet usage est impropre car l’engagement de la plupart des manifestants n’est pas identitaire mais bien politique. Ils n’apportent pas un soutien inconditionnel aux Palestiniens mais s’opposent à une politique, celle de l’actuel gouvernement israélien, et portent des revendications précises : un cessez-le-feu immédiat, un retrait des territoires occupés et la fin du blocus contre la bande de Gaza. Ce glissement linguistique – délibéré ou non – conduit malheureusement à conforter l’idée d’un conflit identitaire ou religieux alors qu’il s’agit bien d’un conflit et d’un débat politiques.

3.    Les opposants à la politique coloniale d’Israël ne sont pas tous musulmans, arabes ou banlieusards
Autre écueil récurrent, les opposants à la politique coloniale d’Israël sont souvent confondus avec la communauté musulmane, la communauté arabe ou  maghrébine et les jeunes de banlieue. Il s’agit là d’une contre-vérité que chaque manifestation dément puisqu’on y trouve rassemblés des gens de toutes confessions et de toutes origines ethniques, sociales ou géographiques. Cette diversité se retrouve également dans les organisations qui appellent aux manifestations.

4.    Les juifs ne sont pas tous favorables à la politique coloniale d’Israël
Si tous les opposants à la politique israélienne ne sont pas musulmans, il faut aussi rappeler que tous les juifs ne sont pas sionistes ou favorables au gouvernement israélien. D’ailleurs, parmi les intellectuels (Stéphane Hessel, Alain Gresh, Rony Brauman) et militants engagés (Michel Sibony, Olivia Zemor) pour une paix juste entre Israël et la Palestine, beaucoup sont de confession ou d’origine juive. Leur identité juive n’est pas remise en cause par cet engagement politique quoiqu’en pensent certains extrémistes juifs (la LDJ et le Betar notamment) qui invectivent ces personnalités en les qualifiant de « traîtres à leur communauté ».

5.    Les manifestants ne sont pas des délinquants
Ces dernières semaines, la couverture médiatique des manifestations donne à voir à l’opinion publique des hordes de délinquants saccageant les rues. Cette vision donne une image totalement faussée de la réalité. En effet, plusieurs dizaines de manifestations ont été organisées en France depuis le début de l’opération militaire d’Israël et seules trois ont conduit à des débordements : une à la suite de provocations de la LDJ et deux qui n’avaient pas reçu d’autorisation et qui se sont donc déroulées sans service d’ordre et sans encadrement des forces de l’ordre.
Pour l’essentiel, les manifestants défilent donc dans la dignité et le respect de la loi malgré la colère légitime qui les animent. Ces manifestants agissent en citoyens libres et exemplaires qui usent de leur droit à manifester et répondent à leur devoir de citoyens de s’indigner face à l’injustice et la cruauté. Ils sont la conscience et l’honneur d’une France dont les institutions (le gouvernement, la justice et les forces de l’ordre) sont entièrement mobilisées pour empêcher toute une partie des citoyens de s’exprimer.

6.    Parmi les manifestants, il existe une minorité violente et irresponsable
Si l’essentiel des manifestants sont des citoyens responsables et engagés, les manifestations ont néanmoins été troublées par une minorité d’individus venus pour donner libre cours à leur violence et à leur stupidité. La plupart sont des jeunes désœuvrés qui trouvent dans les manifestations une scène pour exister, quitte à verser dans un antisémitisme provocateur et de façade qui ne repose sur aucune base idéologique.
Autre phénomène regrettable, on trouve dans les cortèges des personnes qui donnent une tonalité religieuse à un mouvement qui gagnerait à rester politique. En scandant des slogans – d’ailleurs inoffensifs malgré la crainte qu’ils inspirent – comme « Allah Akbar » (« Dieu est Grand »), ces personnes transforment un engagement politique, par nature inclusif, à un engagement religieux, par nature exclusif. Cela est le fait regrettable d’une minorité qui n’a pas toujours conscience de son impact.

7.    La LDJ n’est pas une association, c’est un groupuscule extrémiste et violent
La Ligue de Défense Juive (LDJ), impliquée dans les principaux troubles qui ont émaillé les manifestations à Sarcelles et à la rue de la Roquette près de Bastille, est un groupe sans existence légale mais qui semble vivre au-dessus des lois. N’hésitant pas à se réunir et à manifester violemment sans autorisation préfectorale préalable, aucun de ses membres n’a été arrêté par les forces de l’ordre ou condamné. Or, cette organisation n’en est pas à son coup d’essai : un commissaire de police poignardé à l’abdomen en marge d’une manifestation du CRIF en 2002, attaque de militants associatifs dans un tribunal en 2003, coups et blessures sur deux lycéens refusant leurs tracts en 2009, attaque d’un cinéma parisien en 2011 et multiples menaces à l’encontre d’intellectuels engagés pour une paix juste au Proche-Orient comme Stéphane Hessel. A ces délits s’ajoutent des appels à la haine et une islamophobie exprimés sans vergogne sur internet, les réseaux sociaux ou même sur les vidéos filmées rue de la Roquette. Tandis que les Etats-Unis ont classé la Jewish Defense League comme organisation terroriste et qu’Israël a interdit les activités de cette milice, la réaction de la France se fait toujours attendre. Les autorités françaises, qui n’ont pas hésité par le passé à interdire des groupuscules identitaires comme Forsane Alizza en 2012 ou la Tribu Ka en 2006, continuent à fermer les yeux sur les agissements de la LDJ, préférant ôter à des citoyens leur droit de manifester plutôt que placer hors d’état de nuire une milice violente et illégale. Il serait bon que notre Premier Ministre, qui a montré en tant que ministre de l’Intérieur une détermination féroce face aux appels à la haine et à la violence, fasse aujourd’hui le nécessaire concernant la LDJ. Sauf à assumer qu’un extrémisme vaut mieux qu’un autre.

8.    En interdisant les manifestations, la France plie face à la LDJ
En interdisant les manifestations d’opposition à l’opération israélienne, le gouvernement français est trois fois coupable. D’abord, il augmente de fait les risques de débordement en empêchant la présence de services d’ordre qui sont interdits pour des manifestations non autorisées. Il prive ensuite des citoyens de leur droit élémentaire de manifester et de s’exprimer sous prétexte que des débordements pourraient survenir entre une frange minoritaire des manifestants et des groupuscules violents comme la LDJ. Il souille enfin les valeurs universelles et humanistes de la France comme l’a fait en son temps un autre gouvernement socialiste, celui de Guy Mollet (voir la tribune d’Edwy Plenel). Ce déni de réalité et de justice est évident et il suffit de reprendre les déclarations de Manuel Valls pour s’en rendre compte. Celui qui interdit aujourd’hui des manifestations sous de faux prétextes, déclarait encore en 2008 au sujet du peuple palestinien : « On veut détruire les infrastructures, la mémoire, le futur de ce peuple. Cela est inacceptable et nécessite la mobilisation de toute la communauté internationale... ». Quel chemin parcouru depuis pour l’élu d’Evry, devenu Premier Ministre !

9.    Le Président de la République commet une faute grave en considérant le conflit israélo-palestinien comme un conflit religieux
En réunissant les représentants (d’ailleurs pas très représentatifs…) des différentes communautés religieuses pour apaiser le climat en France concernant le conflit israélo-palestinien, François Hollande commet une faute grave. Confondant volontairement ou non un sujet politique, en l’occurrence la politique israélienne, avec un conflit religieux, en l’occurrence entre Juifs et Musulmans, François Hollande renforce l’idée fausse d’un antisémitisme musulman et l’idée tout aussi fausse d’un soutien juif monolithique à la politique israélienne. Cette confusion stupide, indigne et dangereuse, est de nature à renforcer les amalgames et les crispations identitaires en France alors même que le Président prétend les combattre. Si le Président de la République est coupable, que dire alors de ces représentants religieux qui n’ont pas résisté à l’appel de l’Elysée sans s’interroger sur ses conséquences, notamment pour la communauté musulmane. Plutôt que demander à ces représentants de se mêler de ce conflit politique, le Président aurait été bien inspiré d’exiger au contraire qu’ils ne s’en mêlent surtout pas. Car « importer le conflit israélo-palestinien » consiste précisément à en faire un conflit entre deux communautés de Français en créant une confusion entre conflit politique et conflit religieux. Confusion largement confortée par les représentants religieux qui jouent ce jeu et par des institutions comme le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) qui ne perdent pas une occasion pour apporter leur soutien à la politique israélienne ou pour faire pression sur ses opposants, allant jusqu’à lancer et appuyer une pétition internationale pour abroger le rapport Goldstone.

10.  Au-delà du gouvernement, c’est toute la classe politique française qui est indigne
Si la gestion gouvernementale du conflit en cours et de ses réactions en France est proprement calamiteuse, les réactions à droite de l’échiquier politique ne sont guère meilleures. Réagissant aux manifestations, le député UMP Thierry Mariani, sans avoir le moindre mot sur le conflit lui-même et ses nombreuses victimes civiles, a ainsi déclaré qu’on avait en France « de plus en plus de problèmes avec une communauté qui est issue d’une religion qui, par moments, pose des problèmes d’intégration ». Prononcée à l’Assemblée Nationale, institution censée représenter l’unité nationale, cette phrase stigmatisante passe malheureusement inaperçue dans un contexte politique où les principes et les valeurs n’ont plus beaucoup d’importance. En témoigne encore la décision française de livrer deux navires militaires à la Russie en plein conflit ouvert avec l’Ukraine. Mis face à sa contradiction par le gouvernement britannique, Laurent Fabius n’a rien trouvé de mieux que de justifier cette realpolitik cynique en expliquant que les Britanniques n’étaient pas plus vertueux, eux qui accueillent sur leurs places boursières les milliards des oligarques russes.
Ainsi, le citoyen français est rassuré : notre classe politique n’est pas la seule à être cynique. Alors qu’il affirmait en 2012 sa volonté de « réenchanter le rêve français », François Hollande s’applique aujourd’hui surtout à noircir encore le cauchemar de notre classe politique, qui, à de rares exceptions près, a décidément perdu son humanité et le sens de ses responsabilités





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire