mardi 21 septembre 2010

Entretiens avec Camille Mansour (Monique Etienne)

POUR LA PALESTINE
Entretien avec le juriste palestinien Camille Mansour, universitaire et doyen de la faculté de Droit  de l’université de Bir Zeilt. :
Par Monique Etienne  (à Ramallah le 13 février 2008)

PLP : quelles sont les conséquences de la séparation de Gaza de la Cisjordanie ?
Camille Mansour : dapuis les Accords d’Oslo, et surtout depuis la deuxième Intifada, Israël cherche à séparer Gaza de la Cisjordanie. Du fait de la délivrance de plus en plus parcimonieuse des permis de circulation israéliens, les mouvements de personnes et les échanges de biens entre les deux régions se sont progressivement réduits. Et à cet égard, il est difficile aujourd’hui, d’un point de vue matérialiste, de parler d’une seule société palestinienne unissant les habitants des deux régions. Cependant et ce jusqu’en juin 2007, Israël n’avait réussi à diviser l’unicité des institutions palestiniennes parce que l’idée d’unité nationale portée par l’OLP, dès les années 60, demeurait un axe fondamental de l’idéologie de résistance. Malgré la difficulté de se rencontrer physiquement, il y avait un seul parlement, un seul Conseil supérieur de la magistrature, un seul Premier ministre et Conseil des ministres avec des sous ministres à Gaza ou Ramallah selon le cas. Les fonctionnaires étaient payés par l’ANP (Autorité nationale palestinienne). Le désengagement de Gaza et le retrait des forces israéliennes de la frontière entre Gaza et l’Egypte en été 2005 avaient déjà posé avec acuité la question de l’unicité de Gaza-Cisjordanie. A l’Autorité palestinienne qui revendiquait le poste frontière de Rafah, les israéliens répondaient d’accord, mais dans ces conditions, toute la bande de Gaza sortirait de l’ « enveloppe » qui incluait, en plus de ce territoire, Israël et la Cisjordanie. Pour les Palestiniens, accepter que Gaza sorte de l’ « enveloppe », c’était peut-être lui accorder plus d’indépendance, mais c’était surtout accepter qu’il ait un statut différent de la Cisjordanie et donc mettre en péril le programme national palestiniens. On connaît la nature du compromis issu des négociations sous l’égide de Condolenzza Rice : un certain contrôle palestinien du poste-frontière accompagné d’une présence européenne et d’une télésurveillance israélienne. 

PLP : En faisant tomber le mur entre Gaza et l’Egypte, Hamas semble pourtant avoir repris l’initiative ?
C M : Cette opération n’a pas seulement été très populaire, elle a également démontré que le Hamas contrôlait Gaza et sa population. Car ce « soulèvement populaire »  servait les intérêts du Hamas. Cependant ce qui apparaître comme une grande habilité : faire tomber les murs au moment où Israël décrète le blocus total, se révèle une victoire embarrassante. Depuis le coup de force du Hamas en juin 2007 (et je dirais, depuis le désengagement israélien en août 2005), les israéliens ont tout fait   ̶   et c’est le sens des déclarations sur « Gaza entité hostile »  ̶   pour que la situation soit tellement explosive et intenable que les Gazaouis réclament : « on veut l’Egypte ! » Au début, les israéliens étaient contents quand la population s’est précipitée en Egypte. Ouf ! Ils étaient débarrassés du fardeau. Gaza sortait de « l’enveloppe ».  En ouvrant cette brèche, en insistant pour contrôler les points de passage, en contestant les accords passés entre Israël et l’ANP pour Rafah, en déclarant qu’ils voulaient se séparer d’Israël, certains dirigeants du Hamas semblent être tombés dans le piège : car séparer la bande de Gaza d’Israël et la lier à l’Egypte, c’était la séparer de la Cisjordanie et de la possibilité de construire un Etat sur tous les territoires occupés. S’ils voulaient casser les murs, c’était du côté d’Erez qu’ils devaient aller.
PLP : Revenons sur la rupture du Hamas et de l’ANP en juin. Le Hamas n’a-t-il pas été piégé ?
C M : Le coup de force du Hamas en juin 2007 a été le prétexte que cherchait Israël pour couper encore plus, non seulement les liens économiques et sociaux entre Gaza et la Cisjordanie, mais également, ce qu’il n’avait pas réussi à faire :les symboles du pouvoir unitaire. Le Hamas à gâché les cartes qu’il avait gagnées notamment au moment des accords de La Mecque qui lui avait donné une légitimité et amené l’OLP et le Fatah à reconnaître le premier ministre Ismaïl Haniyeh et la formation d’un gouvernement d’union nationale. Le Hamas avait fait un pas en concédant au président Mahmoud  Abbas les ministère des Finances, de l’Intérieur et des Affaires étrangères : les ministres obligés de coopérer avec Israël. En nommant un ministre de l’intérieur consensuel, on était supposé régler le désaccord dur la question des forces de sécurité, le président ayant accepté d’intégrer la Force exécutive du Hamas et d’en payer les salaires. Il y avait bien sur des opposants aux accords de La Mecque : Mahmoud Zahar et Saïd Siyam du coté du Hamas ; Mohammad Dahlan du coté du Fatah.
PLP : justement, il est dit que Hamas avait voulu contrer un « putsch » de Dahlan ?
C M : Je ne suis pas d’accord sur ce point. Bien sur, Dahlan importait des armes ; bien sur, il se préparait à une confrontation avec le Hamas. Mais il ne contrôlait qu’une partie des forces armés « officielles » fidèles à Abou Mazen. En dehors de ces formations plutôt cantonnées dans les casernes, le Fatah, en état de décomposition n’avait plus de force armé dans le tissu social. En face, il y avait la force exécutive du Hamas et les milices rattachées à ce dernier dans les camps et dans les rues. Pour tout observateur averti, et spécialement pour les dirigeants la Hamas, il suffisait d’encercler les casernes pour paralyser toute velléité de « putsch ». Celui qui a le soutien des militants armés dans les camps a le rapport de forces en sa faveur. Non, il s’agit d’une erreur tactique du Hamas qui a fait son coup de force au moment où il était en train de marquer progressivement des points (du point de vue de la légitimité politique) dans sa compétition avec le Fatah et où il lui suffisait d’attendre quelques mois encore pour contrôler le ministère de l’intérieur avec l’assentiment, certes à contrecœur, d’Abou Mazen.  
Aujourd’hui, l’ANP est dans une situation impossible et otage de [cette] situation.   . (…) Si l’Autorité se dissout, il faudra former un gouvernement en exil. Aujourd’hui qui, dans les pays arabes, accepterait d’accueillir un tel gouvernement ? Qui, prendrait le leadership ? L’OLP n’a plus de véritable représentativité à l’extérieur. Le seul qui ait une direction à l’étranger c’est le Hamas !                                                    ! 
PLP : Que pensez-vous de la décision de Mahmoud Abbas de décréter l’Etat d’urgence et de nommer un gouvernement dont la légitimité est contestée ?
C M : Qu’est-ce qu’il pouvait faire d’autre ? Maintenir le premier ministre en fonction alors que lui-même venait d’être interdit de séjour à Gaza et que sa résidence officielle avait été occupée par les miliciens du Hamas ? Du point de vue constitutionnel, Abou Mazen avait le droit de démettre le gouvernement de Haniyeh, de proclamer l’état d’urgence et de charger Salam Fayyad de former un nouveau gouvernement. Dans une situation aussi grave que la separation de Gaza de la Cisjordanie, le probleme principal n’est pas constitutionnel, mais politique. Quelle que fusse la solution constitutionnelle choisie par Abou Mazen après le coup de force du Hamas, le probleme politique aurait été pratiquement le même. Quoi qu’il en soit, à partir du moment où il a considéré le gouvernement de Gaza comme illégitime, Abou Mazen est devenu prisonnier des israéliens et des Eats-Unis puisque ces derniers (ainsi que l’Europe) ont rétabli leur aide. Aujourd’hui, si le président annonçait qu’il négociait avec le Hamas, on lui couperait les vivres. Or, les gens ne veulent pas d’un retour du boycott.
PLP : Dans le contexte, de nouvelles élections offriraient-elles une porte de sortie ?
C M : Je ne crois pas. On ne peut pas tenir des élections sans le Hamas. La situation interne n’est pas bonne. Le Fatah n’a pas pu remonter la pente, se rénover et reconquérir sa représentativité politique dans la société.
L’erreur de Mahamoud Abbas, après l’élection du Hamas, a été de dire qu’il refusait le programme parce qu’il n’était conforme aux engagements pris par l’OLP mais qu’il acceptait la formation de son gouvernement. Il aurait fallu attribuer au Hamas tous les portefeuilles exceptés les trois ministères régaliens  - Intérieur, Affaires étrangères, Finances -  qui auraient été nommés par la présidence, et se mettre d’accord sur un programme unifié basé sur la cohabitation de deux légitimités issues des urnes (élection présidentielle de janvier 2005 et élections législatives de janvier 2006). Ce qui c’est fait au moment des accords de la Mecque, mais trop tard.
 Aujourd’hui l’ANP est dans une situation impossible et otage de cette situation. On dit qu’elle n’a plus qu’a se dissoudre et renvoyer la responsabilité de la gestion des territoires occupés à Israël. Ce n’est pas si simple. Qui va dissoudre ? La présidence ? Le Conseil des ministres ? Le Conseil législatif ? Que va devenir l’administration publique qui nourrit un million de personnes ? Qui va gérer les Hôpitaux, les écoles ?  Cette position fait fi des acquis… Fait-il les jeter ?
Si l’Autorité se dissout, il faudra former un gouvernement en exil. Aujourd’hui, qui, dans les pays arabes, accepterait d’accueillir un tel gouvernement ? Qui, dans la communauté internationale, le reconnaîtrait ? Qui prendrait le leadership ? L’OLP n’a plus de réelle représentativité à l’extérieur. Le seul qui ait une représentativité à l’extérieur c’est le Hamas ! sur le plan extérieur, nous avons aujourd’hui des atouts : nous avons acquis une personnalité reconnue que nous risquerions de perdre.
PLP : Dans le même ordre d’idées, on parle de plus en plus de la solution d’un seul Etat. Qu’en pensez-vous ?
C M : La solution d’un seul Etat conserve ma sympathie, je dirais « affective ». Mais soyons réalistes ! Si le rapport de forces aujourd’hui ne permet plus de lutter pour la coexistence de deux Etats, comment permettrait-il de lutter pour un programme bien plus ambitieux ? Si les colonies israéliennes rendent impossible l’établissement d’un Etat palestinien viable, un programme d’Etat unitaire pourrait-il mettre un terme à la colonisation des territoires occupés ?
Je crains précisément le contraire. Israël pourrait dire aux Palestiniens : puisque vous voulez un Etat unitaire, rien ne s’oppose donc plus à l’établissement des israéliens en Cisjordanie et Gaza. Les palestiniens n’obtiendraient pas une égalité de droits avec les Israéliens, sans compter la perte de la reconnaissance internationale dont jouit actuellement l’OLP.
PLP : Les négociation après Annapolis semblent être dans une impasse ?
C M : Alors que les équipes de négociateurs israéliens et palestiniens sont censées plancher sur le statut de Jérusalem et les « questions-clefs » du conflit, le premier ministre Salam Fayyad a déploré qu’on ne puisse parvenir à un accord de paix avant fin 2008. De son côté Haim Ramon, numéro 2 du gouvernement israélien, a estimé qu’une « déclaration de principe » pourrait être conclue avant fin 2008. Mahmoud Abbas et Ehoud Olmert pourraient parvenir à un « accord  cadre » prévoyant l’établissement d’un Etat palestinien avec des frontières « provisoires » sur un territoire réduit assurant une certaine contiguïté territoriale et qui permettrait aux Palestiniens de se mouvoir en Cisjordanie. Ce territoire resterait cependant sous contrôle israélien global. Bien entendu un tel accord serait inacceptable et risqué, mais, à l’instar des accords d’Oslo, il exprimait le rapport de forces du moment, permettrait aux gens de jouir d’une trêve plus ou moins précaire et à la direction palestinienne de prétendre qu’elle n’a pas fait de concession sur les questions de principes qui resteraient toujours à négocier. Tout cela si la situation explosive à Gaza ou au niveau régional ne vient pas perturber le cours des 
choses.
PLP : Cela voudrait dire qu’Israël est en train de gagner la partie ?
C M : La situation n’est pas du tout bonne, et elle est bloquée qu’en apparence. D’abord parce que la stratégie israélienne conduit également à une impasse : étendre la colonisation si on a pas un projet d’expulsion de masse des Palestiniens à quoi cela sert-il à long terme ? La résistance se poursuit… Les gens bâtissent dans une dynamique continue. La colonisation, la fragmentation des territoires palestiniens conduisent à une impasse car elles entretiennent un situation aberrante qui relance un cycle d’explosions. Le fait qu’il y ait des colons en territoire palestinien empêche la fermeture la fermeture hermétique des bantoustans. A court terme le checkpoints répriment et cassent l’économie ; à long terme ils renforcent la résistance. Qui gagnera dans cette confrontation ? On parle de plus en plus d’une



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