Rony Brauman : les déclarations
d’Emmanuel Macron « nourrissent et amplifient l’antisémitisme »
25 02
2019 • 14 h 56 min
« En
tant que juif et citoyen français, je suis extrêmement choqué ». L’ancien
président de MSF explique l’extrême dangerosité de l’assimilation de
l’antisionisme à l’antisémitisme annoncée par le président français.
Ce Président
avec 24% (1/4) des français ayant voté pour lui au 1r tour (par défaut au second) s'arroge le droit de mépriser une part importante des français. Par ses déclaration il apporte la preuve d'une présidence partisane, remarquable par les injustices quelle sème. Cet "homme" ignorant du Droit International et de la Morale civique. C'est un simple arriviste, aussi méprisable qu'un représentant de commerce prêt à marcher sur des cadavres, pour réussir.
Quel être humains en possession de ses facultés assimilerait dans un même élan de justice l’antisémitisme et l'antisionisme ?
Un ignorant de l'histoire présente de la Palestine.
Le président français lors du
dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France,
le 20 février
à Paris (Reuters)
Par
Hassina Mechai,
Vendredi
22 février 2019
« L’antisionisme
est l’une des formes modernes de l’antisémitisme. Derrière la négation de
l’existence d’Israël, se cache la haine des juifs ». C’est ainsi que le
président français a commenté, lors dîner du CRIF (Conseil représentatif des
institutions juives de France), la récente hausse d’actes antisémites en
France.
Lors de
ce discours, Emmanuel Macron a annoncé que la France suivrait désormais la dite
« définition de l’antisémitisme de l’IHRA [International Holocaust Remembrance
Alliance] ».
Il a
également précisé qu’une loi serait proposée pour réduire la diffusion en ligne
de discours de haine.
Selon la
presse israélienne, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a exprimé, lors
d’un appel téléphonique avec le dirigeant français précédent le
discours, sa satisfaction devant l’adoption par la France d’une définition de
l’antisémitisme incluant désormais l’antisionisme.
Selon
cette définition de travail de l’antisémitisme, « non
contraignante », de l’IHRA, « l’antisémitisme est une certaine perception
des juifs qui pourrait s’exprimer à travers la haine envers les juifs. Les
manifestations verbales et physiques d’antisémitisme peuvent être dirigées à
l’encontre de juifs ou de non-juifs ainsi qu’envers leurs biens, envers des
institutions de la communauté juive ou des bâtiments religieux ».
Si ce
document de travail indique des exemples clairs d’antisémitisme – négation du
génocide juif, complotisme à tout crin, exclusion des individus au nom de leur
judaïsme –, deux points soulèvent des interrogations. Le document précise que
« les manifestations [d’antisémitisme] pourraient inclure le ciblage de
l’État d’Israël, conçu comme une collectivité juive. Cependant, des critiques
d’Israël similaires à celles formulées à l’encontre de tout autre pays ne
sauraient être considérées comme antisémites ».
Toutefois,
dans les onze exemples d’antisémitisme que déploie le document, le point 6 pose
qu’est considéré comme antisémite le fait de « refuser au peuple juif son
droit à l’autodétermination », ajoutant « par exemple, en affirmant
que l’existence d’un État d’Israël est un projet raciste ».
Toute la
question repose sur ce « droit à l’autodétermination ». Est-il clos
depuis la création d’Israël en 1948 ou s’accomplit-il à travers la colonisation
continue des territoires palestiniens pratiquée depuis par l’État
d’Israël ? Autrement dit, ce « refus » portera-t-il sur
l’existence effective de l’État d’Israël ou sur cette politique d’expansion
entendue comme un « droit à l’autodétermination » non encore
abouti ?
Dans ce
dernier cas, c’est alors le propre droit à l’autodétermination du peuple
palestinien, tout autant reconnu par la résolution 181 de l’ONU du 21 novembre 1947, qui serait
nié.
Toute
critique de la politique coloniale israélienne, et de ses corollaires violents,
sera-t-elle ramenée à « refuser au peuple juif son droit à
l’autodétermination », donc à de l’antisémitisme ?
De
glissement en glissement, la définition de l’IHRA pourrait aboutir à la
délégitimation puis la pénalisation de toute critique de la politique
israélienne envers les Palestiniens. Politique pourtant contraire au droit
international.
Le
discours d’Emmanuel Macron intervient dans un contexte français très
particulier, entre tensions sociales sur fond de manifestations des Gilets jaunes et d’actes antisémites.
Rony
Brauman, médecin, président de Médecins sans frontières (MSF) de 1982 à 1994,
aujourd’hui directeur de recherche à la Fondation MSF et professeur à
l’Université de Manchester (HCRI), alerte sur l’extrême dangerosité de la
décision du président français.
Middle
East Eye : Emmanuel Macron a déclaré au dîner du CRIF :
« L’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme » et
annoncé que la France le reconnaîtra comme tel ». Mais deux jours avant,
il disait : « Je ne pense pas que pénaliser
l’antisionisme soit une bonne solution ». Quelle est la portée politique
de ces hésitations et pourquoi cette décision ?
Rony
Brauman : Je constate mais ne peux expliquer les volte-face et hésitations
successives d’Emmanuel Macron sur cette question de l’antisionisme désormais
assimilé à l’antisémitisme. C’est là un sujet délicat qui se frotte à plusieurs
possibilités. Ce sont probablement les hésitations du pouvoir qui se retrouvent
dans ces atermoiements.
Emmanuel
Macron n’a pas annoncé vouloir introduire l’antisionisme dans le code pénal.
Mais sa décision de lier antisémitisme et antisionisme va fournir, de façon
détournée, un cadre d’interprétation juridique et judiciaire applicable contre
la campagne BDS [Boycott, Désinvestissement, Sanctions]. Cela pourrait servir aussi
contre des gens qui soutiennent ce boycott, qui pourraient être alors
inquiétés.
Par ce
biais, il s’agit de criminaliser des positions critiques sans toutefois faire
de l’antisionisme un délit d’opinion de façon claire. Mais in fine, cela
reviendra au même, car ce délit d’opinion sera de toute façon mis en place de
façon détournée, et il ne vaut que pour certains propos, ceux qui concernent
les juifs. Ce faisant, on jette de l’huile sur le feu qu’on prétendait
éteindre.
Car
comment mieux suggérer implicitement que les juifs doivent bénéficier d’un
statut particulier, que les sionistes seraient mis par le pouvoir à l’abri de
la critique et qu’Israël serait ainsi sanctuarisé contre les critiques
sévères ? Comment mieux nourrir les théories complotistes qu’en se livrant
à ce genre de manœuvres ? Il y a là un cheminement intellectuel qui
m’échappe. C’est désastreux.
MEE :
Existe-t-il un seul antisionisme ? Le Bund polonais,
certains juifs orthodoxes, certains mouvements du judaïsme libéral américain
ont pu se qualifier ou se qualifient comme antisionistes par exemple…
RB :
Il y a effectivement plusieurs formes d’antisionisme. À l’origine,
l’antisionisme était l’opposition, d’ailleurs majoritairement juive, au
mouvement national juif. Ce dernier était très minoritaire parmi les juifs
européens. Ceux qui se vivaient comme assimilés y voyaient le risque d’être
soupçonnés de double allégeance ; quant aux orthodoxes, ils y voyaient un
détournement impie de la Bible, seul le messie étant habilité selon eux à
rassembler le peuple d’Israël. Rappelons-nous au passage que les juifs établis
depuis toujours en Palestine, eux, n’étaient pas en faveur d’un État juif.
Après la
création d’Israël, l’antisionisme a pu être compris de deux façons. D’abord,
comme la continuation d’un refus de l’existence même de l’État d’Israël en tant
qu’État juif. Mais c’est là une opinion abstraite car après tout, cet État
existe et se déclarer contre cet État n’a qu’une portée symbolique mais aucune
portée pratique.
Cette
opinion peut cependant exister et les gens qui étaient antisionistes jusqu’en
1948, de même que leurs héritiers intellectuels, ont le droit de persister dans
cette conviction sans être taxés d’antisémites.
La seconde
acception de cette notion d’antisionisme relève de l’opposition à la
colonisation de la Cisjordanie, au blocus de Gaza, à la politique de l’État
israélien, sans pour cela contester la réalité et l’existence de l’État
d’Israël.
C’est ce
que montrent des enquêtes, où l’on constate fréquemment que des gens se disent
antisionistes tout en étant, ou plutôt, parce qu’ils sont en faveur de la
solution à deux Etats : une partie de la Palestine mandataire revenant aux
Palestiniens et l’autre, au demeurant la plus importante, aux Israéliens.
Antisioniste veut alors dire favorable à l’évacuation des territoires occupés.
J’observe
un mélange, voire une confusion de ces deux acceptions. À titre personnel, je
ne me définis pas comme antisioniste mais comme post-sioniste, a-sioniste ou
non-sioniste. Je veux dire par là que c’est dans une construction politique
post-nationaliste que se trouve à mon sens la solution du conflit.
Les deux
populations vivent de facto dans un seul État, sous une même autorité, mais
l’une a tous les droits, l’autre n’en a aucun. Je pense que c’est le
démantèlement de ce système d’apartheid qui est à l’ordre du jour.
MEE :
Emmanuel Macron s’est référé à la définition de l’IHRA. C’est cette même
définition en onze exemples qu’a fini par adopter le parti travailliste britannique en septembre
dernier. Qu’est-ce que cet organisme ?
RB :
À l’origine, l’International Holocaust Remembrance Alliance n’avait aucun
rapport avec Israël. Son but était, notamment en Europe, d’entretenir la
mémoire du génocide juif.
À
l’instar d’autres ONG pro-israéliennes, l’IHRA a entrepris aussi de lutter
contre l’antisémitisme. Cette lutte, dont je ne discute évidemment pas le
bien-fondé, ne se fait cependant pas du point de vue de la négation du génocide
juif mais du point de vue de la critique d’Israël.
Ce
glissement et cette façon de faire, voulus par le lobby israélien en Europe,
sont extrêmement pervers et cela ne peut que nourrir le complotisme et nuire à
toute forme de critique politique d’Israël.
L’État
d’Israël est cité à neuf reprises dans les exemples qui accompagnent la
définition afin d’illustrer sa mise en application. C’est dans cet esprit qu’à
l’occasion de la tenue à Paris, en 2017, d’une conférence sur l’étiquetage des
produits en provenance des territoires occupés, que le CRIF a déclaré que cette
réunion internationale était « pire que l’affaire Dreyfus ». Netanyahou, de son
côté, l’a qualifiée d’antisémite !
MEE :
Dans le contexte social français actuel, cette décision prise par Emmanuel
Macron de lier sionisme et antisémitisme n’est-elle pas dangereuse d’abord pour
les Français de confession juive ?
RB :
Il y a là une instrumentalisation perverse de l’antisémitisme qui sert en
l’occurrence à disqualifier un mouvement social, celui des Gilets jaunes. Cette
instrumentalisation a pour effet pervers de placer les juifs dans le cercle
fantasmé des puissants, des dominants, de ceux qui maîtrisent les discours et
les médias. Ils seraient ceux qui imposent leur vérité et leur description des
situations au détriment de tout le reste. C’est là un jeu extrêmement
dangereux.
À titre
personnel, en tant que juif comme en tant que citoyen français, je suis
extrêmement choqué par les déclarations d’Emmanuel Macron.
MEE :
En Israël, les élections d’avril se préparent à coup d’alliances entre, par exemple, Benjamin Netanyahou et le mouvement raciste
kahaniste. Une autre alliance, contre lui cette fois, s’est faite entre
ses principaux rivaux, dont Benny Gantz et Yaïr Lapid. Selon la presse
israélienne, Emmanuel Macron a confirmé personnellement à Benyamin Netanyahou
sa décision de lier antisémitisme et antisionisme, juste avant de faire son
discours devant le CRIF. Est-ce là une ingérence dans la politique israélienne,
et vice versa ?
RB :
Ces circonstances aggravent encore plus l’indécence de cette situation.
Benyamin Netanyahou avait déjà été invité à la commémoration de la rafle du Vel
d’Hiv l’an passé. Il l’avait auparavant été par Manuel Valls alors Premier
ministre.
Or, il
n’y avait pourtant aucune raison à cette invitation. Sinon à créer un amalgame
dangereux entre juif, sioniste et politique israélienne. C’est là une confusion
qui ne peut être que renforcée par ce genre de pratiques et de déclarations.
J’y vois
même une sorte de « double blind » ou d’injonctions contradictoires
constantes : il ne faut pas confondre les juifs et Israël, donc ne pas utiliser
la politique israélienne contre les juifs. Mais d’un autre côté, les juifs et
Israël sont constamment confondus puisque quand sont commémorées des atrocités
commises contre les juifs, on le fait aux côtés du Premier ministre israélien.
MEE :
Plutôt qu’antisionisme = antisémitisme, n’observe-t-on pas une autre équation
qui poserait que désormais, de nombreux partis politiques ou dirigeants
d’extrême droite ouvertement sionistes le sont sur la base d’une vision antisémite
des juifs ?
RB :
Benjamin Netanyahou s’est effectivement acoquiné avec la pire racaille
d’extrême droite, du Brésilien Jair Bolsonaro à l’Autrichien Heinz-Christian
Strache, du président philippin à d’autres dirigeants ouvertement racistes.
Quand on observe les alliances internes que le Premier ministre noue avec des
mouvements explicitement racistes et violents, cela ajoute à ce sentiment de
dépit et d’outrage qu’on ne peut que ressentir après la déclaration d’Emmanuel
Macron.
L’antisémitisme
n’a attendu ni le sionisme ni la création d’Israël pour s’alimenter. Mais on ne
peut que constater que de tels comportements et déclarations le nourrissent,
l’amplifient, en élargissent la portée. Tout cela est très dangereux.