Après avoir mené la périlleuse réforme du prélèvement à la source de
l'impôt sur le revenu et dirigé Tracfin, le service de renseignement de
Bercy qui traque les circuits financiers clandestins et le blanchiment
d'argent sale, cette énarque de 46 ans s'attelle à ce vaste chantier, si
cher à Emmanuel Macron.
"Mon ambition, c'est que ça se passe tellement bien que dans quelques
années, plus personne n'en parle", explique-t-elle à l'AFP, dans sa
première interview depuis sa prise de fonctions. "Finalement, ce serait
ça le critère de succès, qu'on n'en parle plus, comme le prélèvement à
la source, parce que ça marche", insiste-t-elle.
Reste donc à bâtir ce succès, munie d'une feuille de route roborative
que le Premier ministre Jean Castex est venu lui remettre en personne
la semaine dernière lors de l'inauguration officielle de l'INSP, sis
dans les locaux de l'ancienne prison pour femmes de Strasbourg où l'ENA
avait élu domicile en 1993.
"La France et les attentes des citoyens ont changé", note Maryvonne
Le Brignonen. "Ils attendent une haute fonction publique plus proche
d'eux, plus à l'image de la France dans sa diversité et qui réponde aux
urgences du moment, climatique ou économique."
- "Tout est ouvert" -
L'objectif premier donc : "recruter des cadres supérieurs de l'Etat"
reflétant cette "diversité sociale, géographique et académique".
Il passe par les classes préparatoires estampillées "Talents" et
déployées à travers tout le pays depuis la rentrée 2021. Quelque 1.200
élèves y préparent les concours de la fonction publique. Six places leur
étaient destinées cette année à l'INSP, sur une promotion de 84 élèves.
La marche reste donc très haute mais Maryvonne Le Brignonen l'assure :
"Ce n'est pas un miroir aux alouettes, c'est un formidable levier pour
ces élèves qui bénéficient de conditions exceptionnelles".
L'INSP pourrait-il en accueillir davantage à l'avenir ? "Aujourd'hui, tout est ouvert", répond prudemment sa directrice.
Quoi qu'il en soit, la réforme des concours d'entrée doit participer à
l'élargissement d'un recrutement qui fait encore la part belle aux
élèves issus de milieux favorisés et de Sciences Po Paris.
"D'une manière générale, tout en gardant l'excellence du niveau
académique, il s'agira de tester d'autres compétences dans les concours,
comme des compétences personnelles et de leadership", explique
Maryvonne Le Brignonen.
Autre axe de réforme : la promotion d'une "culture scientifique" qui
s'est révélée ô combien nécessaire lors de la pandémie. Quatre places
sont dès à présent réservées à des docteurs à l'INSP et leur nombre
devrait augmenter dans les prochaines promotions. Mais il s'agirait
aussi pour certains élèves "d'entamer un parcours doctoral" au sein même
de l'institut, explique-t-elle.
Avec un enjeu supplémentaire : renforcer la présence de hauts
fonctionnaires français à Bruxelles ou dans les organisations
internationales où le titre de docteur est un sésame apprécié.
- Tremplin -
Pour mener à bien toute ces transformations, le corps professoral
devrait évoluer autour d'enseignants-chercheurs et "de préfets ou de
diplomates qui viendraient enseigner à l'INSP pendant un, deux ou trois
ans avant de reprendre un poste opérationnel".
La réforme du classement de sortie, qui prédestinait les élèves de
l'ENA aux grands corps de l'Etat (Conseil d'Etat, Cour des comptes et
inspections) est également à l'ordre du jour. Sa suppression pure et
simple "est une piste parmi d'autres, tout est sur la table", confie la
directrice de l'INSP.
Alors les énarques frais émoulus devront désormais faire leurs
preuves sur le terrain avant d'accéder aux plus hautes fonctions, des
"parcours de formation" leur seront proposés par la suite.
Même s'il ne s'agira pas de l'Ecole de guerre de la haute fonction
publique préconisée par le rapport Thiriez, "la démarche est la même que
l'armée : identifier les hauts potentiels, leur donner les
connaissances nécessaires et en faire un tremplin", selon Maryvonne Le
Brignonen.
La tâche est immense mais "dans toutes les gestions de projets, vous
devez mener le projet pendant que la vente continue", observe-t-elle
philosophe, forte de son expérience du prélèvement à la source qui
répondait lui aussi "à une forte volonté politique".