INTERROGATIONS SUR LA STRATÉGIE PALESTINIENNE
22 JANVIER
2018
La décision de Donald Trump de transférer l’ambassade des
États-Unis à Jérusalem et de reconnaître cette ville comme capitale d’Israël
ont mis en lumière l’impasse totale des accords d’Oslo. Même le président de
l’Autorité palestinienne a dû le prendre en compte, en durcissant
considérablement son langage. Mais il semble refuser de remettre en cause la
stratégie qu’il suit depuis plus de dix ans, comme le prouve la décision de
modifier les documents adoptés
par le conseil central de l’OLP.
Cérémonie de réception de Donald Trump à Bethleem
Les 14 et 15 janvier s’est déroulé à Ramallah le
conseil central de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Cette
instance est une structure intermédiaire entre le conseil national palestinien,
sorte de Parlement représentant les Palestiniens du monde entier, et le comité
exécutif, qui comme son nom semble l’indiquer devrait être le pouvoir exécutif
de l’OLP. En fait, il a été largement marginalisé par le gouvernement de
l’Autorité palestinienne (AP) dirigé, tout comme le comité exécutif, par
Mahmoud Abbas (Abou Mazen).
Le fait que le conseil se soit déroulé à Ramallah a
fortement affaibli la représentativité des réfugiés, principale force
d’opposition à Mahmoud Abbas. À noter aussi le refus
du Hamas et du Jihad islamique de participer, comme observateurs, au
conseil central, malgré l’invitation d’Abou Mazen. Il n’est pas indifférent non
plus de souligner que le Hamas avait gagné les élections municipales de 2005 et
les législatives de 2006 dans les territoires administrés par l’AP, mais a
préféré laisser au Fatah la constitution du gouvernement… et la gestion des
pourparlers avec Israël.
L’HEURE DES COMPTES
Si personne ne remet en question le leadership du dernier
compagnon de route de Yasser Arafat, les critiques de sa politique sont sévères
et nombreuses, à la fois dans l’opposition et au
sein du Fatah lui-même. Pendant les semaines qui ont précédé la
rencontre de Ramallah, de nombreux militants n’ont pas mâché leurs mots sur ce
qu’ils appellent l’échec stratégique d’Abou Mazen. En effet, celui-ci avait
basé toute sa politique sur des négociations avec Israël sous l’égide de
Washington. L’extrême
droite au pouvoir en Israël et la victoire de Donald Trump ont enterré
ce qui semblait avoir débuté à Oslo. Rappelons également que les accords d’Oslo
datent de plus de deux décennies, c’est-à-dire un temps largement suffisant
pour en reconnaître l’échec. De très nombreux militants de l’OLP, Fatah
compris, tirent la leçon de cet échec, s’attaquant ainsi plus ou moins
ouvertement au président Abbas. On pouvait donc s’attendre à un conseil central
mouvementé.
Or, pour une fois, Abou Mazen a pris les devants, et dans
une large mesure il a su ainsi les neutraliser. Dans un discours-fleuve, le
président a fait le bilan de l’impasse
du processus négocié d’Oslo, et annoncé sa fin. Ce n’est certes pas une
nouvelle retentissante pour les délégués du conseil central, mais de la part de
celui qui a passé des années dans les antichambres de la Maison Blanche à
attendre des pressions américaines sur le gouvernement de Tel-Aviv, c’est
nouveau, et l’aveu d’un échec stratégique.
En l’écoutant on avait le sentiment que le vieux président
faisait son testament politique, et se justifiait vis-à-vis de son peuple,
vis-à-vis de l’histoire : « Je n’ai jamais bradé les droits
légitimes de notre peuple », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il avait
même refusé beaucoup d’argent que les Américains et certains États arabes lui
proposaient en échange d’un assouplissement des revendications palestiniennes.
« LA GIFLE DU
SIÈCLE »
Alors qu’Abou Mazen est connu pour son langage lisse et
diplomatique, il a surpris tout le monde par la dureté de ses propos. D’abord
envers les États arabes qu’il a accusés d’interférence dans les affaires
internes du peuple palestinien. Ensuite contre les ambassadeurs états-uniens,
Nikki Haley à l’ONU et David Friedman à Tel-Aviv. Il décrit ce dernier
comme « un colon qui s’oppose même au mot “occupation”. C’est une
espèce de malédiction dans l’administration [états-unienne], et je n’accepterai
jamais de le rencontrer, nulle part, ni à Jérusalem, ni à Aman, ni à
Washington. » Quant à Haley, « elle menace de frapper avec
son talon quiconque s’en prend à Israël. Nous réagirons comme il se
doit. » Mais c’est évidemment pour
Donald Trump qu’il a gardé les mots les plus durs :
- Nous
avons dit à Trump que nous n’accepterons pas son plan. Le “deal du siècle”
est devenu la gifle du siècle, et nous saurons lui rendre sa gifle. Je
veux être tout à fait clair : nous n’accepterons plus le rôle
d’intermédiaire qu’ont joué les États-Unis dans les négociations (…) Trump
menace de couper les vivres à l’AP parce que nous aurions fait
échouer les négociations ? Crève ! (littéralement en arabe :
“Que ta maison s’écroule”). Quand a-t-on même commencé des
négociations ?
- Et
puisque l’heure des comptes est arrivée, Abou Mazen s’en est également
pris aux Britanniques, responsables de la « Déclaration
Balfour » qui a mené à la création de l’État d’Israël et à
l’expulsion d’une partie importante de la population arabe autochtone.
LA COOPÉRATION
SÉCURITAIRE AVEC ISRAËL EN QUESTION
Que signifie cette toute nouvelle radicalité du
président ? C’est certainement son âge avancé et la volonté d’entrer dans
l’histoire comme celui qui, malgré sa modération reconnue et souvent critiquée
n’aura pas accepté d’être le vassal de Donald Trump. Mais c’est aussi
Jérusalem. L’annonce du président américain sur Jérusalem comme capitale de
l’État d’Israël et les mesures concrètes prises ces dernières semaines pour y
transférer l’ambassade des États-Unis ont fait l’effet d’une déclaration de
guerre.
Jérusalem est la
prunelle des yeux des Palestiniens, et même les plus malléables ne peuvent
accepter qu’on dépossède les Palestiniens de leur capitale. L’administration
Trump n’a pas voulu saisir cette évidence. Pour Mahmoud Abbas, la déclaration
du président américain n’est pas seulement la violation à la fois du droit
international et d’un consensus dans la communauté internationale, c’est
surtout la preuve la plus accablante qu’il puisse y avoir de la fin du
processus négocié sous les auspices de Washington.
Sommes-nous vraiment, comme l’affirment certains
commentateurs, à un tournant historique dans les relations
israélo-palestiniennes ? Majed M. 1, un délégué du Fatah au
conseil central, est catégorique : « Il n’y a pas de
plan B. Même si Oslo est effectivement enterré, il faudra tôt ou tard
revenir à un processus négocié avec Israël. Après Trump et après
Nétanyahou ». En attendant, que va faire Abbas ? « Saisir
la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye et renforcer les liens avec
d’autres partenaires dans la communauté internationale. »
Les délégués du Front populaire de libération de la
Palestine (FPLP) au conseil central sont plus catégoriques. L’un d’entre eux
nous a expliqué : « Si Abou Mazen était cohérent, il cesserait
la coopération sécuritaire avec Israël, comme l’avait déjà décidé le conseil
central précédent ». Selon le journal Al-Hayat publié à Londres,
le représentant du FPLP au comité exécutif de l’OLP Omar Schéhadé
aurait dit à la réunion de cette instance qui avait précédé le conseil central
qu’Abbas avait sciemment refusé de mettre en œuvre la décision du conseil
central précédent stipulant la fin de la coopération militaire avec Israël.
RECONSTRUIRE L’UNITÉ
NATIONALE
Si Oslo est mort, comme le dit même Abou Mazen, n’est-il pas
temps de rendre les clefs et d’obliger Israël à gérer, seul, le quotidien des
Palestiniens ? De prendre en charge les infrastructures, l’éducation, la
santé ? C’est la question que lui posent non seulement les représentants
des partis de gauche, mais aussi nombre de militants du Fatah.
L’autodissolution de l’AP obligerait tôt ou tard la communauté
internationale à intervenir d’une manière beaucoup plus pressante. Le résultat
en serait l’internationalisation du conflit et éventuellement la convocation d’une
conférence internationale qui briserait le face à face gravement inégal entre
Israël et les Palestiniens.
Une telle éventualité est le cauchemar des autorités
israéliennes. C’est néanmoins un cauchemar à long terme : « Trop
de bureaucrates et d’hommes d’affaires palestiniens ont intérêt à poursuivre la
collaboration avec Israël », affirme Majed M., pourtant militant du
Fatah. Bien pire encore serait la fin de la collaboration sécuritaire, qui est
pour l’État d’Israël le principal acquis des accords d’Oslo. L’existence d’une
police palestinienne qui collabore étroitement avec l’armée israélienne a
permis a l’État hébreu de réduire substantiellement ses troupes en Cisjordanie,
et les informations fournies quotidiennement par les services de renseignement
palestiniens au Shin Beit sont d’une valeur inestimable.
Or, dans son discours-fleuve au conseil central, Abou
Mazen ne remet pas en question la collaboration militaire. Autant dire qu’il ne
remet pas en question l’essentiel. Porter plainte devant la Cour
Internationale de Justice (CIJ) est certainement une bonne chose, mais, comme
le commente Nassar L., un ancien cadre du FPLP de
Bethléem, « ce n’est qu’en mettant fin à la collaboration sécuritaire
avec Israël qu’on pourra remettre sur pied une résistance populaire et unifiée
contre l’occupation israélienne. Le fait qu’Abou Mazen n’ait pas touché à cet
aspect relativise grandement la portée de son discours au conseil. »
Le mot de la fin sera pour Naim J., un vieux militant
communiste de Jérusalem :
Abou Mazen le reconnait, le processus d’Oslo est mort. Ce
qui est urgent maintenant c’est de développer une stratégie alternative à celle
qui a dominé le champ politique palestinien depuis vingt ans. C’est loin d’être
une question simple, et nous avons besoin d’un véritable “grand débat national”.
La pré-condition étant de reconstruire
l’unité nationale, sans exclusive aucune. Pour le court terme, c’est le
combat prioritaire.
Sur ce dernier point Michel Warschawski a
entièrement raison. Mais j'us préféré qu'il parlât d'unité nationale du
territoire de la Palestine Historique (le nom restant à définir) où palestiniens et israéliens de bonne volonté formeraient un
Etat laïque respectant sans distinction ni restrictions les citoyens des trois
religions monothéistes. Puisque, c'est une évidence, la solution à deux Etats est aussi
enterrée…
1Les interviewés ont requis l’anonymat.
Journaliste et militant de gauche israélien, il est
cofondateur et président de l’Alternative Information Center (AIC). Dernier
ouvrage paru (avec Dominique Vidal) : Un autre Israël est
possible, les éditions de l’Atelier, 2012.
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