mercredi 16 mai 2018

Ilan Pappe. La décolonisation, pas la paix


Israël et la Palestine en 2018 

Né en 1954 à Haïfa, est un historien israélien. Il fait partie des « nouveaux historiens » qui ont réexaminé d'après les archives de la Haganah, (future armée d'Israël) l'histoire de l'État d'Israël et du sionisme.

Aujourd'hui Enseignant à Université d'Exeter, Angleterre

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Soixante-dix ans après la création de l'Etat d'Israël, nous ne pouvons plus parler de conflit israélo-palestinien.

Les fondateurs de l'État d'Israël étaient principalement des gens qui se sont installés en Palestine au début du XXe siècle. Venues surtout d'Europe de l'Est, inspirés par des idéologies nationalistes romantiques en pleine ascension dans leurs pays d'origine, déçus par leur incapacité à s'assimiler à ces nouveaux mouvements nationalistes et excités par les perspectives du colonialisme moderne.

Quelques-uns étaient d'anciens membres de mouvements socialistes qui espéraient fusionner leur nationalisme romantique avec des expériences socialistes dans les nouvelles colonies. (Kibboutz) La Palestine n'était pas toujours leur seule option, mais elle devint la préférée quand devint patent qu'elle cadrait bien avec les stratégies de l'Empire britannique et la vision du monde des puissants chrétiens sionistes (Evangélistes) des deux côtés de l'Atlantique.

Depuis la déclaration Balfour de 1917 et tout au long de la période du mandat britannique de 1918-1948, les sionistes européens ont commencé à construire l'infrastructure pour un futur État avec l'aide de l'Empire britannique. Nous savons maintenant que les fondateurs de l'Etat juif moderne étaient conscients de la présence d'une population autochtone avec leurs propres aspirations et avec leur propre vision de l'avenir de leur patrie.

La solution à ce «problème» - en ce qui concerne les fondateurs du sionisme - était de désarabiser la Palestine pour faciliter le chemin vers l'émergence de l'Etat juif moderne. Qu'ils soient socialistes, nationalistes, religieux ou laïcs, les dirigeants sionistes ont planifié l'expulsion de la population palestinienne depuis les années 1930.

À la fin du mandat britannique, les dirigeants sionistes ont clairement indiqué que ce qu'ils imaginaient comme un État démocratique ne pouvait exister que sur la base d'une présence juive absolue sur leur territoire.

Soixante-dix ans de nettoyage ethnique soutenu 
Bien qu'officiellement ils ont accepté la partition par la résolution 181 du 29 Novembre 1947 (sachant qu'elle serait rejetée par les Palestiniens et le monde arabe), l'ont considéré comme une catastrophe parce elle prévoyait pour l'Etat juif 54% de la Palestine Historique à l'Etat juif qui ne représentait que 33% de la population, cependant ce dernier considérait également comme insuffisant le territoire que lui a accordé l'ONU.

La réponse sioniste à ce défi était de se lancer dans une opération de nettoyage ethnique qui a chassé la moitié de la population palestinienne et démoli la moitié de ses villages et la plupart de ses villes. (351 villages furent ainsi détruit, à la dynamité dans un premier temps, au bulldozer ensuite, c'est dire si se fut une drôle de guerre). La réponse panarabe, insuffisante tardive et non coordonnée, n'a pas empêché le sionisme de s'emparer de 78% des territoires palestiniens.

Cependant, ces "conquêtes" n'ont pas résolu le "problème palestinien" de l'Etat d'Israël nouvellement fondé. Au début, cela semblait gérable: la minorité palestinienne restée en Israël était soumise à un gouvernement militaire sévère et le monde ne s'inquiétait ni ne remettait en question la prétention israélienne d'être la seule démocratie au Moyen-Orient. En outre, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) a été fondée en 1964 et tardait  a influencer la réalité sur le terrain.

Il semblait alors que les dirigeants du monde arabe comme Gamal Abdel Nasser iraient à la rescousse de la Palestine. Ce moment historique d'espoir, fut cependant bref. La défaite de l'armée égyptienne (l'armée israélienne aidée par la France et l'Angleterre) lors de la guerre de juin 1967 et son succès partiel dans la guerre d'octobre 1973 ont diminué l'engagement officiel de l'Égypte envers la Palestine. Depuis lors, aucun régime arabe ne s'est vraiment intéressé au sort de la Palestine, malgré le fait que les sociétés arabes l'aient pleinement adopté.

La guerre de juin 1967 a permis à Israël (aidée, cette fois, par la logistique militaire et d'intelligence satellitaire, double d'un pont aérien depuis la Tchécoslovaquie) prendre en charge toute la Palestine du mandat mais cela n'a fait qu'approfondir le problème de colonisation auquel il était déjà confronté: plus de territoire signifiait plus de population autochtone.

La guerre a également transformé le noyau de la direction de l'Etat juif: le parti travailliste pragmatique a été remplacé par les révisionnistes de droite et les nationalistes, moins soucieux de l'image extérieure d'Israël. Au lieu de cela, ils étaient déterminés à garder les territoires occupés dans le cadre de l'Etat d'Israël tout en maintenant le nettoyage ethnique de 1948 par d'autres moyens: transférant la population locale, la cloitrant et la dépouillant de tout droit fondamental civil et humain élémentaire et, en même temps, institutionnalisant un nouveau cadre juridique pour la minorité palestinienne à l'intérieur d'Israël qui perpétuerait son statut de citoyens de seconde zone.

La résistance palestinienne sous la forme de deux Intifada et les protestations civiles en Israël n'ont pas empêché l'Etat juif d'établir au début de ce siècle un état juif d'apartheid à travers toute la Palestine historique. La résistance palestinienne, ignorée par les pays arabes et par le reste du monde, a provoqué des actions barbares et extrêmes d'Israël qui ont sapé leur condition morale devant le monde.

Cependant, la «guerre contre le terrorisme» après les attentats du 11 septembre , les fruits amers de l'invasion anglo-américaine de l'Irak et le printemps arabe ont permis à Israël de maintenir ses alliances stratégiques avec les élites politiques et économiques de l'Occident et au-delà (avec la Chine et l'Inde, et même l'Arabie saoudite).

Jusqu'à présent, la situation internationale ambiguë n'a pas affaibli la réalité économique d'Israël. C'est un pays avec un développement technologique élevé et une économie néolibérale qui a bien géré la crise de 2008 mais qui présente l'un des plus grands écarts d'inégalité et de polarisation parmi les membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques. Cette réalité socioéconomique instable a provoqué un mouvement de protestation populaire en 2011, bien qu'elle se soit révélée plutôt inefficace. Cependant, les conditions sont encore latentes pour une autre grande vague de protestations qui pourrait être déclenchée par un autre soulèvement palestinien ou une guerre à la suite de l'imprudence de la politique du président américain Donald Trump et du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Tous-deux faisant leur possible pour trainer Israël vers une guerre avec l'Iran et le Hezbollah.

Pour sortir de l'impasse où s'est mis Israël, cherche querelle au Hamas et a l'Iran, en les accusant  de vouloir "détruire" Israël. Ce dernier exploite une "ficelle" grosse comme un camion tout neuf.
Le mythe de la destruction d'Israël par l'Iran vient d'une déclaration de Mahmoud Ahmadinejad, mal traduite par Israël. Il s'agissait de jeter le sionisme  à la mer. Qui a été traduit: "jeter les Juifs à la mer". Par erreur peut-être, à bon scient surement.  
Dans les faits:
Israël n'a pas besoin d'avoir peur que quelque Etats veuille le détruire, il le fait très bien tout seul, sa politique en témoigne.


De la décolonisation à la paix 
Soixante-dix ans après sa création, Israël est un Etat raciste et d'apartheid dont l'oppression structurelle des Palestiniens reste le principal obstacle à la paix et à la réconciliation.

Beaucoup de choses ont été accomplies fusionnant les communautés juives du monde entier dans une nouvelle culture hébraïque et créant l'armée la plus forte de la région. Cependant, toutes ces réalisations n'ont pas légitimé l'État devant le monde.

Paradoxalement, seuls les Palestiniens peuvent accorder une pleine légitimité ou accepter comme légitimes la présence de millions de colons juifs à travers la solution d'un seul Etat.

Le processus de paix reproduit et orchestré par les États-Unis depuis 1967 a complètement ignoré la question de la légitimité israélienne et de la perspective palestinienne du conflit. Cette indifférence ainsi que les initiatives diplomatiques qui n'ont pas remis en question l'idéologie sioniste qui façonne les attitudes de la majorité des juifs israéliens sont les principales raisons de leur échec.

En 2018, nous ne pouvons plus parler de conflit arabo-israélien. Les régimes arabes sont disposés à établir des relations stratégiques avec Israël malgré l'objection de leurs citoyens et, bien qu'il y ait toujours le risque d'une guerre israélienne avec l'Iran, pour le moment cela ne semble impliquer d'autres Etats arabes.

De notre point de vue, il semble également inutile de continuer à parler du conflit israélo-palestinien. La terminologie correcte pour décrire l'état actuel des choses est la continuation de la colonisation israélienne de la Palestine historique, ou comme les Palestiniens l'appellent "al Nakba al Mustamera" (la Nakba en développement).

Par conséquent, 70 ans plus tard, nous devons recourir à un terme qui peut paraître obsolète pour décrire ce qui peut vraiment apporter la paix et la réconciliation à Israël et à la Palestine: la décolonisation. Comment exactement c'est encore à voir. Cela nécessiterait, en premier lieu, une position palestinienne plus précise et plus unie sur le résultat politique ou la mise à jour du projet de libération.
Cela est sans doute vrai, les israéliens et les palestiniens (où il était clair que les USA poussaient Arafat, et plus tard tous es autres, à accepter les propositions léonines, sous peine de ne plus recevoir les subsides) Cela aussi est une réalité de l'échec. En deux mot: que pouvaient faire les palestiniens quand les 80% de l'armement mondial était du coté des criminels sionistes ?
Un tel projet sera pris en charge par des Israéliens progressistes et la communauté internationale devra également faire sa part. Il faut travailler pour créer une démocratie pour tout le monde de la rivière à la mer basée sur la restauration des droits niés aux Palestiniens au cours des 70 dernières années, dont le principal est le droit du retour des réfugiés dans leurs foyers.
Y compris si les villages et foyers n'existent plus …
Ce n'est pas un plan à court terme et nécessiterait une pression soutenue sur la société israélienne à renoncer à leurs privilèges et faire face à la vérité que c'est la seule façon d'apporter la paix et la réconciliation dans un pays déchiré à l'intérieur du pays. 

* Ilan Pappe, historien israélien, directeur du Centre européen d'études de Palestine à l'Université d'Exeter.

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