C'est une certitude, l'Espagne n'est pas une démocratie, n'est
pas non plus une Monarchie constitutionnelle, son système politique serait
plutôt un mix entre les principes de la dictature franquiste et une autocratie libérale…
Pourtant dans le drapeau Espagnol figurent les différentes composantes de la Nation. Et s'il y a la couronne il y a aussi les bannières de ces composantes.
Infolibre
26-01-2018
La Constitution de 1978 était le pacte exprès
résultant d'un compromis tacite entre deux impuissances :
l'impuissance des franquistes à prolonger la dictature sans Franco et
l'impuissance de l'opposition véritablement démocratique à imposer une
démocratie avancée. La Constitution s'est conclue avec des lumières et des
ombres. Libertés et droits démocratiques coté lumières ; un régime
politique inachevé, hermétique aux revendications populaires et plein
d'opacités, coté ombres.
Le processus du changement de régime n'a pas été idyllique, puisqu'il est à
l'origine de fortes doses de violence politique d'origine diverse.
Entre 1975 et 1983:
·
il y a eu 591 décès dus à la violence politique et la police a fait
face à 788 manifestations.
·
Il y a eu 188 décès dus à la violence d'origine institutionnelle,
parmi eux, 8 personnes ont été assassinées en prison ou dans un poste de
police, et 30 ont été assassinées après que la Constitution fut approuvé;
· l'ETA a porté ses attaques au paroxysme: 344 attaques, suivies de
51 du GRAPO. Presque tous contre les représentants du régime
sortant. Pour aggraver les choses, les services secrets ont collaboré à la
création d'un climat de peur qui devait empêcher le triomphe de la gauche, lors
des premières élections démocratiques.
Ce qui
suit doit être lu en ce sens.
Le hic rhodus [montre
de quoi tu est capable] du processus constitutif était le problème de
la légitimité purement franquiste d'un monarque désigné,
ignorant la ligne dynastique de la maison des Bourbon.
Ce n'était pas un caprice ou une préférence
personnelle. Franco et ses généraux ont introduit ainsi, au sommet du
régime, plus ou moins démocratique, qui succéderait à la dictature, sa propre prétendue
légitimité, celle qui présentait comme légitime le coup d'Etat de 1936, et avec
elle l'intangibilité des responsabilités qui pourraient être exigées pour ce
coup d'État, pour la guerre civile, pour le génocide qui suivra et le
traitement, en tant que non-personnes, des opposants politiques.
Tout cela était considéré comme légitime avec
l'instauration de la Monarchie, et de cela Juan Carlos de Borbon était clairement
conscient avants d'accepter la succession en tant que roi en 1969: « Je
reçois de son Excellence le Chef de l'Etat le Généralissime Francisco
Franco la légitimité politique révélée le 18 Juillet 1936, au milieu
de tant de souffrances, triste mais nécessaire, pour que notre pays puisse
réorienter son nouveau destin".
Pour le roi établir les droits démocratiques était une nécessité qui
contrebalancerait cette «légitimité» officielle, sous peine de perdre la
couronne. Les limites politiques fondamentales de la Constitution de 1978 ont
été fixées par la monarchie et l'armée.
La Constitution c'est écrite à partir d'une nouvelle "loi
fondamentale" du régime toujours Franquiste, la huitième, en 1977, la Loi
pour la réforme politique. Dont rien n'est à déprécier:
- d'une
part il a affirmé dans son art. 1, délibérément confus, que "la démocratie, dans l'État
espagnol, est fondée sur la suprématie de la loi, l'expression de
la volonté souveraine du peuple.
- C'est-a-dire:
introduisait le mot démocratie et
un principe de souveraineté populaire. Mais d'autre part cette loi
créait une nouveau Cortès, (Parlement) de souveraine limitée, puisqu'elle autorisait
le roi à nommer les cinquièmes des députés.
- Et,
surtout, parce que l'article 5 lui permettait de contourner
ces futures Cortes convoquant directement un référendum s'il le juge
opportun.
- Cela
a permis que le futur parlement ne puisse pas dépasser certaines
limites. La souveraineté, mais, limitée inclus formellement.
Il y avait des normes de pardon et d'amnistie, très déficientes. D'un
autre côté, il fallait encore légaliser les partis politiques et en financer un
au gouvernement Suárez. La difficulté de légaliser le Parti communiste a
été surmontée parce que ses dirigeants ont fait des concessions à l'ignominie (reconnaître
«l'honneur de l'armée» qui s'était soulevé contre la démocratie en
1936). Un mois plus tard, l'obstacle principal, Juan de Borbón,
transmettait à son fils la légitimité dynastique qui avait été réservée pour
maintenir l'institution de la couronne à l'abri des contingences. Certains
partis n'ont pas eu le temps de s'organiser légalement: ils se
présenteraient aux élections en tant que listes indépendantes.
Les citoyens ont été appelés aux urnes le 15 juin 1977 pour exprimer leur choix
politique pour la première fois depuis février 1936. Le franquisme avait
dévasté tout ce qui signifiait l'intervention politique du peuple. La
plupart des gens, ne pouvaient en quelques semaines s'éduquer
politiquement.
Dans la haute sphère du palais, il était clair
que les Cortès (Parlement) étaient matériellement
constitutifs, mais ils n'ont pas été formellement convoqués
en tant que tels. Les gens ordinaires, restaient ignorantes des
options réelles des partis, puisque dans la campagne électorale aucune mention sur
la future Constitution n'apparaissait.
Le jour des élections, le Conseil Supérieur de l'Armée est resté rassemblé et
cantonné a la caserne et la Division Blindée "Brunete" des environs
de Madrid fut prévenue, en attendant le résultat de l'élection. Les
résultats ont été très favorables pour le parti gouvernemental. 35% des
électeurs, échaudés par la guerre et la dictature, ont opté pour le
pouvoir constitutionnel. Rien de front-populaire. Le
haut commandement a dû soupirer de soulagement.
La nouvelle Cortes (Parlement), les premiers élus au suffrage universel,
désignèrent une présentation constitutionnelle. Le document prévoyait
l'ensemble des accords précédents entre le "parti militaire", le
gouvernement et les partis politiques concernés: ces pactes constituaient une
sorte de tacite supra-légalité. Ses points fondamentaux
étaient les cinq suivants:
- L'intangibilité de la monarchie établie et de son détenteur, chef suprême des forces
armées.
- Reconnaissance de la tutelle
militaire: l'armée se réservera la
défense de l'ordre constitutionnel ; et l'amnistie politique
sera limitée dans le domaine militaire des franquistes: les militaires
démocrates condamnés (de l'Union Militaire Démocratique clandestine) ne
seront pas réintégrés à leurs postes (la tutelle militaire a perduré
jusqu'à ce qu'elle puisse être transférée à l'OTAN).
- Unité de la patrie: le
libellé redondant de l'art. 2 de la Constitution provient directement
de l'armée, et ce qui compte dans cet article, ce n'est pas tant la
distinction entre «nation» et «nationalités» que l'affirmation selon
laquelle «la Constitution repose sur l'unité indissoluble de la nation espagnole,
patrie commune et indivisible ... " En d'autres termes: la
Constitution est fondée - en ce qui concerne l'armée, gardienne de la
Constitution - sur l' unité de la patrie, et non sur la
souveraineté populaire ou la démocratie (un mot rarement utilisé dans le
préambule de la Constitution et est généralement remplacé par
l'expression pluralisme politique).
- L'article 2 opposait son veto
à une organisation étatique fédérale.
- Loi de l'oubli : il fallait aller au-delà de
l'amnistie pour la responsabilité pénale: il y avait un accord «
point final » tacite de ne pas à évoquer le passé tragique de
la guerre civile ou de ses conséquences, ni du rôle joué par
acteurs politiques dépuis. Grâce à ce pacte et au premier point de la
tacite supra-légalité, les citoyens n'ont jamais pu demander même des
responsabilités civiles pour les victimes ou de réclamer les biens
confisqués.
- La mémoire historique
espagnole devait être publiquement une mémoire de poisson.
- Accord de gouvernance: tous
ont accepté la construction d'un pouvoir
exécutif solide et une forte difficulté d'accès aux
revendications sociales au cœur de l'Etat.
Le rapport constitutionnel a fonctionné dans
ces limites. Il a produit un régime politique de bipartisme imparfait. Il
a presque complètement bloqué tout canal participatif qui n'était pas le canal
électoral. Il a laissé en suspens la construction des l'autonomie:
·
lorsque la Constitution a été soumise à l'approbation des citoyens
personne ne savait comment seraient configurées les communautés autonomes,
o
ni combien seraient-elles,
o
ni leurs compétences,
o
ni comment seraient-elles financées,
o
ni comment seraient-elles définies.
Il a eu recours au concept plus
qu'ambigu des nationalités historiques. Et beaucoup de points,
trop nombreux, seraient développés plus tard par des lois
organiques. Parmi eux, un de fondamental qui sera examiné à un autre
moment: le régime électoral ; pour la Constitution, la
circonscription devait être la province. Un état social a été
proclamé sans aucune garantie solide. Pas même la pleine laïcité de
l'État a été établie.
Pour l'approbation populaire de la Constitution, il y avait tant de bruit
médiatique, que dans une baraque de foire, au point que toute
discussion publique était étouffée. Ceux qui ont perçu à temps les
lacunes de la constitution démocratique et inachevée - et du système électoral
- ne pouvaient pas voter positivement, étant donné le régime autocratique et
fermé qui le configurait. Ils ne peuvent pas non plus voter négativement
parce que c'est ce que ferait l'extrême droite, ni contre la reconnaissance des
droits politiques. Les minorités critiques avaient lutté pour pouvoir
voter, et maintenant ils n'avaient d'autre choix que de voter blanc. Au
moins, ils pourraient- nous pourrions - critiquer à l'avenir le système
constitutionnel sans hypocrisie, et sans négliger ce qui nous importait: nos
principes.
Une fois l'approbation populaire obtenue, et à l'avenir, les voix critiques
seraient systématiquement étouffées. Fait intéressant, la Constitution
elle-même a servi presque toujours
pour faire aire les opposants.
Juan-Ramón Capella, professeur émérite de philosophie du droit, publié comme
éditeur, en 2003, Les ombres du système constitutionnel espagnol.