mardi 30 janvier 2018

Espagne. Comment la Constitution de 1978 a été atteinte

C'est une certitude, l'Espagne n'est pas une démocratie, n'est pas non plus une Monarchie constitutionnelle, son système politique serait plutôt un mix entre les principes de la dictature franquiste et une autocratie libérale…

Pourtant dans le drapeau Espagnol  figurent les différentes composantes de la Nation. Et s'il y a la couronne il y a aussi les bannières de ces composantes. 


Infolibre
26-01-2018
  
La Constitution de 1978 était le pacte exprès résultant d'un compromis tacite entre deux impuissances : l'impuissance des franquistes à prolonger la dictature sans Franco et l'impuissance de l'opposition véritablement démocratique à imposer une démocratie avancée. La Constitution s'est conclue avec des lumières et des ombres.  Libertés et droits démocratiques coté lumières ; un régime politique inachevé, hermétique aux revendications populaires et plein d'opacités, coté ombres.

Le processus du changement de régime n'a pas été idyllique, puisqu'il est à l'origine de fortes doses de violence politique d'origine diverse
Entre 1975 et 1983:
·         il y a eu 591 décès dus à la violence politique et la police a fait face à 788 manifestations. 
·         Il y a eu 188 décès dus à la violence d'origine institutionnelle, parmi eux, 8 personnes ont été assassinées en prison ou dans un poste de police, et 30 ont été assassinées après que la Constitution fut approuvé; 
·    l'ETA a porté ses attaques au paroxysme: 344 attaques, suivies de 51 du GRAPO. Presque tous contre les représentants du régime sortant. Pour aggraver les choses, les services secrets ont collaboré à la création d'un climat de peur qui devait empêcher le triomphe de la gauche, lors des premières élections démocratiques. 

Ce qui suit doit être lu en ce sens.
 Le hic rhodus  [montre de quoi tu est capable] du processus constitutif était le problème de la légitimité purement franquiste d'un monarque désigné, ignorant la ligne dynastique de la maison des Bourbon

Ce n'était pas un caprice ou une préférence personnelle. Franco et ses généraux ont introduit ainsi, au sommet du régime, plus ou moins démocratique, qui succéderait à la dictature, sa propre prétendue légitimité, celle qui présentait comme légitime le coup d'Etat de 1936, et avec elle l'intangibilité des responsabilités qui pourraient être exigées pour ce coup d'État, pour la guerre civile, pour le génocide qui suivra et le traitement, en tant que non-personnes, des opposants politiques. 

Tout cela était considéré comme légitime avec l'instauration de la Monarchie, et de cela  Juan Carlos de Borbon était clairement conscient avants d'accepter la succession en tant que roi en 1969: « Je reçois de son Excellence le Chef de l'Etat le Généralissime Francisco Franco la légitimité politique révélée le 18 Juillet 1936, au milieu de tant de souffrances, triste mais nécessaire, pour que notre pays puisse réorienter son nouveau destin"

Pour le roi établir les droits démocratiques était une nécessité qui contrebalancerait cette «légitimité» officielle, sous peine de perdre la couronne. Les limites politiques fondamentales de la Constitution de 1978 ont été fixées par la monarchie et l'armée.

La Constitution c'est écrite à partir d'une nouvelle "loi fondamentale" du régime toujours Franquiste, la huitième, en 1977, la Loi pour la réforme politique. Dont rien n'est à déprécier:
  • d'une part il a affirmé dans son art. 1, délibérément confus, que "la démocratie, dans l'État espagnol, est fondée sur la suprématie de la loi, l'expression de la volonté souveraine du peuple.
  • C'est-a-dire: introduisait le mot démocratie et un principe de souveraineté populaire. Mais d'autre part cette loi créait une nouveau Cortès, (Parlement) de souveraine limitée, puisqu'elle autorisait le roi à nommer les cinquièmes des députés.  
  • Et, surtout, parce que l'article 5 lui permettait de contourner ces futures Cortes convoquant directement un référendum s'il le juge opportun. 
  • Cela a permis que le futur parlement ne puisse pas dépasser certaines limites. La souveraineté, mais, limitée inclus formellement.

Il y avait des normes de pardon et d'amnistie, très déficientes. D'un autre côté, il fallait encore légaliser les partis politiques et en financer un au gouvernement Suárez. La difficulté de légaliser le Parti communiste a été surmontée parce que ses dirigeants ont fait des concessions à l'ignominie (reconnaître «l'honneur de l'armée» qui s'était soulevé contre la démocratie en 1936). Un mois plus tard, l'obstacle principal, Juan de Borbón, transmettait à son fils la légitimité dynastique qui avait été réservée pour maintenir l'institution de la couronne à l'abri des contingences. Certains partis n'ont pas eu le temps de s'organiser légalement: ils se présenteraient aux élections en tant que listes indépendantes.

Les citoyens ont été appelés aux urnes le 15 juin 1977 pour exprimer leur choix politique pour la première fois depuis février 1936. Le franquisme avait dévasté tout ce qui signifiait l'intervention politique du peuple. La plupart des gens, ne pouvaient en quelques semaines s'éduquer politiquement. 
Dans la haute sphère du palais, il était clair que les Cortès (Parlement) étaient matériellement constitutifs, mais ils n'ont pas été formellement convoqués en tant que tels. Les gens ordinaires, restaient ignorantes des options réelles des partis, puisque dans la campagne électorale aucune mention sur la future Constitution n'apparaissait.

Le jour des élections, le Conseil Supérieur de l'Armée est resté rassemblé et cantonné a la caserne et la Division Blindée "Brunete" des environs de Madrid fut prévenue, en attendant le résultat de l'élection. Les résultats ont été très favorables pour le parti gouvernemental. 35% des électeurs, échaudés par la guerre et la dictature, ont opté pour le pouvoir constitutionnel. Rien de front-populaire. Le haut commandement a dû soupirer de soulagement.

La nouvelle Cortes (Parlement), les premiers élus au suffrage universel, désignèrent une présentation constitutionnelle. Le document prévoyait l'ensemble des accords précédents entre le "parti militaire", le gouvernement et les partis politiques concernés: ces pactes constituaient une sorte de  tacite supra-légalité. Ses points fondamentaux étaient les cinq suivants:
  • L'intangibilité de la monarchie établie et de son détenteur, chef suprême des forces armées.
  • Reconnaissance de la tutelle militaire: l'armée se réservera la défense de l'ordre constitutionnel ; et l'amnistie politique sera limitée dans le domaine militaire des franquistes: les militaires démocrates condamnés (de l'Union Militaire Démocratique clandestine) ne seront pas réintégrés à leurs postes (la tutelle militaire a perduré jusqu'à ce qu'elle puisse être transférée à l'OTAN).
  • Unité de la patrie: le libellé redondant de l'art. 2 de la Constitution provient directement de l'armée, et ce qui compte dans cet article, ce n'est pas tant la distinction entre «nation» et «nationalités» que l'affirmation selon laquelle «la Constitution repose sur l'unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible ... " En d'autres termes: la Constitution est fondée - en ce qui concerne l'armée, gardienne de la Constitution - sur l' unité de la patrie, et non sur la souveraineté populaire ou la démocratie (un mot rarement utilisé dans le préambule de la Constitution et est généralement remplacé par l'expression pluralisme politique).
  • L'article 2 opposait son veto à une organisation étatique fédérale.
  • Loi de l'oubli : il fallait aller au-delà de l'amnistie pour la responsabilité pénale: il y avait un accord « point final » tacite de ne pas à évoquer le passé tragique de la guerre civile ou de ses conséquences, ni du rôle joué par acteurs politiques dépuis. Grâce à ce pacte et au premier point de la tacite supra-légalité, les citoyens n'ont jamais pu demander même des responsabilités civiles pour les  victimes ou de réclamer les biens confisqués. 
  • La mémoire historique espagnole devait être publiquement une mémoire de poisson.
  • Accord de gouvernance: tous ont accepté la construction d'un pouvoir exécutif solide et une forte difficulté d'accès aux revendications sociales au cœur de l'Etat.

Le rapport constitutionnel a fonctionné dans ces limites. Il a produit un régime politique de bipartisme imparfait. Il a presque complètement bloqué tout canal participatif qui n'était pas le canal électoral. Il a laissé en suspens la construction des l'autonomie:
·         lorsque la Constitution a été soumise à l'approbation des citoyens personne ne savait comment seraient configurées les communautés autonomes,
o        ni combien seraient-elles,
o        ni leurs compétences,
o        ni comment seraient-elles financées,
o        ni comment seraient-elles  définies. 
Il a eu recours au concept plus qu'ambigu des nationalités historiques. Et beaucoup de points, trop nombreux, seraient développés plus tard par des lois organiques. Parmi eux, un de fondamental qui sera examiné à un autre moment: le régime électoral ; pour la Constitution, la circonscription devait être la province. Un état social a été proclamé sans aucune garantie solide. Pas même la pleine laïcité de l'État a été établie.

Pour l'approbation populaire de la Constitution, il y avait tant de bruit médiatique, que dans une baraque de foire, au point que toute discussion publique était étouffée. Ceux qui ont perçu à temps les lacunes de la constitution démocratique et inachevée - et du système électoral - ne pouvaient pas voter positivement, étant donné le régime autocratique et fermé qui le configurait. Ils ne peuvent pas non plus voter négativement parce que c'est ce que ferait l'extrême droite, ni contre la reconnaissance des droits politiques. Les minorités critiques avaient lutté pour pouvoir voter, et maintenant ils n'avaient d'autre choix que de voter blanc. Au moins, ils pourraient- nous pourrions - critiquer à l'avenir le système constitutionnel sans hypocrisie, et sans négliger ce qui nous importait: nos principes

Une fois l'approbation populaire obtenue, et à l'avenir, les voix critiques seraient systématiquement étouffées. Fait intéressant, la Constitution elle-même a servi presque toujours pour faire aire les opposants. 

Juan-Ramón Capella, professeur émérite de philosophie du droit, publié comme éditeur, en 2003, Les ombres du système constitutionnel espagnol.



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