PARTAGE DE LA
PALESTINE DU POINT DE VUE JURIDIQUE
Causes de nullité de la résolution du partage
de la Palestine
6. Injustice flagrante du partage
Est-il nécessaire que les
résolutions de l'ONU soient justes ? La réponse se trouve dans l'article 1 de
la Charte des Nations Unies lequel prescrit, comme nous l'avons déjà remarqué,
que l'organisation mondiale doit agir "en conformité avec les principes de
la justice et du droit international". Il est significatif de noter que la
Charte mentionne les principes de justice avant les principes de droit
international comme si elle voulait accorder la priorité aux principes de
justice sur les principes de droit international. La notion de justice n'est
pas un concept vague et ne doit pas être confondue avec le droit international.
Comme P.E. Corbett l'a remarqué :
- "Si nous jugeons par les termes de l'article 1 d la Charte, les "principes de justice" représentent quelque chose de distinct du "droit international" " (40)
La notion de justice est
universelle, et, à la différence du droit international, elle est moins sujette
à des divergences d'interprétation. La notion de justice introduit sur le plan
international une échelle de valeurs morales et éthiques qui ne sont pas clairement
en évidence dans la sphère du droit international. Il s'en suit que le respect
et l'observance des principes de justice constituent un test essentiel de la
validité de la résolution du partage.
Voyons si l'Assemblée Générale de
l'ONU a observé dans sa résolution du partage le principe de justice prescrit
par la charte. Afin de pouvoir répondre à cette question, il faudrait rappeler
les faits.
En 1946, la population totale de
la Palestine comprenait 1 972 000 habitants, dont 1 203 000 Musulmans, 145 000
Chrétiens et 608 000 Juifs.
(41) Un dixième
seulement des Juifs qui vivaient alors en Palestine étaient des habitants
autochtones du pays. Le reste de la population juive était composé surtout
d'immigrants étrangers d'origine polonaise, russe ou d'Europe Centrale (42), un tiers d'entre eux seulement ayant acquis la nationalité
palestinienne. (43) Selon les statiques rurales du
gouvernement de la Palestine, la population juive possédait, en Palestine,
compte non tenue de la propriété urbaine, 1 491 699 dunoms (44) de terres sur un total de 26 323 023 dunoms
représentant la superficie totale de la Palestine. (45) Ainsi les
Juifs possédaient 5,66 % de la surface totale du pays. Par contre, les Arabes
possédaient 12 574 774 dunoms, c'est ç dire 47,77% de la superficie du pays. Le
reste comprenait le domaine public. -C'est
à dire à l'Etat palestinien-
Que fit le projet de partage
adopté par l'ONU en 1947 ?
IL attribua aux Juifs - qui
étaient moins d'un tiers de la population et possédaient moins de 6% de la
terre - une superficie dépassant 14 500 kilomètres carrés, ce qui représentait
57% de la superficie de la Palestine, c'est à dire un territoire presque dix
fois plus grand que la superficie possédée par les Juifs dans toute la
Palestine. De plus , le parties attribuées à l'Etat Juif comprenait la plaine
du littoral s'étendant de St-Jean d'Acre à Isdud et les terres les plus
fertiles de la Palestine, tandis qu'on laissait aux palestiniens surtout les
région montagneuses et stériles. En fait, ce partage n'en était guerre un, car
l'ONU donnait aux immigrants juifs le gâteau, et aux Palestiniens les miettes.
En d'autres termes, ce n'était un partage, mais une spoliation pure et simple.
Son iniquité saute aux yeux.
L'iniquité, je dirais même
l'extravagance, de la résolution devient encore plus frappante lorsqu'on
réalise que l'Etat Juif tel que l'ONU l'avait proposé en 1947 comprenait une
majorité arabe, c'est à dire 509 000 Arabes contre 499 000 Juifs. (46) Mais, comme le monde le réalise, les Israéliens se
sont bien chargés en 1948 d'éloigner cette majorité arabe et d'en faire des
réfugiés, sans terres, ni foyers.
(40) P.E. Corbett, Law and Society in the Relations of States, Harcourt,
New York,
1951, p. 268.
(41) Document de l'ONU A/AC. 14/32, 11 novembre,
p. 904.
(42) Statistical
Abstract 1944-1945, publié par le
gouvernemnet de Palestine p. 42.
(43) Ibid, pp. 36 et 46.
(44) Un dunum égale 1000 mètres carrés
(45) Annexe VI au document de l'ONU A/AC. 14/32,
11 novembre 1947, p. 907. En d'autres termes, les Juifs possédaient une
superficie de 1491 kilomètres carrés sur une superficie totale de 26 323
kilomètres carrés.
(46) Document de l'ONU A/AC. 14/32, 11 novembre
1947, p. 291.
Pour compléter le tableau,
j'ajouterais une observation. Le projet de partage prévu par la résolution de
l'ONU, aussi injuste et inique qu'il était, fut emporté par le cours des
événements en 1948, et une situation inconcevablement plus injuste et plus
inique fut créée. Un Etat sioniste et raciste - qui n'avait rien en commun avec
le territoire, la population ou la structure politique de l'Etat Juif envisagé
par la résolution du partage - avait surgi et était bien décidé à se maintenir
par la force des armes. Les Israéliens chassèrent un million de Palestiniens de
leurs foyers. Le nombre de refugiés a augmenté depuis. A l'heure actuelle, il
n'est pas loin de deux millions. En outre, ils dépassèrent les limites de
l'Etat Juif prévu par la résolution du partage et occupèrent une grande partie
du territoire réservé par la résolution à l'Etat Arabe. Au total, les
israéliens occupèrent en 1948 et 1949 une superficie de 20 850 kilomètres
carrés (47) d'un total de 26 323 kilomètres
carrés représentant la superficie de la Palestine, ce qui laissait aux
Palestiniens un cinquième de leur patrie. Il va sans dire que les événements de
1967 on encore aggravé la situation, car les Israéliens occupent maintenant
tout le territoire de la Palestine, ainsi que des territoires appartenant aux
Etats voisins.
(47) Voir Gouvernment
Year-Book, publié par le gouvernement israélien, édition anglaise, 5712
(1951-1952), p. 315.
IV.
Conclusion
Il reste maintenant à considérer
deux points : les conséquences juridiques des causes d'invalidité de la
résolution de partage et leur portée pratique.
Pour ce qui est des conséquences
des causes d'invalidité dont nous avons donné un aperçu, il semble évident
quelles vicient la résolution de partage laquelle devrait, par conséquent, être
considérée comme étant nulle tout simplement. Cette résolution est essentiellement
une décision politique qui a été conçue, façonnée et adoptée grâce aux efforts
combinés des Juifs sionistes et de certains hommes politiques américains en
violation des principes du droit, de la, justice et de la démocratie.
Il s'ensuit de la nullité de la
résolution qu'elle ne pourrait servir comme titre juridique pour la création ou
le maintien d'un Etat Juif en Palestine ou pour l'acquisition par cet Etat d'un
droit de souveraineté sur le territoire de la Palestine. En d'autres termes, la
résolution de partage ne pourrait être considérée comme constitutive de droits
en faveur des Juifs lésant les légitimes des Palestiniens.
Cette conclusion affecte les
assises juridiques de l'Etat d'Israël. La proclamation de l'établissement de
cet Etat faite le 14 mai 1948 reposait sur deux points : le "droit naturel
et historique " des Juifs et la "résolution de l'Assemblée Générale
des Nations Unies". Or comme nous l'avons vu, ces deux fondements n'ont
aucune base juridique valable.
Mais quelle est la portée pratique
de cet examen juridique de la question ?
Une situation de fait a été
établie en Palestine, par la force, et en violation du droit et de justice.
L'Etat qui s'y est établi, armé jusqu'au dents, est bien décidé à conserver ses
conquêtes territoriales et a refuser aux Palestiniens leur retour à leurs
foyers. Cette situation demeure explosive et sans solutions, en dépit des
années qui s'écoulent. Il ne semble pas cependant que l'examen juridique de la
Question de Palestine ait une valeur simplement théorique ou historique. Si les
problèmes politiques ne sont pas toujours résolus à la lumière de principes
équitables et juridiques, néanmoins les conclusions auxquelles on parvient à la
suite de l'examen de la question ont une double utilité:
- D'une part, elles permettent une meilleure compréhension du fond du problème, une plus profonde réalisation de l'étendue de l'injustice commise en Palestine ainsi que des sentiments et des objectifs qui animent les Palestiniens.
- D'autre part, ces conclusions fournissent une indication de ce que devrait être la solution juste et équitable du problème palestiniens. La connaissance des éléments d'une solution juste et équitable est d'une importance primordiale à l'heure actuelle, car la résolution du Conseil de Sécurité du 22 novembre 1967 sur laquelle le monde fonde des espoirs de paix n'offre pas en vérité une solution adéquate. Cette résolution souffre d'une lacune fatale : elle s'occupe principalement de liquider les séquelles de la guerre du 5 juin 1967 tandis qu'elle ignore le fond même du problème, c'est à dire la question palestinienne. Et il ne semble pas que la paix puisse revenir en Terre Sainte si on cherche un règlement qui dépend du bon vouloir d'Israël et accorde plus de considération au fait accompli par la force qu'aux principes du droit et de la justice. Sans reconsidération de la résolution de partage et une réévaluation de la situation en Palestine, à la, lumière des principes du droit et de la justice, les efforts qu'on déploie pour aboutir à la paix resteront futiles. Il faudrait pouvoir combler le fossé, je dirais même l'abîme, entre la réalité et la légalité.
Séries des Monographies N°. 8
A QUI DONC APPARTIENT LA PALESTINE
Par
Henry Cattan
THE
INSTITUTE FOR PALESTINE,
STUDES
BBEIRUT
1967.
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