Vous
voulez savoir qui sont les dirigeants israélien, et voulez connaître comment les
média traitent l'information au Proche-Orient ?
Lisez
cet article.
«Pourquoi je participe à la grande marche du retour
à Gaza»
1 05 2018 • 18 h 57 min
Par Fadi Abu SHAMMALAH, directeur exécutif de l’Union
générale des centres culturels de Gaza
—
En introduction, un
communiqué de Jean Marlowe, auteure, réalisatrice étasunienne
Seattle, Le 27/04/2018
Je suis heureuse de partager avec vous l’article «
Pourquoi je marche à Gaza », du New York Times écrit par mon cher ami et
collègue, Fadi Abu Shammalah, coproducteur du film « Naila et
l’Insurrection » produit par Just Vision.
Merci de diffuser largement
Il y a trois ans, j’ai eu l’immense privilège de
voyager à Gaza pour y interviewer des femmes animatrices de la Première
Intifada pour le documentaire produit par Just Vision, « Naila et
l’Insurrection ». Une partie de ma tâche consistait à trouver sur place une
équipe avec laquelle travailler sur la production. Je n’aurais pas pu être plus
chanceuse que de rencontrer Fadi Abu Shammalah, qui est devenu coproducteur du
film. Au cours de plusieurs voyages à Gaza, j’ai retrouvé Fadi, j’ai été
invitée chez lui, j’ai déjeuné avec ses parents, je me suis liée d’amitié avec
sa merveilleuse épouse et j’ai partagé des moments de jeux avec ses garçons
chéris.
Alors vous pouvez imaginer ma préoccupation quand
Fadi m’a dit qu’il participerait à la Grande Marche du retour à Gaza. Mais j’ai
rapidement réalisé que nous avions beaucoup à apprendre de Fadi. Nous lui avons
demandé s’il accepterait d’écrire un article sur les raisons pour lesquelles un
père aimant ses trois enfants était prêt à risquer sa vie en participant aux
manifestations. Quelles étaient ses motivations, ses peurs, ses aspirations ?
Nous sommes absolument ravis que la voix de Fadi
soit maintenant partagée avec des millions de personnes grâce à cet article
publié ce matin dans le New York Times. Le public américain a absolument besoin
d’entendre son point de vue.
En solidarité et en lutte,
Jen Marlowe
Auteure, réalisatrice
Chargée de communication associée, Just Vision Productions
Coproductrice du film « Naila et l’insurrection »
KHAN YOUNIS, Bande
de Gaza
Tôt dans la matinée du 30 mars, mon fils Ali, âgé de 7
ans, a vu que je me préparais à sortir. C’était inhabituel pour un vendredi.
« Où vas-tu, papa? »
– « À la frontière. Participer à la Grande Marche du
Retour. »
La Grande Marche du Retour est le nom donné aux 45 jours
de protestation le long de la frontière entre Gaza et Israël. Elle a commencé
le 30 mars, le « jour de la terre » commémorant les massacres de six
Palestiniens d’Israël qui avaient protesté contre les confiscations de terres
en 1976, et se clôturera le 15 mai, jour du 70e anniversaire de la Nakba, qui
commémore le déplacement massif de Palestiniens pendant la guerre de 1948 qui
conduit à la création de l’État d’Israël.
« Puis-je venir avec toi? », a demandé Ali. Je lui ai dit
que c’était trop dangereux. Si on en croyait les avertissements militaires
israéliens, le risque que des manifestants non armés soient abattus par des
tireurs d’élite israéliens était trop élevé. « Pourquoi y vas-tu si tu peux te faire
tuer ? » s’empressa de demander Ali.
Sa question ne quittait pas mon esprit alors que je me
rendais au campement près de la frontière à l’est de Khan Younis, la ville du
sud de Gaza où je vis. Elle est restée dans mes pensées les vendredis suivants
alors que je continuais à participer à la Marche, et elle y est encore présente
maintenant.
Ma vie me ravit. Je suis le père de trois merveilleux
enfants (Ali a deux frères, l’un de 4 ans, Karam et l’autre, Adam, vient de
naître), je suis marié à une femme que je considère comme mon âme sœur.
Mes craintes ont été confirmées : 39 manifestants ont été
tués depuis le début de la Marche, beaucoup par des tirs de snipers, y compris
un gamin de 15 ans la semaine dernière et deux autres adolescents le 6 avril.
Israël refuse de rendre les corps de deux de ces tués.
Des milliers d’autres ont été blessés. Les journalistes
ont été visés ; 13 d’entre eux ont reçu des balles depuis le début des
manifestations, y compris Yasser Murtaja, un photographe âgé de 30 ans et Ahmed
Abu Hussein, 25 ans, qui est décédé mercredi des suites de ses blessures.
Alors pourquoi suis-je prêt à risquer ma vie en rejoignant
la Grande Marche du Retour ?
Transport d’un manifestant
palestinien blessé.
Mohammed Saber/European Pressphoto Agency, via Shutterstock
Il y a plusieurs
réponses à la question d’Ali.
Je crois foncièrement à la stratégie de la Marche,
mouvement de masse pacifique, conduit par des civils. J’ai aussi été
impressionné par la façon dont le mouvement a uni le peuple palestinien de la
Bande de Gaza, politiquement divisé. Et la Marche est un moyen efficace de
mettre en évidence les conditions de vie insupportables auxquelles sont
confrontés les habitants de la Bande de Gaza : quatre heures d’électricité par
jour, l’indignité de voir notre économie et nos frontières soumises à un siège,
la peur du bombardement de nos maisons.
Mais la raison principale pour laquelle je participe est
que, dans quelques années, je veux pouvoir regarder Ali, Karam et Adam dans les
yeux et leur dire :
- «Votre
père faisait partie de cette lutte historique et non-violente pour notre
patrie. »
- Les
médias occidentaux ont couvert la Grande Marche du retour en se focalisant
sur les images de jeunes jetant des pierres et brûlant des pneus. L’armée
israélienne décrit l’action comme une provocation violente du Hamas, une
affirmation à laquelle de nombreux analystes ont aveuglément adhéré. Ces
descriptions sont en totale contradiction avec mon expérience du terrain.
- Des
membres de l’Union générale des centres culturels de Gaza, organisation
non gouvernementale dont je suis le directeur exécutif, ont participé aux
réunions de préparation de la Marche, qui comprenaient des représentants
de toutes les composantes de la société civile et politique de Gaza. A la
frontière, je n’ai pas vu un seul drapeau du Hamas, une seule bannière du
Fatah, ni d’affiche du Front populaire de libération de la Palestine,
d’ailleurs – attirail répandu dans pratiquement toutes les autres
manifestations auxquelles j’ai assisté. Ici, nous n’avons déployé qu’un drapeau
– le drapeau palestinien.
- Certes,
les membres du Hamas participent à la Marche, car ils font partie de la
communauté palestinienne. Mais cette participation indique peut-être
qu’ils pourraient s’éloigner d’une conception de la libération de la Palestine
par des moyens militaires et qu’ils commenceraient à opter pour la
protestation civile populaire et non armée. Mais la Grande Marche du
Retour n’est pas l’action du Hamas. C’est la nôtre.
- Et
notre action est loin de se résumer à des pneus brûlés ou à des jeunes
jetant des pierres sur des soldats stationnés à des centaines de mètres de
là. La résistance dans les campements a été créative et belle. J’ai dansé
le dabke, la danse nationale palestinienne, avec d’autres jeunes hommes.
J’ai dégusté des spécialités culinaires traditionnelles, comme le msakhan
(poulet rôti aux oignons, au sumac et aux pignons de pin) et le maftool
(un plat à base de couscous).
- J’ai
chanté des chants traditionnels avec d’autres manifestants et je me suis
assis avec les anciens qui échangeaient des anecdotes sur la vie d’avant
1948 dans leurs villages natals. Certains vendredis, des cerfs-volants ont
sillonné le ciel et d’autres vendredis, des drapeaux ont été hissés sur
des perches de 25 mètres de haut pour être clairement visibles de l’autre
côté de la frontière.
- Tout
cela se déroulait sous les lunettes de visée des fusils des tireurs
d’élite israéliens stationnés à environ 700 mètres. Nous étions tendus,
nous avions peur – en effet, il m’est arrivé de me trouver à proximité de
personnes qui se faisaient tirer dessus et au milieu des nuages de gaz
lacrymogènes – mais nous étions joyeux. Le chant, la danse, les récits,
les drapeaux, les cerfs-volants et l’art culinaire sont plus que des
symboles de notre patrimoine culturel.
- Ils
démontrent – clairement, résolument, passionnément et pacifiquement – que
nous existons, que nous demeurerons, que nous sommes des êtres humains
avec la dignité due aux êtres humains, et que nous avons le droit au
retour dans nos foyers. J’ai envie de dormir sous les oliviers de Bayt
Daras, mon village natal (ville palestinienne située à 30 kilomètres au
nord-est de Gaza qui a été vidée de ses habitants en 1948 – ndt). Je veux
montrer à Ali, Karam et Adam la mosquée dans laquelle mon grand-père a
prié. Je veux vivre paisiblement dans ma maison familiale avec tous mes
voisins, qu’ils soient musulmans, chrétiens, juifs ou athées.
- Les
habitants de Gaza ont subi une tragédie après l’autre : des vagues de
déplacements massifs, la vie dans des camps de réfugiés sordides, une
économie piratée, un accès restreint aux zones de pêche, un siège
asphyxiant et trois guerres au cours de ces neuf dernières années. Israël
a imaginé qu’une fois la génération qui a connu la Nakba disparue, les
jeunes renonceraient à notre rêve de retour. Je crois que c’est en partie
pour cela qu’Israël maintient Gaza au bord de la catastrophe humanitaire –
nos vies réduites à une lutte quotidienne pour la nourriture, l’eau, les
médicaments et l’électricité, nous ne serions plus en état de nous soucier
de plus nobles aspirations. La Marche prouve que ma génération n’a pas
l’intention d’abandonner les rêves de son peuple.
- La
Grande Marche du retour a galvanisé mon optimisme, mais je reste réaliste.
La Marche, seule, ne mettra pas fin au siège et à l’occupation, ne
résorbera pas l’énorme déséquilibre des forces entre Israël et les
Palestiniens ni ne réparera les torts historiques. L’engagement se
poursuit jusqu’à ce que tous les êtres humains dans la région puissent
partager les mêmes droits. Mais je ne pouvais pas être plus impressionné
par mon peuple ou être fier de lui – nous voir unis sous un même drapeau,
avec une approbation quasi unanime des moyens pacifiques pour réclamer nos
droits et affirmer notre humanité.
- Tous
les vendredis, jusqu’au 15 mai, je continuerai à aller aux campements pour
envoyer un message à la communauté internationale décrivant les conditions
désastreuses dans lesquelles je suis obligé d’élever mes fils. J’irai,
jusqu’à ce que je puisse apercevoir nos terres – nos arbres – de l’autre
côté de la frontière militaire alors que les soldats israéliens me
surveillent derrière leurs armes.
- Si
Ali me demande pourquoi je retourne à la Grande Marche du Retour malgré le
danger, je lui dirai ceci : J’aime la vie. Mais plus que ça, je t’aime,
toi, Karam et Adam. Si risquer ma vie signifie que toi et tes frères aurez
une chance de grandir, d’avoir un avenir digne, de vivre en paix avec vos
voisins, dans un pays libre, alors c’est un risque que je dois prendre.