Des garçons palestiniens agitent le
drapeau national.
(AP Photo
/ Hatem Moussa, File)
Soixante
dix ans après la Nakba, Israël n’a pas réussi à effacer la Palestine —ni les
Palestiniens.
Par
Rashid Khalidi, le 10 mai 2018
Avec le remplacement de la Palestine par Israël et
l’expulsion de la plupart de la population arabe en 1948, il semblait que le
rêve sioniste était devenu réalité. Un état juif était né et il n’y avait pas
d’état palestinien en compétition ; le nettoyage ethnique avait produit une
transformation démographique massive et on pouvait s’approprier la terre de
tous ces Arabes « absents ». Les sionistes espéraient et
s’attendaient à ce que les réfugiés disparaissent tout simplement, et que la
mémoire que cela avait été un pays à majorité arabe pendant plus d’un
millénaire pourrait être effacée. Comme Golda Meir l’avait dit : « Il n’y
avait pas de Palestiniens … ils n’existaient pas. » L’idéal du colonisateur
semblait s’être réalisé : les autochtones étaient partis, il y avait plein
d’espace, leurs belles maisons de pierre pourraient être adaptées et quant à
leur « khummus », on pourrait lui donner une nouvelle étiquette et le
prononcer de travers.
A long terme, cependant, les choses semblent bien
différentes. Dans cette perspective, il est clair que malgré tout le pouvoir de
l’armée israélienne et ses services de sécurité meurtriers, le dynamisme de
l’économie israélienne et la puissance agressive du nationalisme israélien, il
s’agit de bien de façons d’un projet colonial raté. Ainsi que l’a écrit
l’historien Patrick Wolfe : « Les colonies de peuplement reposaient
(reposent) sur l’élimination des sociétés autochtones … Les colons sont venus
pour rester : l’invasion est une structure, pas un événement » (C’est nous
qui soulignons). En Palestine, cependant, la société autochtone n’a pas été
éliminée. La Palestine n’est pas « juive comme l’Angleterre est
anglaise », ainsi que Chaim Weizmann avait jadis exprimé franchement les
objectifs sionistes.
Aujourd’hui au contraire, la population du pays entier, de
la rivière à la mer, est au moins à moitié palestinienne et la proportion va
croissant. Les autochtones sont toujours là, unifiés par des décennies
d’occupation et de colonisation depuis 1967 et ils sont agités. Ces
Palestiniens qui se sont arrangés pour rester dans la Palestine historique —
malgré les efforts incessants pour les en déposséder — continuent à résister à
l’effacement. Hors de Palestine, un nombre égal d’entre eux restent
profondément attachés à leur pays natal et au droit au retour. Les Palestiniens
n’ont pas oublié, ils n’ont pas disparu, et la mémoire de la Palestine et de
son démembrement n’a pas été effacée. De fait, des publics internationaux de
plus en plus grands sont de plus en plus conscients de ces réalités.
Néanmoins la situation en Palestine aujourd’hui semble
sombre. Le mouvement national palestinien est dans un stade avancé de
dilapidation, sans stratégie, et le peuple palestinien est physiquement
fragmenté. L’occupation et son maléfique rejeton par alliance, la colonisation
jamais arrêtée de la Palestine, avancent allègrement. Depuis des décennies
maintenant, les bulldozers n’ont cessé un instant de travailler. Des
Palestiniens sans armes sont abattus impunément, des milliers sont blessés et
des dizaines tués à Gaza juste au cours des dernières semaines. Entre temps la
connexion vitale d’Israël avec ses soutiens de longue date dans la métropole
américaine est plus forte qu’elle ne l’a jamais été, à l’ère de Trump et de
Bibi.
Cependant, deux nouveaux phénomènes ont des implications
de mauvaise augure pour le projet de colonisation sioniste et pour le mouvement
du Grand Israël qui domine le pays. Le premier s’est développé parmi les
Palestiniens qui comprennent la futilité de l’approche des deux branches de
leur mouvement national, à Ramallah et à Gaza. A la place d’une diplomatie
futile et d’une vaine résistance armée (facilement exploitée), des mouvements
populaires non violents se renforcent. Ils vont du mouvement pour le boycott,
le désinvestissement et les sanctions (BDS) aux manifestations que nous avons
vues à Gaza dans les dernières semaines. En dépit de ce qu’on nous dit dans les
médias, les Palestiniens ont longtemps employé des tactiques non violentes dans
leur quête pour la libération. Comme la résistance de la grève générale de
1936, formée au niveau local à partir de zéro et largement non violente, et la
première intifada, de 1987 jusqu’ au début des années 90, ceci implique une gamme
féconde et inventive d’efforts. Une telle approche terrifie le système de
sécurité israélien qui repose sur le fait de diaboliser toute résistance
palestinienne à la domination absolue israélienne comme
« terrorisme » et ensuite de l’écraser. Comme le Major-Général en
retraite Amos Gilad l’a dit de la réponse d’Israël à la non violence
palestinienne : « Nous ne faisons pas très bien Gandhi ».
L’autre développement nouveau a lieu aux Etats-Unis. La
contestation croissante du consensus d’idiotie sur la Palestine qui contrôle la
plus grande partie de la classe politique et médiatique américaine est un
phénomène remarquable. La contestation inclut des universités et des collèges,
le plus récent étant Barnard, où une résolution soutenant le désinvestissement des
compagnies qui bénéficient de l’oppression de la Palestine a été votée
massivement. Elle inclut le Mouvement pour les Vies noires, dont la plateforme
comprend un rejet clair des pratiques d’apartheid israéliennes et des tactiques
et idéologies imbriquées des Etats policiers israélien et américain. Elle
inclut aussi le parti démocrate, où le fossé entre une base de plus en plus
éclairée et une direction encore intoxiquée à la limonade empoisonnée de la
promotion d’Israël se creuse de plus en plus rapidement. De façon encore plus
frappante, elle affecte la communauté américaine juive, où il y a un dégoût
croissant devant la tendance de plus en plus intolérante, antilibérale,
fondamentaliste, raciste, de la politique et de la société israéliennes.
Rien de tout cela ne signifie que nous sommes sur le point
de connaître une paix juste en Palestine, qui permettrait aux deux peuples de
vivre en égaux sur le même territoire. Cependant, après sept décennies de
tentatives pour remplacer un peuple par un autre, le sionisme est confronté à
l’insoutenabilité de ce projet au 21e siècle. Edward Said a écrit que, dès le
départ, le sionisme « a gagné la bataille politique pour la
Palestine dans le monde international où étaient en jeu les idées, les
représentations, la rhétorique, et les images ». C’est la perte de cette
bataille aujourd’hui qui est une cause d’optimisme pour ceux qui cherchent la
paix et la justice pour les Palestiniens et les Israéliens.
Source : The
Nation
Traduction : CG pour L’Agence Média Palestine
Rashid Khalidi est Professeur d’Etudes arabes à
Columbia University, et l’auteur du récent ouvrage Brokers of Deceit: How
the U.S. Has Undermined Peace in the Middle East.
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